Éléments de politique


Vendredi, le 19 janvier 2018

Éléments de politique : L'influence de l'argent dans les affaires étrangères américaines. Le cas de l'Iraq, de la Libye, de la Syrie et de l'Iran

Auteur du nouveau livre « La régression tranquille du Québec (1980-2018) »
et des livres « Le nouvel empire américain » et « Le Code pour une éthique globale ».


« Je suis guidé par une mission divine. Dieu m’a dit : "George, va combattre ces terroristes en Afghanistan". Et je l’ai fait. — Et ensuite Dieu m’a dit 'George, va et mets fin à la tyrannie en Irak'. Et je l’ai fait. »
George W. Bush (1946-), président républicain américain, propos tenus lors d’une rencontre avec une délégation palestinienne en juillet 2003, lors du sommet israélo-palestinien à la station balnéaire égyptienne de Charm el-Cheikh.

« Ils [le président George W. Bush et le vice-président Dick Cheney] ont menti … Ils ont dit qu’il y avait des armes de destruction massive [en Irak]. Il n’y en avait pas. Et ils savaient qu’il n’y en avait pas. Il n’y avait pas d’armes de destruction massive.
— Nous [les États-Unis d’Amérique] avons dépensé $ 2000 milliards de dollars, perdu des milliers de vies. … De toute évidence, ce fut une erreur … George W. Bush a fait une erreur. Nous pouvons faire des erreurs. Mais celle-là fut toute une beauté. Nous n’aurions jamais du aller en Irak. Nous avons déstabilisé le Moyen-Orient. »
Donald Trump (1946- ), président républicain américain, propos tenus au cours d’un débat présidentiel du parti républicain sur la chaîne CBS, le samedi 13 février, 2016.

« Je connais bien les États-Unis d’Amérique, l’Amérique est une chose que vous pouvez déplacer très facilement, et la déplacer dans la bonne direction. Ils ne nous gêneront pas. »
Benyamin Nétanyahou (1949-), actuel Premier ministre israélien, propos tenus sur vidéo, en 2001, en s’adressant à des colons israéliens.

[Dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001, on m’a montré] « un document qui décrivait comment nous [États-Unis] projetions d’envahir sept pays en cinq ans, en commençant par l’Irak, puis la Syrie, le Liban, la Libye, la Somalie, le Soudan et, pour finir, l’Iran. »
Le général étasunien Wesley Clark (1944-), lors d’une entrevue vidéo le mardi 2 mars 2007, avec la journaliste Amy Goodman.

Tout comme le président républicain George W. Bush inventa le prétexte des « armes de destruction massive », en 2003, pour tromper les Américains et le reste du monde pour justifier une invasion militaire de l’Irak, Donald Trump, aujourd’hui, semble vouloir suivre ses traces. En effet, Trump semble être à la recherche d’un prétexte pour justifier une autre confrontation militaire au Moyen-Orient, cette fois-ci contre l’Iran. George W. Bush avait même dit à l’époque que c’était sa religion qui l’avait poussé à intervenir militairement en Irak quand il avait affirmé, dans une envolée toute empreinte d’illusion hallucinante, à l’été 2003, que « [Dieu] m’a dit de mettre fin à la tyrannie en Irak. »

Aujourd’hui, un autre président républicain américain, Donald Trump, semble se croire lui aussi en mission, soit celle d’attaquer un autre pays, en violation du droit international. Cette fois-ci, la cible de ses méchantes insultes quotidiennes est l’Iran, un pays dirigé par des théocrates, aux prises avec de sérieux problèmes intérieurs, tant économiques que politiques. Ce n’est pas d’hier que Donald Trump fait des déclarations incendiaires concernant les affaires intérieures de ce pays, dans l’espoir de provoquer une réponse et de justifier ainsi une agression militaire.

Donald Trump : « Nous n’aurions jamais dû être en Irak ».

Ce qui se passe présentement est d’autant plus étonnant et irréel que lors de la dernière campagne présidentielle américaine, le candidat Donald Trump a ouvertement accusé George W. Bush d’avoir menti pour envahir l’Irak, ajoutant lors d’un débat présidentiel sur la chaine CBS, le samedi 13 février, 2016, « Nous n’aurions jamais dû être en Irak, nous avons déstabilisé le Moyen-Orient ». Donald Trump souffre-t-il d’amnésie ou est-il simplement incohérent dans ses pensées ?

En réalité, malgré la propagande néoconservatrice contraire, en envahissant l’Irak, le gouvernement étasunien de George W. Bush et de Dick Cheney a profondément déstabilisé le Moyen-Orient, et ces deux politiciens ont causé la mort de centaines de milliers de personnes, hommes, femmes et enfants, et ils ont créé des millions de réfugiés, dont beaucoup d’entre eux se sont dirigés vers l’Europe. Mais peut-être encore plus dérangeant, d’un point de vue américain ou israélien, l’invasion militaire américaine de 2003 en Irak a considérablement augmenté l’influence géopolitique de l’Iran chiite dans la région, après la chute du gouvernement sunnite de Saddam Hussein (1937-2006) et l’intronisation d’un gouvernement chiite à sa place.

C'est là une constatation que j’ai faite dans mon livre sur la guerre en Irak, Le Nouvel empire américain. J’y déplorais non seulement l’illégalité d’une telle invasion militaire d’un pays souverain, en violation flagrante de la Charte des Nations Unies, mais aussi la sagesse d’une telle décision, puisque l’Iran allait sans doute profiter énormément de l’arrivée d’un gouvernement chiite à Bagdad... et c’est ce qui arriva.

Ce qui surprend, c’est que les deux présidents républicains étasuniens, George W. Bush et Donald Trump, ont reçu le même soutien financier et politique enthousiaste des mêmes ultra riches donateurs sionistes américains et celui des chrétiens évangéliques américains, bien que le soutien accordé à Bush fut plus important que celui dévolu à Trump aujourd’hui, parce que la toile de fond en 2002-2003 était celle des attentats du 11 septembre 2001. Aujourd’hui, en effet, Donald Trump est non seulement un président anormal; il est aussi un président minoritaire qui n’est guère soutenu par plus d’un tiers des Américains.

L’influence de l’argent est de plus en plus roi dans la politique étrangère des États-Unis, notamment en ce qui concerne le Moyen-Orient

De nos jours, l’argent parle fort dans la politique américaine, et le gros argent parle encore plus fort. Cela est en partie du à une décision controversée d’une Cour Suprême américaine partisane, rendue à 5 contre 4 en janvier 2010, dans laquelle elle faisait connaître son idéologie anti-démocratique, à savoir que « l’argent est une forme d’expression » dont il ne faut pas limiter indument l’influence lors d’une élection.

On a eu une idée de l’influence des contributions électorales de certains ultra riches donateurs (nommés « mégadonateurs »), lors de la course présidentielle du parti Républicain, en 2016. En effet, plus d’une douzaine de candidats à l’investiture de ce parti à la présidence américaine, Donald Trump en tête, ont promis à l’unisson de déplacer l’ambassade américaine en Israël, de Tel-Aviv à Jérusalem, en plus de promettre, s’ils étaient élus, de téléphoner au Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou lors de leur première journée passée à la Maison Blanche.

En date d’aujourd’hui, Donald Trump a déjà remboursé une partie de sa dette politique envers ses gros donateurs lorsqu’il a annoncé, en décembre dernier, sa volonté de déplacer l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. Mais même avant son investiture le 20 janvier 2017, l’entourage de Trump est intervenu activement en faveur d’un gouvernement étranger, le gouvernement israélien, auprès des Nations Unies.

Une telle soumission des politiciens américains aux vœux des méga contributeurs politiques peut expliquer, en partie du moins, pourquoi les États-Unis ont l’un des taux de participation électorale les plus bas parmi les démocraties mondiales modernes. Lors de l’élection présidentielle américaine de novembre 2016, par exemple, un peu moins de 56 % des citoyens ayant le droit de vote s’en sont prévalu, soit un creux depuis 20 ans. Selon le Centre de recherche Pew, parmi les 35 pays hautement développés de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les États-Unis se classent au 28ème rang en ce qui concerne le taux de participation à de récentes élections nationales. Par exemple, les taux de participation électorale en Belgique (87 %), en Suède (83 %) ou au Danemark (80 %) ont été beaucoup plus élevés.

À cause justement de l’influence exagérée de l’argent dans la politique américaine et parce que les lobbies pro-israéliens font partie des donateurs politiques les plus importants, la politique américaine au Moyen-Orient est de plus en plus biaisée en faveur du gouvernement israélien et elle tend à refléter les désidératas des lobbies pro-israéliens. Il semble de facto exister une sorte d’axe américano-israélien au Moyen-Orient, auquel se joint de plus en plus l’Arabie saoudite.

En effet, il est impossible de comprendre ce qui se passe dans cette partie du monde depuis des décennies, avec son cortège de guerres, de destructions, de réfugiés et de morts, sans tenir compte de l’influence écrasante de cet axe qui dépasse les lignes partisanes à Washington. D.C. [Dans un discours pendant la primaire démocrate en Pennsylvanie, en avril 2008, alors qu’elle était candidate à la présidentielle, Hillary Clinton a déclaré: « Si je suis élue présidente, nous allons attaquer l’Iran ... Nous serons en mesure de les rayer complètement de la carte! »]

Une opération conjointe américano-israélienne contre l’Iran semble présentement en cours

Lorsque le gouvernement américain souhaite déstabiliser un gouvernement étranger et créer les conditions pour un changement de régime, il faut être à l’affût d’une opération sous fausse bannière (‘false flag’, en anglais), laquelle a de fortes chances d’être l’œuvre d’organisations de renseignement ou celle d’opérations spéciales étrangères. Il existe, en effet, des organisations plus ou moins secrètes, bien financées, et dont la mission première consiste à déstabiliser politiquement des pays jugés hostiles, en prétendant vouloir, non sans une certaine hypocrisie, défendre les droits humains.

Comme l’a révélé le général étasunien Wesley Clark (1944-) en 2007 (voir la citation ci-dessus), l’Iran est le dernier pays visé sur une longue liste de pays que le gouvernement américain a dans sa mire. Le fait que des médias superficiels n’osent pas informer leurs lecteurs ou leurs auditeurs de l’existence de tels programmes, pourtant bien connus, n’est rien de moins qu’un scandale journalistique.

Un tel programme de changement de régime cadre bien avec le « plan stratégique américano-israélien » contre l’Iran qui a récemment été dévoilé. C’est, en effet, une grande coïncidence que les troubles les plus importants observés en Iran depuis 2009 arrivent juste après la conclusion d’un tel accord entre les États-Unis et Israël (assistés de l’Arabie saoudite), pour déstabiliser l’Iran. En effet, dans leurs relations avec l’Iran, les États-Unis et Israël semblent agir comme une seule entité politique.

Cela pourrait aussi expliquer pourquoi le président Donald Trump, contre toute logique, insiste pour déclarer que le gouvernement iranien est en violation de l’Accord sur le nucléaire iranien, même si l’ONU et les cinq autres pays signataires (Chine, France, Russie, Royaume-Uni et Allemagne) sont tous d’accord pour dire que l’Iran respecte l’entente. Le 12 janvier dernier, Trump a renouvelé ses accusations contre l’Iran Deal, sans toutefois retirer son pays de l’accord, mais en ajoutant de nouvelles conditions et sanctions économiques contre l’Iran, un acte qui est, en soi, une violation de l’accord. Le seul gouvernement qui viole l’Iran Deal est le gouvernement de Donald Trump, pas le gouvernement iranien.

En ce qui concerne l’Iran, Donald Trump semble avoir fait sien le programme néoconservateur qui existe depuis longtemps à l’intérieur du gouvernement étasunien, pour soumettre ce dernier pays au même plan global de déstabilisation, lequel a été mis en œuvre avec succès contre l’Irak en 2003, contre la Libye en 2011 et contre la Syrie en 2013, sans oublier bien sûr le coup d’État fomenté en Ukraine en 2014.

Peu importe qui siège à la Maison Blanche ou quel parti politique contrôle le Congrès américain, à un moment donné, les mêmes forces politiques sont à l’œuvre, c’est toujours la même politique étrangère américaine inspirée des néocons qui domine au Moyen-Orient. Barack Obama était quelque peu hésitant à appliquer les mêmes politiques qu’un George W. Bush ou qu’un Donald Trump. Toutefois, les résultats sont toujours les mêmes : des gouvernements sont renversés et des gens sont tués.

Conclusion

En matière de politique étrangère comme dans d’autres domaines, le gouvernement de Donald Trump va de l’avant avec des politiques douteuses et improvisées sans prendre en considération toutes les conséquences. Les crises viendront plus tard.


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Rodrigue Tremblay est professeur émérite d’économie à l’Université de Montréal et un ancien ministre dans le gouvernement québécois.

On peut le contacter à l’adresse suivante : rodrigue_tremblay@yahoo.com.





Il est l’auteur du nouveau livre « La régression tranquille du Québec (1980-2018 »

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Mis en ligne, le vendredi 19 janvier 2018.
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© 2018 par Prof. Rodrigue Tremblay

Les conséquences économiques des politiques commerciales et fiscales du gouvernement Trump

le vendredi 17 novembre 2017

Par le Professeur Rodrigue Tremblay


Auteur du nouveau livre « La régression tranquille du Québec (1980-2018) »


« Nous devons nous efforcer de favoriser la croissance du commerce international, et ne pas essayer de dresser des barrages au commerce, mais plutôt d'ouvrir les marchés étrangers et de ne pas fermer les nôtres ».
Le président Ronald Reagan (1911-2004), dans une allocution radiodiffusée à la Nation sur le commerce libre et équitable et le déficit budgétaire, le 16 mai 1987.

« Les véritables partisans du libre-échange considèrent le libre marché et le commerce, intérieur comme international, du point de vue du consommateur (c'est-à-dire de nous tous), tandis les mercantilistes du 16ème siècle ou ceux d'aujourd'hui, voient le commerce du point de vue de l'élite au pouvoir, c’est-à-dire une alliance entre le monde des affaires et le gouvernement ».
Murray Rothbard (1926-1995), économiste américain, (dans un article de 1983, «The NAFTA Myth», Mises Daily, 30 novembre 2013)

« ... Je pense que nous sommes aujourd’hui beaucoup plus en sécurité et j'espère qu’on ne verra pas [une autre crise financière] de notre vie, et je ne crois pas que ce sera le cas. »
Janet Yellen (1946-), Présidente de la Réserve fédérale américaine, (déclaration faite le mardi 27 juin 2017, à Londres, Royaume-Uni)


Des changements soudains dans les politiques commerciales et fiscales, comme ceux que contemple le gouvernement étasunien de Donald Trump, sont de nature à perturber l'équilibre macroéconomique, surtout si de tels changements entraînent une poussée soudaine de l'inflation et une hausse rapide des taux d'intérêt. En effet, hausser les taxes à l’importation, rapatrier de l’étranger les profits des sociétés américaines et accroître simultanément le déficit budgétaire, lorsque l'économie tourne déjà à plein régime, est de nature à créer une inflation accrue, que ce soit du côté de la demande ou du côté de l'offre. Cela pourrait arriver beaucoup plus rapidement que ce que la plupart des gens anticipent, si toutes ces mesures étaient finalement adoptées par le Congrès américain.

Après 35 ans d’abaissement des taux d'inflation et de baisse des taux d'intérêt nominaux et réels depuis 1982, le vent est en train de tourner, en partie à cause des politiques populistes et protectionnistes proposées par le gouvernement Trump. Dans un contexte où des taux d’inflation accrus et des taux d’intérêt plus élevés ne sont pas pleinement anticipés, une politique de hausse des taxes à l’importation et des déficits budgétaires gonflés, au moment même où la banque centrale américaine s’apprête à hausser son taux directeur, peuvent avoir un effet net de ralentissement sur l’économie. De plus, comme la récession de 2008-2009 s’est terminée en juin 2009, l'influence du cycle économique de 9,2 ans sur l’économie américaine ne peut être sous-estimée.
Voyons voir pourquoi.

1. La politique protectionniste de Donald Trump sera inflationniste

Pour Trump et ses conseillers, le commerce international est une sorte de jeu à somme nulle. C'est, à leurs yeux, une proposition de gagnant/perdant. Lorsque les pays concluent des accords de commerce international, certains pays sortent « gagnants » et d'autres sortent « perdants ». C'est cependant là une théorie du commerce international qui a été complètement discréditée. En effet, rien ne peut être plus loin de la vérité parce que le commerce international, dans la plupart des cas, est plutôt une proposition de gagnant/gagnant, laquelle fait en sorte que les travailleurs, les investisseurs et les consommateurs des pays gagnent à commercer.

Le commerce international est ce qui fait la prospérité des économies et tous les pays tirent profit du commerce international, à des degrés divers. La plupart des économistes s'accordent à dire que, dans le contexte actuel, le protectionnisme est une voie sans issue, laquelle peut s’avérer dangereuse pour l'économie américaine et pour des partenaires commerciaux, tel que le Canada.

Cependant, le président américain Donald Trump semble vouloir implanter — à en juger par ses déclarations à tout le moins — un système de « commerce international administré » et d'une planification gouvernementale, de préférence bilatérale, et cela, non pas pour un secteur économique particulier pour des raisons sociales et économiques, mais dans tous les secteurs. Un tel système a été essayé dans l'ancienne Union Soviétique, et ce système économique s'est effondré en 1991. En fait, Donald Trump semble vouloir répudier soixante ans de coopération économique multilatérale accrue entre les pays, basée sur les lois économiques et la comptabilité macroéconomique. Il souhaite adopter une approche mercantiliste et protectionniste dans les relations économiques internationales, à savoir la recherche d’un solde positif dans les échanges extérieurs — semblable à celle qui prévalait aux XVIIe et XVIIIe siècles en Europe. En d'autres termes, cela a été essayé plusieurs fois dans le passé.

Si le gouvernement de Donald Trump réussit à persuader le Congrès américain de jouer à l'apprenti sorcier avec le commerce international et l'investissement international, il en résulterait une contraction dans les flux de commerce international, la productivité du travail diminuerait et les coûts de production augmenteraient, des emplois seraient perdus, les revenus réels diminueraient même si certains salaires nominaux augmenteraient, l'inflation reprendrait et il en irait de même des taux d'intérêt nominaux. Ce ne serait qu'une question de temps avant que les économies nationales ne reviennent à une situation de stagflation semblable à celle qui prévalait dans les années 1970.

2. La situation commerciale des États-Unis.

En 2016, le déficit commercial total des Etats-Unis, en biens et services, s'élevait à 502 milliards de dollars. En effet, au cours de cette année, les États-Unis ont importé pour 2,711 milliards de dollars US de biens et de services, tout en exportant 2,209 milliards de dollars US.

La même année, les États-Unis accusaient un déficit de 750 milliards de dollars dans leur commerce de marchandises, mais enregistraient un excédent commercial de 248 milliards de dollars pour leur commerce de services (services financiers, assurances et services bancaires, redevances et droits de licence, transports et services aux entreprises, etc.). Cela montre que le secteur américain des services est très compétitif sur le marché mondial et qu’il est une source importante d'emplois. L’excédent dans le commerce des services couvre en partie le déficit du commerce de marchandises.

3. L’ajustement de la balance globale des paiements américains

Bien sûr, il faut aussi tenir compte des mouvements de capitaux. En réalité, la source des déficits commerciaux américains se trouve dans l’endettement extérieur des Etats-Unis. C’est un pays qui souffre d’un déficit chronique d’épargnes intérieures et qui doit, en conséquence, emprunter des capitaux des autres pays, sur une base nette, année après année. Ce sont ces emprunts nets auprès de prêteurs étrangers qui financent son déficit dans sa balance courante. Par le fait même, de tels emprunts permettent de maintenir élevé les dépenses de consommation américaines. En particulier, ces emprunts financent une part importantes des énormes déficits budgétaires enregistrés année après année par le gouvernement américain. En 2016, par exemple, le déficit budgétaire gouvernement américain s'élevait à 552 milliards de dollars.

Ainsi donc, la raison principale pour laquelle les États-Unis, en tant que pays, enregistrent des déficits commerciaux, vient du fait qu'ils dépensent trop et n'épargnent pas assez. C’est le cas tout particulièrement du gouvernement central étasunien, dont les multiples guerres à l'étranger sont en grande partie financées à crédit. (Le coût de ces guerres depuis 2001 atteint, directement et indirectement, une somme astronomique qui dépasse $ 5000 milliards de dollars US).

Les États-Unis, dans leur ensemble, dépensent davantage que ce qu'ils gagnent, ce qui signifie qu’ils doivent, en tant que pays, emprunter auprès de prêteurs étrangers pour financer leur déficit extérieur. En d'autres termes, les États-Unis vivent au-dessus de leurs moyens. Or, les politiciens américains veulent baisser les impôts d’un montant égal à 1500 milliards de dollars US, au cours des dix prochaines années, et accroître le déficit fiscal du gouvernement américain. Ils ne semblent pas voir le lien qui existe entre leur désépargne, d’une part, et leur endettement extérieur et leur déficit extérieur, d’autre part.

Le président Trump prétend vouloir corriger les déficits commerciaux en biens et en services de son pays en réduisant unilatéralement les importations américaines et en augmentant les exportations. Mais le commerce international est une voie à double sens : les pays paient pour leurs importations avec leurs exportations. Une telle approche du protectionniste pourrait facilement mener à des représailles et à même à des guerres commerciales, et le résultat pourrait être catastrophique. Si cela se produisait, en effet, tout le système commercial international se contracterait et cela entraînerait un ralentissement économique mondial auquel aucun pays ne pourrait échapper.

Le gouvernement de Donald Trump devrait éviter de prendre des décisions irréfléchies concernant l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), un traité commercial historique qui a pris des années à négocier et à mettre en œuvre. L'idée même de mettre fin unilatéralement à un accord commercial qui fonctionne bien, avec l’idée de repartir à zéro, est une proposition dangereuse. Cela pourrait avoir de graves conséquences économiques et politiques. C’est une voie qui comporte de nombreuses embûches imprévisibles et ce n’est certes pas une approche sensée.

À la base, si un pays veut vraiment réduire son déficit commercial avec d'autres pays, il devrait cesser de s’endetter en empruntant à l’étranger et il devrait se mettre à épargner davantage. Imposer des taxes d'accise à la frontière et jouer avec d'autres politiques protectionnistes ne modifierait guère la cause sous-jacente des déficits extérieurs.

4. Le rôle du dollar américain dans les échanges internationaux pourrait être remis en cause

Un part du déficit commercial annuel des États-Unis avec le reste du monde résulte du fait qu'une grande partie du commerce international multilatéral est financée en dollars américains et que cette monnaie sert de monnaie de réserve pour de nombreux pays. Les autres pays paient les États-Unis pour l'utilisation de services bancaires en dollars américains. Ces revenus externes sont appelés seigneuriage. Cela permet aux États-Unis d'importer plus de marchandises qu'ils n'en exportent au cours d’une année donnée en empruntant des capitaux à meilleur taux.

En effet, les États-Unis, en raison de la taille de leurs marchés monétaires et financiers, sont les détenteurs d'une monnaie de réserve mondiale, le dollar américain. Cela garantit une forte demande pour les dollars américains et pour les instruments de dette américains. Imaginez quel serait le coût des marchandises importées aux États-Unis s'il y avait une baisse de la demande pour le dollar américain ?

Certains pays tentent depuis quelque temps de recourir à d'autres devises pour financer leur commerce international. Par exemple, la Chine a demandé à l'Arabie saoudite d'accepter sa monnaie, le yuan, comme moyen de paiement pour ses importations de pétrole. De plus, le Fonds Monétaire international reconnaît aujourd’hui la monnaie chinoise comme monnaie de réserve internationale. Si les États-Unis devaient mettent fin à leur politique de coopération économique internationale, leur influence économique et financière diminuerait et un autre pays pourrait probablement prendre le relais.

5. Les politiques fiscales peuvent être inflationnistes si elles stimulent davantage une économie qui roule déjà à plein régime

Le gouvernement de Donald Trump et ses allies républicains du Congrès souhaitent réduire substantiellement les impôts personnels et ceux des sociétés, et sont prêts à accepter une augmentation substantielle des déficits budgétaires annuels et de la dette publique américaine. Et ironie, si cette politique budgétaire devait conduire à davantage d'emprunts à l'étranger, cela contredirait en partie les objectifs poursuivis par la politique commerciale protectionniste. En effet, une telle augmentation des emprunts américains à l'étranger renforcerait la valeur de la devise étasunienne, ce qui serait de nature à encourager les importations tout en nuisant aux exportations. Un déficit budgétaire plus important exercerait également des pressions sur les taux d'intérêt. Les marchés financiers (obligations et actions) en souffriraient et cela aussi aurait un effet récessioniste sur l'économie.

Tout cela se produirait alors que les inégalités de revenu et de richesse aux États-Unis sont les plus fortes depuis un siècle et qu’une bulle spéculative sur les marchés financiers peut éclater à tout moment.

Conclusion

Il serait dans l’ordre des choses que le gouvernement de Donald Trump coordonne ses politiques commerciale et fiscale. Il devrait y penser à deux fois avant de bouleverser de fond en comble le système actuel de commerce international et d'investissement internationaux, et il devrait veiller à ne pas surchauffer une économie qui fonctionne déjà à presque plein régime. Sinon, cela pourrait déclencher la prochaine récession économique.



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Rodrigue Tremblay est professeur émérite d’économie et de finance internationale à l’Université de Montréal.

On peut le contacter à l’adresse suivante : rodrigue_tremblay@yahoo.com.




Il est l'auteur du nouveau livre « La régression tranquille du Québec (1980-2018) »
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Mis en ligne, le vendredi 17 novembre 2017.
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© 2018 by Dr. Rodrigue Tremblay