Au sujet de politiciens qui sont les amis de criminels au pouvoir




Le vendredi, 26 octobre 2018
Au sujet de politiciens qui sont les amis de criminels au pouvoir
(Auteur du livre « Le nouvel empire américain », du livre « Le Code pour une éthique globale » et de son récent livre « La régression tranquille du Québec, 1980-2018 »)

« Malheureusement, l'idée d'un autocrate bienveillant, le dictateur juste, est en train de renaître dans le monde arabe. »
Jamal Khashoggi (1958-2018), journaliste saoudien, résident permanent des États-Unis et chroniqueur du Washington Post Global Opinions, assassiné par le gouvernement saoudien de Mohammed ben Salmane (1985-), à Istanbul, en Turquie, le mardi, 2 octobre 2018. (Dans un discours prononcé lors d'une conférence organisée en avril 2018 par le Centre for Middle East Studies de l'Université de Denver et le Centre pour l'étude de l'islam et de la démocratie, à Washington, DC).

« Ils [les Saoudiens] avaient un très mauvais concept original, et ils l’ont mal exécuté et la dissimulation a été l'une des pires de l'histoire de la dissimulation. (…)
C’est très simple ; ce fut un mauvais projet. Il n'aurait jamais dû être envisagé. Quelqu'un s’est vraiment fourvoyé. Et ils ont eu la pire couverture de tous les temps. Le moment où ils auraient dû mettre un frein à toute l’affaire, c'est dès le début.
Quiconque a pensé à cette idée [d'assassiner le journaliste saoudien Jamal Khashoggi] est, je pense, en grande difficulté, et ils devraient l'être. »
Donald Trump (1946-), président américain en poste, (déclaration faite aux journalistes le mardi 23 octobre 2018 à la Maison blanche)

« Quand des hommes méchants se liguent entre eux, les gens bien doivent s'associer; sinon, ils tomberont l’un après l’autre, dans un sacrifice impitoyable et une lutte méprisable. »
Edmund Burke (1729-1797), homme d'État irlandais, auteur, orateur, théoricien politique et philosophe.

En tant qu’homme politique, Donald Trump est à l'image du gouvernement américain, lequel doit veiller au maintien du complexe militaro-industriel américain. Il lui faut des « ennemis ». En effet, Donald Trump semble avoir besoin d’« ennemis » pour établir sa propre identité politique et, éventuellement, pour détourner l’attention de ses propres défauts. Il n’a donc pas des « adversaires », mais des « ennemis », qu’il qualifie d’être des « ennemis du peuple ».

Ce n’est pas là une mince affaire car il s’agit d’un langage totalitaire. En effet, des dictateurs et des démagogues violents, oppressifs et fascistes ont, dans le passé, utilisé cette épithète. On pense, entre autres, à Adolf Hitler (1889-1945) dans l’Allemagne nazie, à Vladimir Lenin (1870-1924) et à Joseph Staline. (1878-1953) dans l’ancienne URSS. Leur objectif: attiser la haine politique et délégitimer leurs “ennemis” et tous ceux qui osaient critiquer leurs gouvernements totalitaires. Remarquez qu’il s’agissait de dictateurs authentiques. Le fait que Donald Trump utilise avec désinvolture un rhétorique politique violente pour délégitimer ses opposants devrait être une source d’inquiétude pour tous ceux qui valorisent la démocratie.

Dans le passé, Donald Trump a qualifié la candidate démocrate à la présidence, Hillary Clinton, d ‘« ennemie », allant même jusqu'à l’accuser d’être corrompue, sans apporter la moindre preuve pour appuyer une telle accusation. Il a également qualifié les médias et les journalistes d’être des « ennemis ». Il les qualifie de « faux médias ». Il a souvent attaqué des athlètes et des stars d’Hollywood de la même manière, et il en a insulté des dizaines d’autres. Trump continue de bousculer tout le monde, y compris le président de la Fed. Ce dernier aurait pu lui répliquer, poliment il va sans dire, que ses politiques économiques imprudentes et pro-cycliques sont motivées par des considérations essentiellement politiques et sont contraires à une bonne gestion économique.

Que le politicien Donald Trump puisse s’en tirer avec un comportement aussi provocateur et incohérent que le sien est vraiment surprenant. Aux Nations Unies, en septembre, on s’est ouvertement moqué de lui. En effet, Trump est devenu une source de dérision et de peur dans le monde entier. C’est peut-être une chose que ses partisans aveugles ne voient pas, mais le monde, lui, le voit.

Dans une véritable démocratie, les politiciens ne visent pas le pouvoir absolu pour eux-mêmes ou leur famille, et ils ne considèrent pas ceux et celles qui se portent candidats dans des élections libres comme des « ennemis », mais comme des opposants légitimes. Traiter publiquement des adversaires politiques qui ont des programmes politiques différents d’«ennemis» est un langage de dictateurs et d’autocrates.

D'autre part, le président étasunien Donald Trump semble avoir un penchant, sinon une admiration évidente, pour les autocrates et les dirigeants totalitaires d’autres pays. Par exemple, il a déclaré être un admirateur de Xi Jinping, le président à vie de la Chine communiste, allant même jusqu’à dire, sur le ton de la plaisanterie, que c’était « formidable » et que  « peut-être devrions-nous essayer ce système, un de ces jours ! » Donald Trump s’est également montré  fort à l’aise avec le dictateur nord-coréen, Kim Jung-un, avec l’autocrate turc Recep Tayyip Erdogan, avec le dictateur philippin en puissance Rodrigo Duterte et avec d’autres autocrates ou tyrans du même acabit, tout en fermant les yeux sur leurs actes de brutalité et d’oppression. C’est un comportement qui étonne car c’est un retour aux années trente, quand plusieurs démocraties furent remplacées par des dictatures.

Les relations privilégiées de Donald Trump avec le régime meurtrier de l’Arabie saoudite du prince Mohammed ben Salmane

Cependant, cela n’est rien en comparaison des efforts qu’a déployés Donald Trump pour se porter à la défense du gouvernement saoudien et pour dissimuler l’assassinat et le démembrement (avec une scie à os) du journaliste résident américain, Jamal Khashoggi. On sait que ce crime odieux a été commis le 2 octobre 2018 par un commando saoudien de 15 tueurs, à l’intérieur du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, en Turquie. Dans un premier temps, Trump a déclaré avoir parlé au prince Mohammed ben Salmane et que ce dernier l’avait assuré qu’il « n’avait pas donné l’ordre » d’assassiner le journaliste Khashoggi, même si certains des assassins venaient de son entourage immédiat et étaient ses gardes du corps. Par la suite, Trump a renchéri en déclarant publiquement qu’il « croyait le démenti » de ben Salmane, comme si un présumé assassin allait admettre un crime aussi barbare !

Quand le gouvernement saoudien inventa le scénario farfelu selon lequel le journaliste serait mort lors d'un « combat à mains nues » avec le commando de 15 personnes venu expressément d’Arabie saoudite pour l’assassiner, Donald Trump déclara que les prétentions saoudiennes étaient « crédibles », alors même que le monde entier tournait toute l’affaire en dérision. En effet, il défie la logique et le bon sens que dans un État religieux totalitaire comme l’Arabie saoudite, des agents du gouvernement se chargeraient d’assassiner et de démembrer un critique connu du régime, et ce, dans un pays étranger, sans avoir reçu un ordre explicite pour ce faire de la part d’un très haut placé.

Cependant, quand on annonça qu’on avait retrouvé les restes du corps du journaliste démembré dans le jardin de la résidence du consul général saoudien à Istanbul, et que le gouvernement turc déclara qu'il avait des preuves que l'assassinat de Khashoggi à l'intérieur du consulat saoudien avait été prémédité et soigneusement planifié, et que « de la personne qui a donné l'ordre jusqu’à la personne qui l'a exécuté, tous devraient être traduits en justice », les efforts de Donald Trump pour camoufler le crime du gouvernement de ben Salmane devinrent intenables.

C’est alors que Trump fit la remarque que l'assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi à Istanbul avait été « un mauvais projet » et que « quelqu'un s’est vraiment fourvoyé ». Il a par la suite annoncé quelques « sanctions » de nature cosmétique contre les membres du commando d'assassins, mais sans aucunement faire référence aux hauts responsables saoudiens qui ont ordonné le meurtre et surtout sans impliquer le responsable présumé, Mohammed ben Salmane.

Dans toute cette affaire, Donald Trump a semblé mettre l'accent sur la façon dont les Saoudiens ont « bâclé » l’assassinat, non pas qu'ils l’aient, au départ, « commis ». Certains disent que Donald Trump est un individu amoral et immoral, qu’il n’a aucune éthique personnelle et qu’il est incapable, dans n’importe laquelle situation, de distinguer le bien du mal. Ceci pourrait en être un exemple frappant.

Conclusion

Au fil des jours et alors que le président Donald Trump va de crise en crise, mon appréciation de l’homme dès le premier jour tient toujours, à savoir que l’impérieux homme d’affaires devenu président des États-Unis est « une menace pour la démocratie américaine et un facteur de chaos pour le monde ».

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Le Prof. Rodrigue Tremblay est professeur émérite d’économie à l’Université de Montréal.

On peut le contacter à l’adresse suivante : rodrigue.tremblay1@gmail.com.


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Mis en ligne, le vendredi, 26 octobre 2018.

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© 2018 Prof. Rodrigue Tremblay

Il Faut Arrêter la Régression Tranquille du Québec




Rodrigue Tremblay au lancement du livre «La régression tranquille du Québec, 1980-2018» 
le 12 septembre 2018. Photo par Micheline Ladouceur pour Mondialisation.ca

Il Faut Arrêter la Régression Tranquille du Québec



Par Rodrigue Tremblay, professeur émérite de l’Université de Montréal et auteur du récent livre « La régression tranquille du Québec, 1980-2018 », 2018, publié chez Fides, 344 p.




La régression tranquille du Québec que l’on observe présentement n’est pas dans tous les domaines. Loin de là. Dans le domaine économique, par exemple, même si le Québec a perdu d’importants sièges sociaux ces dernières années, l’ingéniosité québécoise est encore fortement au rendez-vous, et cela même si le protectionnisme commercial américain est présentement une source de préoccupation.





C’est un fait que les villes de Montréal et de Québec, en particulier, sont devenus des centres mondiaux d’innovation et des plaques tournantes dans des domaines d’avenir, tels que ceux de la haute technologie, de l’intelligence artificielle et de l’électronique. Le Québec se distingue aussi par ses avancés dans les domaines de la pharmacologie, de la biochimie, de l’aérospatiale et des télécommunications. Il en va de même dans le monde artistique et universitaire, domaines dans lesquels le Québec s’est taillée une réputation internationale. Avec ses quatre universités, Montréal est un centre d’attrait important pour les entreprises qui recherchent des spécialistes dans de multiples domaines de l’économie du savoir.

Non. C’est avant tout dans les domaines politique, constitutionnel, démographique et linguistique que le Québec est en recul et risque son avenir. C’est dire que le recul du Québec est davantage dans ce que l’on peut appeler « l’être » que dans domaine restreint de « l’avoir », c’est-à-dire davantage une question d’identité que de richesse.

On sent, néanmoins, un essoufflement certain dans les progrès importants que le Québec a fait dans la foulée de la Révolution tranquille, dont l’épicentre s’est situé dans les décennies de 1960 et de 1970. Des retards importants sont, en effet, apparus dans les investissements de remplacement en éducation, en santé et en infrastructures de base. De tels retards ne sont pas inéluctables et une vision appropriée des besoins de l’avenir permettrait sans doute d’y remédier.

La morosité palpable que l’on ressent aujourd’hui est avant tout causée par les importants reculs que le Québec a connu, au cours des 40 dernières années, concernant son autonomie politique, constitutionnelle, social, culturel et linguistique. À un tel point, que la dérive observée dans ces domaines clé pourrait menacer, à terme, si un redressement n’est pas au rendez-vous, la survie même de la seule société majoritairement francophone en Amérique du Nord, soit celle du Québec.

En 1982, suite à un coup de force constitutionnel illégitime et inacceptable de la part du gouvernement fédéral de Pierre Elliott Trudeau, le Québec a été ramené de son statut de foyer d’un des deux peuples fondateurs du Canada et de l’une des quatre provinces fondatrices de la Confédération canadienne, en 1967, à celui des provinces anglophones. Et, pour certains politiciens, l’État du Québec de Jean Lesage est redevenu la « province de Québec », selon la définition romaine du terme « province », laquelle signifie « territoire conquis ».

Il est bon de rappeler que le Québec, au cours de bientôt cinq siècles, a toujours été l’épicentre de la grande épopée francophone en Amérique du Nord, malgré les grandes régressions que les francophones vécurent entre 1760 et 1774 et entre 1840 et 1867. Si cet arbre allait s’étioler, s’affaiblir ou même péricliter, les branches acadienne et canadienne française de la francophonie ne pourraient pas survivre bien longtemps.

Dans le livre que je viens de publier aux Éditions Fides, j’identifie un certain nombre de mesures et d’initiatives à considérer pour permettre au Québec de reprendre l’offensive et pour empêcher qu’un tel désastre ne se produise. J’en énumère ici quelques-unes :
- Éviter d’éparpiller et de marginaliser les forces politiques francophones et, au besoin, modifier le mode de scrutin tout en conservant l’objectif de la stabilité politique.
- Rétablir l’État du Québec en tant que levier politique indispensable pour le progrès, notamment en matière économique.
- Résister par divers moyens au fédéralisme unitaire, autoritaire et centralisateur, tel qu’imposé par la Loi constitutionnelle de 1982, sans l’accord du Québec.
- Renverser la dérive démographique, laquelle fait courir de grands risques au Québec, par des politiques appropriées.
- Obtenir plus d’autonomie pour le gouvernement du Québec eu égard à une politique articulée d’intégration linguistique, culturelle et économique des immigrants sur son territoire…etc.

Conclusion

Il est important de croire dans l’avenir parce que les Québécois et les Québécoises sont capables de grandes choses, pourvu qu’ils le veuillent.
En effet, quand tout a été dit, tout revient à la question centrale, à laquelle chacun et chacune a le devoir de répondre :
« Est-ce que les Québécois et Québécoises d’aujourd’hui, en tant que patriotes de toutes origines, ont la volonté de travailler à la survie, à l’épanouissement et à la prospérité de la seule nation francophone majoritaire en Amérique du Nord ? »
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Rodrigue Tremblay auteur du livre « La régression tranquille du Québec, 1980-2018 », Montréal, Fides, 2018, 344 pages.




Disponible dans toutes les librairies du Québec
chez Les éditions FIDES: 514-745-4290

ISBN :  978-2-7621-4218-1

en ligne sur Renaud-Bray, Amazon, Chapters, etc.

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© Rodrigue Tremblay, Université de Montréal


Les trois grandes ruptures politiques du Québec, depuis 1760




Les trois grandes ruptures politiques, suivies de régressions, dans l’histoire du Québec depuis 1760. — (Petit précis d’histoire politique du Québec)

Par Rodrigue Tremblay, professeur émérite de l’Université de Montréal et auteur du récent livre « La régression tranquille du Québec, 1980-2018 », 2018, publié chez Fides, 344 p.

Au cours des trois derniers siècles, soit ceux qui se sont écoulés depuis que l’empire britannique s’est emparé, en 1760, de la Nouvelle France (deux siècles et quart d’histoire, 1534-1759), il s’est produit trois grandes ruptures politiques, lesquelles ont changé le cours de l’histoire et bouleversé la vie des habitants du Québec, alors peuplé exclusivement par des colons français et des tribus indiennes. Ces brisures ont été suivies de trois grandes périodes de régression historique pour le peuple québécois, périodes au cours desquelles la vie fut dure et la survivance difficile. Jusqu’à maintenant, ces périodes de régression ont toutes été suivies d’un redressement partiel, mais seulement après une longue période de souffrance et de recul des droits et privilèges du peuple québécois.

Qu’elles sont ces périodes de choc, de régression et de redressement partiel et en quoi elles peuvent jeter un éclairage sur la présente période de régression dans laquelle le Québec se retrouve plongé, bien malgré lui, depuis le coup de force constitutionnel du gouvernement canadien du 17 avril 1982 ?

1- La rupture historique de la Conquête britannique de la Nouvelle-France au 18ème siècle

La première rupture historique fut évidemment le grand dérangement causé par les armées de l’empire britannique quand ces dernières prirent le contrôle de la Nouvelle France (1534-1760), après la Bataille des Plaines d’Abraham, en 1759, et évincèrent le gouvernement français du royaume de France. Le choc fut brutal et immense pour les colons français établis au Québec depuis plusieurs générations, car une partie importante de leur élite instruite retourna en France.

L’occupation britannique du territoire, qu’on appelait le Canada, se précisa avec la Proclamation royale de 1763, par laquelle l’Angleterre entendait bien dominer les 70 000 habitants du Canada en s’appuyant sur quelques 200 colons anglais. Elle comptait traiter la Nouvelle France, un immense territoire qui s’étendait de Terre-Neuve jusqu’à la Louisiane d’aujourd’hui, comme un complément à son territoire des treize colonies de la Nouvelle-Angleterre, territoire qu’elle contrôlait depuis 1620. Comme l’Angleterre s’était aussi emparé de l’Acadie française, fondée en 1604, (la Nouvelle-Écosse et l’Île-du-Prince-Édouard, et une partie du Nouveau-Brunswick et de Terre-Neuve d’aujourd’hui), avec le traité d’Utrecht de 1713, le royaume de la Grande-Bretagne se trouvait ainsi à contrôler presque la totalité de l’Amérique du nord, (la Floride étant sous contrôle espagnol).

Pour les Français du Canada, qui s’appelaient alors ‘Canadiens’, 1760 marque le début d’une longue traversée du désert. Le premier redressement partiel des sévices subis par la prise de contrôle britannique survint en 1774. En effet, le gouvernement royal anglais, craignant une révolte de ses sujets de la Nouvelle-Angleterre, voulut s’assurer le soutien des ‘Canadiens’ français du Québec. L’Acte de Québec de 1774, (une loi britannique) est la première constitution du Québec. Elle légalise la pratique de la religion catholique pour les Français d’un Québec élargi, étendu dorénavant jusqu’aux Grands lacs. Elle établit le droit civil français, appelé aussi le droit privé romano-civiliste français. Il consacre la légalité du système seigneurial pour garantir la propriété des terres. Autrement dit, le Québec devient une colonie semi-autonome de l’Empire britannique, sous l’autorité d’un Gouverneur britannique et d’un conseil exécutif non élu.

L'Acte constitutionnel de 1791, encore une loi britannique adoptée dans un contexte colonial, vint compléter la constitution de 1774 pour les habitants du Québec, en établissant une assemblée législative élue par les propriétaires qualifiés, y compris les femmes propriétaires, pour percevoir des impôts et engager des dépenses courantes, mais sans responsabilité ministérielle, car toujours sous l’autorité ultime d’un Gouverneur britannique et d’un conseil exécutif non élu. C’est en vertu de l’Acte de 1791 que la Province de Québec (1763-1791) sera divisée en deux provinces distinctes, soit un Bas-Canada (Québec) et un Haut-Canada (Ontario). La population du Bas-Canada est alors égale à 163 000 personnes, la plupart de langue française.

Les rigidités du nouveau système donnèrent lieu à des conflits et l’exaspération des ‘Canadiens’ conduisit  à une deuxième grande rupture dans l’histoire du Québec.

2- La révolte des Patriotes de 1837-38 et la répression britannique au 19ème siècle

En effet, l’exaspération des Québécois est compréhensible, devant les exactions dont ils étaient l’objet de la part du pouvoir colonial britannique en faveur des loyalistes qui avaient fuit les États-Unis en rébellion contre la Grande-Bretagne. En effet, après la Guerre d’indépendance américaine (1775-1783), plusieurs loyalistes quittèrent le territoire nouvellement indépendant des États-Unis, et certains vinrent au Canada, un territoire encore soumis à la Couronne britannique de George III. Sur les 46 000 loyalistes qui quittèrent les États-Unis pour se diriger vers le Canada britannique, la majorité allèrent en Nouvelle-Écosse. Cependant, 10 000 d’entre eux sont venus s’installer au Québec, en grande partie en s’établissant dans les Cantons de l’Est.

C’est l’arrivée de ce grand nombre de loyalistes américains en terre québécoise et le traitement favorable discriminatoire qu’ils reçurent du pouvoir colonial britannique qui mirent le feu aux poudres. En effet, certains parmi les habitants québécois regrettèrent alors de ne s’être pas alliés à la révolte américaine, comme l’Américain Benjamin Franklin les avait invités formellement à le faire, lors d’un voyage de ce dernier à Montréal, en avril 1776.

La Révolte des Patriotes de 1837-1838 fut le résultat d’un antagonisme profond entre la population civile, en très grande majorité française, et l’occupant militaire britannique, trop heureux d’accueillir des loyalistes américains venus en grand nombre des États-Unis. Cependant, les chefs québécois du Bas-Canada (Québec), avec à leur tête Louis-Joseph Papineau (1786-1871), chef du Parti Patriote, ne s’étaient pas assurés, au préalable, de l’appui militaire d’un pays comme la France, comme cela avait été le cas avec la révolte américaine quand des soldats du Marquis de Lafayette (1757-1834) et la marine française vinrent porter main forte aux indépendantistes américains. Le résultat était prévisible : les troupes rebelles des Patriotes ne firent point le poids devant l’importante force militaire coloniale de l’Empire britannique.

La répression britannique fut tout aussi prévisible. Le gouvernement britannique mit tout en œuvre pour subjuguer les Canadiens français du temps et les empêcher dorénavant de dominer aucune institution politique au Canada. D’entrée de jeu, le pouvoir impérial suspendit l’Acte constitutionnel de 1791.

Par la suite, avec l’adoption de l’Acte d’Union de 1840, lequel imposait l’anglais en tant que seule langue officielle, obligation qui sera cependant abrogée en 1848, le Bas-Canada (Québec) et le Haut-Canada (Ontario) furent fusionnés dans un Canada-Uni essentiellement britannique, avec une égalité de représentation et de responsabilité pour la dette commune, même si la population québécoise était de beaucoup plus nombreuse que celle de l’Ontario, soit 650 000 contre 450 000 habitants, et que le Québec n’avait pratiquement pas de dette, tandis que la dette de l’Ontario était substantielle. Lionel Groulx (1878-1967) a déjà qualifié cette fusion forcée comme ayant été l’annexion du Bas-Canada (Québec) par le Haut-Canada (Ontario).

Le rapport de Lord Durham (1792-1840), déposé le 11 février 1839, traça la voie à suivre. Il fallait, selon Lord Durham, compter sur une immigration massive, afin « de noyer la population française sous le flot continu d’une immigration organisée méthodiquement, contrôlée au départ, accueillie à l’arrivée, et assurée d’une situation privilégiée dans la colonie », tel que bien résumé par Paul Vevret dans son article de 1953 intitulé « La population du Canada », dans la Revue de géographie alpine, p. 20.

La régression que connut alors le Québec fut très sévère. Elle dura de pleine force jusqu’en 1867, date de l’adoption de l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique (AANB) par le Parlement britannique. Cette deuxième constitution du Canada apportait un certain redressement par rapport à l’Acte d’Union de 1840, car elle rétablissait le gouvernement responsable du Québec, mais à l’intérieur d’une ‘confédération’ chapeautée par un gouvernement central dominé par une majorité anglophone. Elle plut énormément aux impérialistes anglophones de l’Ontario car l’AANB consacrait la minorisation irréversible des Canadiens français dans une structure fédérative où la langue anglaise domine, comme le rapport Durham l’avait proposée. Le fondateur du journal torontois The Globe (ancêtre du Globe & Mail), George Brown (1818-1880), écrivit :
« L’Union législative [de 1840] ne nous a pas permis de les assimiler (les Canadiens français) ; toutefois, une confédération des provinces nous permettrait au moins de leur couper les griffes et de leur arracher les dents. »
Et Brown d’écrire aussi «  Le canadianisme français [sera] entièrement éteint! ». 

En 1867, année de l'adoption de l'AABN, la population québécoise, en très grande majorité de langue maternelle française et une des deux nations fondatrices du Canada, coptait 43 pourcent de la population totale.

Au recensement de 1901, la population canadienne se chiffrait à 5,3 millions d'individus, dont 32 pourcent parlaient français.

En 1951, dans l'ensemble du Canada, la proportion de la population ayant le français comme langue maternelle est tombé à 29 pourcent. En 1996, cette proportion n'était plus que 23,5 pourcent.

Lors du recensement de 2011, la population canadienne ayant le français comme langue maternelle ne représentait plus que 22,0 pourcent du total. Au Québec, cependant, la population québécoise ayant le français comme langue maternelle représentait 79,9 pourcent de l'ensemble.

Présentement, la langue française est en baisse au Canada et au Québec, et cela pourrait s’accélérer dans les décennies à venir, si aucune mesure draconienne n’est prise pour renverser la tendance.

Selon les projections de Statistique Canada, en effet, la proportion des Canadiens de langue maternelle française au Canada ne représentera guère plus que de 17 à 18 pourcent de la population canadienne totale, en 2036. Au Québec, la même érosion est à prévoir car la proportion des Québécois et Québécoises de langue maternelle française est appelée à chuter à un niveau qui devrait se situer entre 69 et 72 pourcent, en l’an 2036.

3-  Le coup de force constitutionnel du gouvernement canadien contre le Québec au 20ème siècle

De 1867 jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, le gouvernement du Québec est demeuré une entité subalterne par rapport au gouvernement fédéral canadien, et c’est le clergé catholique qui suppléa à l’absence d’infrastructure sociale, en s’occupant des services d’éducation et de santé dans ‘la province’. Ce fut véritablement une période de Grande Noirceur pour le Québec. Au début de la guerre de 1939-1945, le gouvernement québécois du libéral d’Adélard Godbout (1892-1956) ira même jusqu’à transférer sept champs de taxation au gouvernement central, supposément pour la durée de la guerre, sans s’assurer du retour par contrat de ces champs d’impôts.

Il appartiendra au gouvernement d’Union nationale du Premier ministre Maurice Duplessis (1890-1959), dont la politique en était une d’autonomie provinciale, de tenter de rapatrier un à un les champs de taxation concédés au gouvernement canadien.

Le grand bond en avant de la Révolution tranquille (1960-1980)

L’arrivée au pouvoir, le 22 juin 1960, du gouvernement libéral de Jean Lesage (1912-1980) a signifié un réveil des Québécois francophones, lesquels ont commencé à s’imposer comme majorité incontournable au Québec. La période de deux décennies, soit celle qui s’étend de 1960 à 1980, est unique dans l’histoire du Québec, en ce qu’elle a vu l’émergence d’un État moderne et la montée d’une identité nationale au Québec. Et, comme l’avait recommandé auparavant Errol Bouchette (1862-1912) et Lionel Groulx, on vit alors apparaître une volonté de se servir du levier de l’État québécois pour promouvoir le développement économique du Québec et pour accentuer son rayonnement international. Avec Paul Gérin-Lajoie (1920-2018), on éleva l’accessibilité à l’éducation au niveau d’un puissant moyen d’émancipation des Québécois. Avec René Lévesque (1922-1987), on s’employa à accroître le contrôle des Québécois sur leur économie, à commencer par les richesses hydro-électriques.

L’élection du Parti Québécois, le 15 novembre 1976, compléta les acquis de la Révolution tranquille en légiférant pour placer la langue française dans le vécu de tous les jours (Loi 101); on consolida les acquis de civilisation en ce qui concerne le principe de l’égalité homme-femme, et on encouragea la prise de contrôle des principaux leviers économiques et financiers pour et par les Québécois (Québec Inc.), etc.

Une importante rupture constitutionnelle et politique est venue interrompre la poussée en avant de la Révolution tranquille (1960-1980)

En effet, un gouvernement canadien dirigé par Pierre Elliott Trudeau (1919-2000), en s’alliant à des provinces canadiennes anglophones, réussit à isoler le gouvernement du Québec, ce qui lui a permis de faire un coup de force constitutionnel contre le Québec. Ce coup d’état s’est produit en 1981-1982. Il a consisté à imposer au Québec des changements constitutionnels contre son gré — sans référendum populaire et sans l’accord du Parlement québécois — lesquels ont réduit considérablement les droits historiques et les pouvoirs du gouvernement du Québec, le seul gouvernement contrôlé par des francophones en Amérique du nord. L’objectif dominant était de faire en sorte de dénationaliser et de ‘provincialiser’ le Québec. Depuis ce coup d’état, le Québec subit une régression dans les domaines constitutionnel, politique, démographique et linguistique, la troisième de son histoire en autant de siècles.

Dans le livre que je viens de publier chez les Éditions Fides, « La régression tranquille du Québec, 1980-2018 », j’analyse les causes et les conséquences de cette régression et les raisons pour lesquelles les trois tentatives entreprises, à ce jour, pour corriger l’immense tort fait au Québec et à sa population par l’Acte constitutionnel de 1982, imposé au Québec, ont toutes échoué, en 1990, en1992 et en 1995. Cependant, je suis d’avis que si une telle régression n’est pas stoppée, il est possible qu’à terme, c’est la survie même de la nation québécoise qui est en danger.
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Rodrigue Tremblay auteur du livre « La régression tranquille du Québec, 1980-2018 », Montréal, Fides, 2018, 344 pages.


Observateur averti de la scène politique québécoise, économiste et ancien ministre, Rodrigue Tremblay relate et commente les grands évènements politiques d’une période cruciale dans l’histoire du Québec, celle qui va de 1980 à 2018. Sans complaisance et sans ménagement, il identifie les erreurs du passé et les défis futurs qui se posent pour le Québec et pour la nation québécoise.
Disponible dans toutes les librairies du Québec
chez Les éditions FIDES: 514-745-4290
ISBN :  978-2-7621-4218-1
en ligne sur Renaud-Bray, Amazon, Chapters, etc.


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Copyright © Rodrigue Tremblay, Université de Montréal