Vendredi, le 20 octobre 2023, 

Dangers et leçons à tirer de la sempiternelle guerre israélo-palestinienne, une vue globale

Par Rodrigue Tremblayprofesseur émérite de sciences économique et ancien ministre de l'industrie et du commerce québécois, et auteur du livre géopolitique « Le Nouvel empire américain », l'Harmattan, 2004, et auteur du livre « La régression tranquille du Québec, 1980-2018 », Fides, 2018. 

[Opérations sous fausse bannière] : « Les pouvoirs en place comprennent que pour créer l'atmosphère appropriée à une guerre, il est nécessaire de créer au sein de la population en général une haine, une peur ou une méfiance à l'égard des autres, que ces autres appartiennent ou non à un certain groupe de personnes ou à une religion ou à une nation.» James Morcan (1978- ), acteur, écrivain et producteur né en Nouvelle-Zélande et résidant en Australie, 2014.

« Je connais bien l'Amérique. L'Amérique est une chose que l'on peut très facilement déplacer dans la bonne direction. Il ne nous gêneront pas.» Benyamin Nétanyahou (1949- ), premier ministre israélien (1996-1999), (2009-2021) et (2022- ), déclaration dans une vidéo en 2001, parlant à des colons israéliens en Cisjordanie, (cité dans "Netanyahu: 'America is a thing you can move very easily', The Washington Post, July 16, 2010).

« Nous devons nous rappeler qu'en temps de guerre, ce qui est dit du côté du front ennemi est toujours de la propagande, et ce qui est dit de notre côté du front est la vérité et la justice, la cause de l'humanité et une croisade pour la paix. » Walter Lippmann (1889-1974), journaliste américain, (tiré de son livre 'Public Opinion', 1922).

« Ceux qui veulent contrecarrer la création d'un État palestinien devraient soutenir le renforcement du Hamas et le transfert d'argent au Hamas. » ... « Cela fait partie de notre stratégie — isoler les Palestiniens de Gaza des Palestiniens de Cisjordanie. » Benyamin Nétanyahou (1949- ), premier ministre israélien (1996-1999), (2009-2021) et (2022- ), déclaration faite en 2019, telle que rapportée dans le 'Times of Israel', le 8 octobre 2023.

Introduction

De nos jours, presque toutes les guerres, impliquant des gouvernements qui ont accès à d'énormes moyens de propagande, sont soit délibérément provoquées, soit simplement le résultat d'opérations sous fausse bannière, dissimulées et camouflées sous un manteau de mensonges et de fausses nouvelles. En temps de guerre, toutes les parties mentent. Des médias passifs ou complaisants aidant, il n'y a pas une personne distraite sur cent qui peut y voir clair.

Les affrontements à coups de roquettes et de missiles entre le Hamas islamiste et Israël, et les atrocités et les crimes de guerre commis contre des civils, ne sont pas nouveaux. Cette flambée de violence est, en réalité, la continuation d'un conflit historique qui se poursuit et qui va même en empirant.

En effet, il y a deux ans, en mai 2021, il s'est produit de sérieuses émeutes à l'esplanade des Mosquées, à Jérusalem, lesquelles ont fait 520 blessés parmi les Palestiniens et 32 blessés parmi les policiers. Il s'en était suivi une escalade entre Israël et le Hamas. Ce dernier avait lancé plus de 1000 roquettes vers Israël, tandis que l'armée israélienne avait lancé un déluge de feu sur la bande de Gaza, causant plus de 150 morts palestiniens et 10 morts du côté israélien.

Il y a six mois, soit les 5 et 6 avril, 2023, de nouvelles émeutes se sont produites à la mosquée al-Aqsa, à Jerusalem.

Il est donc surprenant que les attaques du Hamas à coups de roquettes, le samedi 7 octobre 2023, et baptisées 'Déluge d'al-Aqsa' par les Palestiniens, semblent avoir pris tellement d'observateurs par surprise.

De même, on ne peut que demeurer perplexe quand le gouvernement israélien, lui même, dit avoir été pris par surprise, alors que ses relations avec les populations palestiniennes sont très tendues, tout particulièrement depuis 2021.

Néanmoins, l'Agence France-Presse a publié la version officielle selon laquelle il y aurait eu un « échec des services de renseignement israéliens » à prédire l'offensive militaire du Hamas contre des villes israéliennes, laquelle offensive, dit-on, se préparait « depuis plus d'un an » et que certains qualifient maintenant de 11 septembre israélien !

Fait significatif, l'agence de nouvelles a aussi rapporté que le ministre israélien de la Défense Yoav Gallant (1958- ) a déclaré : « Nous changerons la réalité sur le terrain à Gaza ». « Ce qui existait avant ne sera plus. »

Le même ministre a déclaré lundi le 9 octobre qu'il imposait « un siège complet » à la bande de Gaza : « Il n'y aura pas d'électricité, pas de nourriture, pas de carburant, tout est fermé. » Ajoutant, « Nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence », oubliant que les nazis qualifiaient les Juifs allemands de 'sous-hommes' (Untermenschen), pour justifier un génocide.

Pour sa part, le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou (1949- ), un politicien ultra-orthodoxe partisan de « Eretz Israël », le « Grand Israël » de la Bible, a proclamé que « Israël et la bande de Gaza sont en guerre. »

Il faut souligner, par ailleurs, que la bande de Gaza est entourée par un mur de 64 kilomètres de long et d'une hauteur de six mètres, muni d'une barrière souterraine. De plus, cette enceinte est équipée de censeurs, de caméras et d'un système de surveillance automatique lequel est relié à un centre de commandement sous la surveillance de soldats.

Qu'est-ce qui retourne de tout cela ?

Comment expliquer que le gouvernement israélien de Nétanyahou n'eut aucune idée que le Hamas préparait une attaque ?

La question est de savoir pourquoi et comment l'armée et la marine israéliennes, lesquelles imposent un blocus terrestre et maritime serré à tout ce qui entre dans la bande de Gaza depuis 2007, de même que les services secrets du Mossad, aient pu ne pas savoir ce qui se préparait.

Est-ce que cela est vraisemblable ? A-t-on fermé volontairement les yeux ? Il semblerait crucial pour la suite des choses d'élucider pareil mystère.

L'explication alternative serait que nous soyons possiblement en présence d'un laissez-faire plus ou moins volontaire de la part de certaines autorités, à commencer par le premier ministre Nétanyahou lui-même, en ne prenant pas les précautions nécessaires pour empêcher une flambée d'attaques militaires de la part du Hamas.

D'une part, une telle négligence n'était pas sans poser une menace à la population civile israélienne. D'autre part, comme cela est arrivé dans le passé, la population palestinienne allait devoir subir des bombardements israéliens meurtriers, conséquence d'une réaction de vengeance de la part du gouvernement israélien. À ce titre, que signifie la déclaration ci-haut mentionnée du ministre israélien de la Défense, immédiatement après les attaques du 7 octobre, à l'effet qu'à Gaza, « ce qui existait avant ne sera plus » ?

Pourquoi les avertissements répétés d'une attaque imminente ont-ils été ignorés ?

Plus fondamentalement, peut-être, comment interpréter le reportage selon lequel le ministre égyptien des renseignements, le général Abbas Kamel, a appelé Nétanyahou des jours avant les attaques du Hamas, l'avertissant que les militants à Gaza préparaient «quelque chose d'inhabituel, une opération terrible. » ?

Les Égyptiens furent consternés devant l'indifférence de Nétanyahou après qu'on lui ait transmise une information fiable.« Nous avons averti à plusieurs reprises les Israéliens que la situation avait atteint le point d'explosion et qu'elle serait très grave. Mais ils l'ont pris à la légère » a affirmé un responsable des services égyptiens, tel que rapporté par le journal Le Figaro.

Ces avertissements ont été ignorés et ont été rejetés par le bureau du premier ministre comme étant une fausse nouvelle ! Si c'est le cas, pourquoi ne pas avoir néanmoins enquêté et pourquoi ne s'y être point préparé à y faire face, par simple précaution ?

D'autant plus que la nouvelle selon laquelle le gouvernement Nétanyahou avait été prévenu, plusieurs jours avant les attaques du Hamas, a été confirmée par le président de la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants des États-Unis, Michael McCaul (R-Tex), ce dernier étant en possession de renseignements classifiés.

La question se pose donc : le gouvernement Nétanyahou a-t-il réellement été confronté à une attaque imprévue de la part du Hamas, ou sommes-nous plutôt en présence d'une guerre qui a été possiblement facilitée, par omission ou autrement ? Dans ce dernier cas, cela pourrait être politiquement explosif pour le gouvernement Nétanyahou. Ce serait, en fait, bien plus qu'une simple négligence.

Beaucoup d'Israéliens croient que ce fut effectivement le cas. Selon un sondage réalisé jeudi, le 22 octobre, une écrasante majorité de 86 pourcent des Israéliens estiment que leur gouvernement et Nétanyahou en tête sont responsables des attaques et du massacre qui se sont produits en Israël. En outre, plus de la moitié des Israéliens croient que Nétanyahou devrait démissionner.

Le célèbre journaliste d'enquête américain, Seymour Hershestime pour sa part que M. Nétanyahou devra répondre de sa gestion devant la population et que ses jours au pouvoir seraient comptés. Il semble y avoir un plan pré-établi du gouvernement Nétanyahou pour éradiquer le Hamas, raser Gaza et expulser la population palestinienne.

Comme dans tout autre conflit, il importe de poser la question Cui bono ? ou, à qui le crime profite en bout de ligne ?

Cette 'nouvelle' guerre israélo-palestinienne, présentée comme une 'surprise', pourrait bien arriver à point donné pour les politiciens Benyamin Nétanyahou et Joe Biden (1946- ).

• D'une part, le nouveau gouvernement de coalition du Premier ministre Nétanyahou, élu à la fin de 2022, est le plus à droite de l'histoire d'Israël. En effet, il s'est allié à des formatons sionistes d'extrême droite et anti-palestiniennes, lesquelles proposent l'annexion d'une partie de la Cisjordanie (West Bank), un territoire occupé par Israël depuis 1967.

D'autre part, Nétanyahou a provoqué des manifestations monstres anti-gouvernement dans son pays, quand il a fait adopter un projet de refonte judiciaire pour favoriser les extrémistes religieux qui font partie de son gouvernement.

Quant au président étasunien Joe Biden, il a déjà dit, à de multiples occasions, ici et ici, qu'il se considérait un 'sioniste'. Il a aussi affirmé que Nétanyahou était un « ami depuis des décennies » en plus d'affirmer que le soutien des États-Unis à Israël était « gravé dans le marbre et inébranlable ». Or, Biden fait présentement face à de mauvais sondages, tant pour sa gestion que pour son âge avancé.

En effet, à un an des élections présidentielles américaines, le candidat démocrate présomptif à la présidence a peu de chance d'être réélu, malgré les frasques de son adversaire républicain présumé, Donald Trump, ou qui que ce soit d'autre que les républicains choisissent comme candidat.

Seule une guerre de grande ampleur et impliquant les États-Unis serait de nature à changer la donne et à renflouer Biden politiquement.

Force est de constater que la guerre provoquée en Ukraine traîne de la patte, malgré les $200 milliards déjà 'investis' par le gouvernement américain et par plusieurs pays de l'OTAN dans cette guerre par procuration. Cela survient au moment où les républicains du Congrès étasunien s'opposent de plus en plus à ce que le gouvernement de Washington continue de servir de banquier au gouvernement ukrainien de V. Zelensky. De plus, les sondages montrent qu'une majorité d'américains ordinaires s'opposent à ce que leurs taxes et impôts s'en aillent en Ukraine alors qu'il existe des besoins criants au pays.

Une guerre très médiatisée en Israël, par contre, serait de nature à renforcer l'attrait de Joe Biden, auprès des électeurs et des donateurs favorables à Israël, aux États-Unis. D'ailleurs, Joe Biden s'est immédiatement hâté, dès le début du nouveau conflit israélo-palestinien de promettre une nouvelle aide militaire américaine de $14,3 milliards à Israël, au-delà des $3,8 milliards d'aide versés annuellement à ce pays.

Il ne faut pas oublier non plus que le premier ministre israélien et le président américain se sont rencontrés, à New York, deux semaines avant les attaques du Hamas, soit mercredi, le 20 septembre. Le compte rendu officiel de cette rencontre fait même état d'une « coopération étroite entre Israël et les États-Unis pour contrer toutes les menaces posées par l'Iran et ses mandataires ».

Une complication supplémentaire : la présence d'un important gisement de gaz naturel au large de la bande de Gaza

Pour souligner à quel point la situation est complexe dans cette partie du monde, il existe un important gisement de gaz naturel au large de la bande de Gaza, lequel pourrait être grandement profitable aux Palestiniens.

L'exploitation de ce champ gazier, baptisé Gaza Marine, fait l'objet de négociations entre le gouvernement israélien, l'Autorité palestinienne et l"Égypte. Tout cela implique nécessairement aussi le groupe du Hamas, concurrent de l'Autorité palestinienne sous le contrôle du parti Fatah.

Qui a le plus intérêt à faire échouer pareilles négociations ? Il est bien connu que le projet d'une occupation militaire de la bande de Gaza a, pour un de ses objectifs, de transférer la souveraineté des gisements de gaz naturel à Israël, en violation du droit international.

Les évènements à venir nous informeront davantage sur les dessous de cette nième guerre israélo-palestinienne, cette dernière semblant resurgir à tous les dix ans, quand le pourrissement atteint un niveau d'explosion.

Conclusions

Une première importante leçon géopolitique et morale se dégage du désastre humain des guerres à répétition entre Israéliens et Palestiniens : lorsque des dirigeants malavisés, sans vision, incompétents ou malhonnêtes laissent pourrir un problème politique, ce sont des personnes innocentes qui paient pour leur incurie.

Une deuxième grande constatation est bien celle que certains dirigeants en position pour le faire, ne font présentement rien pour renforcer les institutions internationales de paix, mais semblent plutôt attiser les conflits à travers le monde.

En troisième lieu, il faut dire que ce n'est pas seulement là où il y a des caméras et des photographes qu'il y a des atrocités et des crimes de guerre de commis. Les agressions qui consistent à lancer des missiles ou à larguer des bombes sur des populations tuent et massacrent tout autant des personnes (hommes, femmes et enfants), l'une que l'autre. Elles sont toutes les deux immorales.

Quatrièmement, les atrocités barbares et aveugles, perpétrées avec des armes modernes contre les populations civiles, sont non seulement illégales en regard du droit international, mais sont également inacceptables en vertu des principes humanitaires élémentaires.

Cinquièmement, on observe que les pires et insolubles conflits humains sont ceux qui reposent sur un fond de guerre de religion.

Finalement, les États qui ne respectent pas le droit international se créent des problèmes à eux-mêmes et sont une menace à la civilisation et à la paix mondiale.

____________________________________________________________________




Le Prof. Rodrigue Tremblay est professeur émérite d'économie à l'Université de Montréal et lauréat du Prix Richard-Arès pour le meilleur essai en 2018, La régression tranquille du Québec, 1980-2018, (Fides). Il est titulaire d'un doctorat en finance internationale de l'Université Stanford.



On peut le contacter à l'adresse suivante : rodrigue.tremblay1@gmail.com

Il est l'auteur du livre de géopolitique  Le nouvel empire américain et du livre de moralité Le Code pour une éthique globale, de même que de son dernier livre publié par les Éditions Fides et intitulé La régression tranquille du Québec, 1980-2018.

Site internet de l'auteur : http://rodriguetremblay.blogspot.com

Pour s'enregistrer et recevoir les articles par courriel, écrire "souscrire" à carole.jean1@yahoo.ca

Pour se désinscrire, écrire "désinscrire" à carole.jean1@yahoo.ca

Prière de faire suivre l'article ici.

Mis en ligne, le vendredi, 20 octobre 2023.

________________________________________________________________

© 2023 Prof. Rodrigue Tremblay

________________________________________________________________






Le "coup de force" du gouvernement fédéral contre le Québec, en 1982, a fait en sorte que le Québec est devenu une colonie intérieure, et pourquoi des correctifs s'imposent



Le samedi 23 septembre 2023

Le "coup de force" du gouvernement fédéral contre le Québec, en 1982, a fait en sorte que le Québec est devenu une colonie intérieure, et pourquoi des correctifs s'imposent

Par Rodrigue Tremblayprofesseur émérite de sciences économique et ancien ministre de l'industrie et du commerce québécois, et auteur du livre géopolitique « Le Nouvel empire américain », l'Harmattan, 2004, et auteur du livre « La régression tranquille du Québec, 1980-2018 », Fides, 2018. 

« Le Canada n'a pas d'identité propre; Il n'y a pas de culture dominante au Canada et (...) cela fait de nous le premier État post-national » Justin Trudeau (1971-), dans une entrevue au New York Times Magazine, 10 novembre, 2015.

« À ceux qui fuient la persécution, la terreur et la guerre, sachez que le Canada vous accueillera, indépendamment de votre foi. La diversité est notre force -#Bienvenue au Canada.» Justin Trudeau (1971-), dans un message sur Twitter, le 28 janvier 2017.

« Le multiculturalisme institutionnel [au Canada]...a été une mauvaise idée dès le début et, avec le temps, il apparaîtra probablement comme l'une des plus grandes erreurs de la politique publique récente au Canada » Robert Fulford (1932- ), journaliste canadien, (dans le journal Globe & Mail, le 19 février 1997).

« Le multiculturalisme chez nous menace les États-Unis et l'Occident; l'universalisme à l'étranger menace l'Occident et le monde. Tous les deux nient le caractère unique de la culture occidentale. » Samuel P. Huntington (1927-2008), politologue américain, (dans son livre 'Le choc des civilisations', 1996 en anglais et 2000 en français).

« Un niveau d'immigration supérieur à la capacité d'intégration ou d'assimilation d'une société n'est pas une immigration, mais une invasion.» Rodrigue Tremblay (1939-), le 10 février 2023.

Il est important de revenir sur le référendum tenu au Québec, le 20 mai 1980, et sur le coup de force du gouvernement fédéral canadien du temps, ce dernier s'en suivant pour dépouiller le Québec de droits et pouvoirs historiques.

1- Un plébiscite plutôt qu'un véritable référendum

Il faut dire, concernant le référendum tenu au Québec en 1980, que ce fut davantage un plébiscite qu'un véritable référendum. En effet, le gouvernement québécois du Premier ministre René Lévesque n'avait mis sur le bulletin de vote que sa seule option constitutionnelle, excluant les autres.

Siégeant alors à l'Assemblée nationale du Québec, j'étais en désaccord avec le plébiscite du gouvernement car je le trouvais trop risqué, d'un point de vue géopolitique. D'autant plus que le gouvernement fédéral du Premier ministre Pierre Elliott Trudeau ne s'était nullement engagé à respecter le résultat d'une telle consultation populaire. (Il faut rappeler que dans la tradition britannique, les référendums ne sont que consultatifs.)

En effet, j'estimais qu'en cas d'une défaite prévisible, une telle rebuffade de l'option du gouvernement du Québec par l'électorat pourrait placer le Québec à la merci du gouvernement fédéral canadien de Pierre Elliott Trudeau. Dans les faits, ce fut ce qui arriva.

À l'automne 1979, j'ai publié un livre 'La Troisième Option', dans lequel je proposais une renégociation du pacte fédéral, avant le rapatriement de l'Acte de l'Amérique du nord britannique de 1867, afin que le Québec puisse avoir un statut d'autonomie dans la nouvelle entente et avoir tous les pouvoirs spéciaux et prérogatives nécessaires à sa pérennité, compte tenu de son statut de seul territoire à majorité francophone, à l'intérieur de la fédération canadienne.

2- Pour être vraiment démocratique le référendum de 1980 aurait dû compter plus qu'une seule option constitutionnelle pour le Québec

En toute logique démocratique, un véritable référendum au Québec (comme celui tenu à Terre-Neuve en 1948, lequel comportait un choix entre trois options), aurait dû compter aussi trois options, soit : A- celle du gouvernement du Parti québécois (un mandat de négocier l'option de la Souveraineté-Association telle qu'explicitée dans un 'Livre Blanc') ; B- l'option d'un fédéralisme renouvelé de Claude Ryan (expliquée dans le 'Livre Beige' du Parti libéral du Québec) ; et C- un statut d'État autonome de type confédéral pour le Québec (avec les pouvoirs tels qu'explicités dans le livre 'La Troisième Option').

Si aucune option n'avait obtenu 50% des voix au premier tour, un second tour aurait été nécessaire (comme ce fut le cas à Terre-Neuve en 1948). L'exercice aurait été conforme au principe démocratique, car le résultat aurait reflété le choix majoritaire du peuple.

À l'époque, il ne semblait pas nécessaire de placer sur les bulletins de vote l'option connue de Pierre Elliott Trudeau. Cette dernière était, au mieux, le statu quo, et au pire, un fédéralisme davantage centralisé au niveau fédéral, avec des pouvoirs réduits pour le Québec. La raison étant qu'il était connu que cette option était rejetée par une grande majorité de la population québécoise. De plus, elle n'était point défendue par aucun parti ou membre de l'Assemblée nationale du Québec.

3- La défaite référendaire du gouvernement du Parti québécois, le 20 mai 1980, ouvrit la porte au rapatriement et à la modification de la constitution canadienne, sans la participation du Québec et sans l'acceptation du Gouvernement du Québec et de sa population

La défaite référendaire du gouvernement Lévesque fut sans équivoque avec un résultat de : Oui, 40% ; Non, 60%. Elle fournit un prétexte utile au gouvernement fédéral de P. E. Trudeau pour annoncer qu'il entendait procéder unilatéralement au rapatriement de l'Acte de l'Amérique du nord britannique (AANB) du Parlement britannique, et d'y ajouter des éléments nouveaux, lesquels se traduiraient par une diminution importante des droits historiques et des pouvoirs du Parlement du Québec.

Dan un tel contexte, tant le gouvernement du Québec que l'opposition officielle se trouvaient dans une position très désavantageuse pour faire échec au gouvernement fédéral et empêcher qu'il aille de l'avant avec son projet unilatéral.

D'une part, le chef du camp du Non, M. Claude Ryan, avait moralement 'gagné' le plébiscite de 1980, mais il n'état pas au pouvoir pour défendre son option en faveur d'un fédéralisme renouvelé, avec des pouvoirs accrus pour le Québec. D'autre part, le Premier ministre fédéral Pierre Elliott Trudeau était en poste à Ottawa et il pouvait tirer profit de la situation et vouloir imposer sa propre option constitutionnelle, laquelle n'avait jamais été discutée et débattue démocratiquement durant la période référendaire québécoise de 1980.

C'est un fait que le Premier ministre Lévesque a probablement manqué de jugement, en ne démissionnant pas après sa défaite référendaire, mais cela ne justifiait en aucun cas que le gouvernement fédéral veuille modifier unilatéralement la constitution canadienne, sans l'accord du Québec, et de retirer de force du Parlement québécois des droits et des pouvoirs historiques.

4- Le 'Groupe des huit' et le rôle de la Cour Suprême fédérale

Une autre démarche du gouvernement Lévesque à cette époque, en plus de ne point démissionner après sa défaite référendaire, fut de se joindre à sept autres gouvernements provinciaux pour former le Groupe des huit, dans le but de faire échec aux visées constitutionnelles unilatérales du gouvernement fédéral.

Comme je l'explique avec plus de détails dans mon livre 'La régression tranquille du Québec, 1980-2018', Fides, 2018, il a suffi au premier ministre canadien pour isoler le gouvernement du Québec et pour rallier les neuf provinces anglophones à sa cause, de faire des concessions mineures à ces dernières. Cela se produisit lors d'une nuit fatidique au Château Laurier à Ottawa, connue au Québec comme étant la 'Nuit des longs couteaux' du 4 novembre 1981, et cela, en l'absence des représentants du gouvernement québécois.

C'est ainsi que le Québec et sa population devinrent les victimes d'un 'coup de force' constitutionnel historique, lequel pava la voie à l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982, officiellement ratifiée le 17 avril 1982 par la Reine Elizabeth II. Cette loi, imposée au Québec et sans avoir jamais été signée par le gouvernement du Québec, ni acceptée par le peuple québécois lors d'un référendum constitutionnel en bonne et due forme, a retranché des pans entiers de droits et de pouvoirs historiques. Ce fut le cas notamment, en matières de langue, d'éducation, de culture et de laïcité, en vertu de l'esprit du Code civil du Québec, lequel date de l'Acte de Québec de 1774. Il s'agit de domaines qui relevaient auparavant de sa compétence et qui sont nécessaires pour assurer sa survie dans le temps comme seule province à majorité francophone dans la fédération canadienne.

 Il faut dire que la Cour suprême du Canada, un organe exclusivement fédéral, (contrairement à ce qui existe en Allemagne où un semblable tribunal est composé de juges à moitié nommés par le gouvernement central et à moitié par les länders ou provinces), contribua pour beaucoup à l'injustice faite au Québec en 1982. En effet, elle statua arbitrairement, le 28 septembre 1981, que le droit de veto traditionnellement exercé à plusieurs reprises par le Québec, une des quatre provinces signataires du pacte confédéral de 1867, et dont les modifications reposaient sur la règle de l'unanimité jusqu'alors, n'avait pas un fondement légal mais uniquement politique.

Cette interprétation lui permit de conclure que le rapatriement de la constitution canadienne de Londres et sa modification en profondeur pouvaient se faire pourvu qu'un « nombre suffisant » de gouvernements provinciaux soient d'accord, sans tenir compte des intérêts et prérogatives de la seule province à majorité francophone au Canada, le Québec.

La Loi constitutionnelle de 1982 a conféré d'importants pouvoirs à la Cour suprême du Canada, laquelle avait déjà profité du rapatriement des pouvoirs du Conseil Privé de Londres, en 1949, pour non seulement statuer sur la forme des lois adoptées démocratiquement par les parlements, mais aussi sur le fond.

Depuis, le gouvernement du Québec, notamment en matières de langue, d'éducation, de culture et de laïcité, tous des domaines qui relevaient auparavant de sa compétence exclusive, est soumis à l'arbitraire d'un gouvernement des juges fédéraux non élus, lequel organe peut modifier ou même renverser des lois adoptées démocratiquement.

L'idéologie politique du multiculturalisme insérée dans la Loi constitutionnelle de 1982 —laquelle faut-il le rappeler n'a jamais été signée par le gouvernement du Québec— a aussi servi de justification pour l'adoption d'une politique fédérale d'immigration super massive de remplacement de population, en très grande majorité intégrée au Canada anglais. Cette politique de surimmigration est l'œuvre du gouvernement fédéral libéral de Justin Trudeau, depuis 2015.

Le Canada est le seul pays au monde qui a constitutionnalisé une telle idéologie de multiculturalisme, de nature intrinsèque changeante ou facultative. À terme, cette idéologie est une menace au pouvoir politique du Québec et à la survie même de la nation canadienne-française dans son ensemble.

La centralisation politique et juridique au niveau fédéral canadien, injustement imposée au Québec depuis 1982, tend de facto à ramener le Québec, seul foyer majoritaire des francophones dans la fédération canadienne, au statut d'une colonie intérieure, soumise politiquement aux diktats du Canada anglais.

Une telle centralisation politique et juridique accrue et imposée de force a fait reculer les droits et pouvoirs historiques du Québec et de sa population de plus de 100 ans, soit depuis l'adoption de l'Acte de l'Amérique du nord britannique de 1867.

Il en a résulté une entorse majeure à la justice, à la démocratie et au droit des peuples de s'autogérer. En effet, c'est une réalité que depuis 1982, la démocratie canadienne a été placée dans un carcan politico-juridique.

Conclusion

Conséquemment,

Étant donné que le Loi constitutionnelle de 1982 a imposé, de force, une réduction des droits et pouvoirs historiques du Québec, notamment en matières de langue, d'éducation de culture et de laïcité, tous des domaines qui relevaient auparavant de sa compétence exclusive, et qui sont nécessaires pour assurer sa survie dans le temps comme seule province à majorité francophone ;

Étant donné que le Québec n'est pas une province comme les autres, parce qu'étant la seule province à majorité francophone au Canada et parce qu'il est inadmissible qu'on lui ait retiré de force des droits et pouvoirs existentiels, sans son consentement ;

Étant donné qu'une telle situation est susceptible de mener à terme, à la louisianisation du Québec et possiblement à sa disparition en tant que seul État à majorité francophone à l'intérieur de la fédération canadienne ;

Étant donné que ni le gouvernement du Québec, ni la population québécoise, n'ont été directement et démocratiquement consultés sur l'acceptation ou non de la Loi constitutionnelle de 1982 ;

Il s'en suit que des correctifs de nature politique doivent être apportés avant que des dommages irréparables ne résultent de la mise en tutelle du gouvernement du Québec et de l'assujettissement de la population québécoise à la majorité anglo-canadienne.

Par conséquent, le Parlement du Québec se doit de déclarer solennellement qu'il n'a jamais entériné la Loi constitutionnelle de 1982 et proclamer, dans les meilleurs délais, qu'il est un État autonome à l'intérieur de la fédération canadienne, avec tous les droits historiques et pouvoirs nécessaires à sa survie et à son développement.

Notons qu'il ne s'agit nullement d'un statut injustifié dans les circonstances, dans l'histoire et dans le droit, car il existe de tels états ou régions autonomes dans une quarantaine de pays dans le monde, tous établis pour permettre à d'importantes minorités linguistiques de survivre en toute justice et de prospérer dans la paix.

__________________________________________________________




Le Prof. Rodrigue Tremblay est professeur émérite d'économie à l'Université de Montréal et lauréat du Prix Richard-Arès pour le meilleur essai en 2018, La régression tranquille du Québec, 1980-2018, (Fides). Il est titulaire d'un doctorat en finance internationale de l'Université Stanford.



On peut le contacter à l'adresse suivante : rodrigue.tremblay1@gmail.com

Il est l'auteur du livre de géopolitique  Le nouvel empire américain et du livre de moralité Le Code pour une éthique globale, de même que de son dernier livre publié par les Éditions Fides et intitulé La régression tranquille du Québec, 1980-2018.

Site internet de l'auteur : http://rodriguetremblay.blogspot.com

Pour s'enregistrer et recevoir les articles par courriel, écrire "souscrire" à carole.jean1@yahoo.ca

Pour se désinscrire, écrire "désinscrire" à carole.jean1@yahoo.ca

Prière de faire suivre l'article ici.

Mis en ligne, le samedi, 23 septembre 2023.

________________________________________________________________

© 2023 Prof. Rodrigue Tremblay

________________________________________________________________


 







 

Le mercredi 9 août 2023

L'héritage moral d'Hiroshima et de Nagasaki

Par Rodrigue Tremblayprofesseur émérite de sciences économique et ancien ministre de l'industrie et du commerce québécois, et auteur du livre géopolitique « Le Nouvel empire américain », l'Harmattan, 2004, et auteur du livre « La régression tranquille du Québec, 1980-2018 », Fides, 2018. 

« Nous avons découvert la bombe la plus terrifiante de l'histoire du monde. C'est peut-être le feu de destruction prophétisé à l'époque de la vallée de l'Euphrate, après Noé et sa fameuse arche... Cette arme doit être utilisée contre le Japon... — [Nous) l'utiliserons pour que les objectifs militaires, les soldats et les marins soient la cible et non les femmes et les enfants. Même si les Japs sont des sauvages, impitoyables, cruels et fanatiques, nous, en tant que leader du monde pour le bien-être commun, ne pouvons pas lâcher cette terrible bombe sur l'ancienne capitale ou la nouvelle... — La cible sera purement militaire... Cela semble être la chose la plus terrible jamais découverte, mais elle peut être rendue la plus utile. » Harry S. Truman (1884-1972), 33è président étasunien, (dans  'Diary', le 25 juillet, 1945).

« Le monde prendra note que la première bombe atomique a été larguée sur une base militaire d'Hiroshima. C'est parce que nous souhaitions avec cette première attaque éviter, autant soit peu, le massacre de civils.» Harry S. Truman (1884-1972), 33è président étasunien, lors d'un discours radiophonique à la nation, le 9 août, 1945).

« En [juillet] 1945... le secrétaire à la guerre [Henry L.] Stimson, est venu me visiter à mon quartier général en Allemagne. Il m'a informé que notre gouvernement se préparait à larguer une bombe atomique sur le japon. Je faisais partie de ceux qui estimaient qu'il y avait un certain nombre de raisons impérieuses de remettre en question la sagesse d'un tel acte... Au cours de sa récitation des faits pertinents, j'ai été pris d'un sentiment dépressif et je lui ai donc exprimé mes graves appréhensions, d'abord sur la base de ma conviction que le Japon état déjà vaincu et que larguer la bombe était complètement inutile, et deuxièmement, parce que je pensais que notre pays devait éviter de choquer l'opinion mondiale avec l'utilisation d'une arme dont l'emploi n'était, à mon avis, plus nécessaire pour sauver des vies américaines... Je croyais que le Japon cherchait, à ce moment donné, un moyen de se rendre sans « perdre la face » complètement. Le secrétaire a été profondément troublé par mon attitude. » Le général Dwight D. Eisenhower, commandant suprême des forces alliées en Europe et 34ème président des États-Unis, de 1952 à 1960, (tiré de son livre 'Mandate For Change', p. 380).

« La civilisation mécanique vient d'atteindre son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l'utilisation intelligente des conquêtes scientifiques... Ce n'est plus une prière, mais un ordre qui doit monter des peuples vers les gouvernements, l'ordre de choisir définitivement entre l'enfer et la raison» Albert Camus (1913-1960), philosophe et auteur français, le 8 août, 1945.

« En tant que chrétiens américains, nous regrettons vivement l'utilisation irresponsable déjà faite de la bombe atomique. Nous sommes d'accord sur le fait que quelque soit le jugement de principe que l'on porte sur la guerre, les bombardements surprises d'Hiroshima et de Nagasaki sont moralement indéfendables. » Le rapport du Conseil fédéral américain des églises sur la guerre atomique et la foi chrétienne, 1946.

« Je pense que l'utilisation de cette arme barbare à Hiroshima et Nagasaki n'a été d'aucune utilité dans notre guerre contre le Japon. — Les conséquences meurtrières de la guerre atomique dans l'avenir sont effrayantes. J'estimais qu'en étant les premiers à l'utiliser, nous avons fait nôtre une position morale qui nous ramène à l'Âge des Noirceurs. » William D. Leahy (1875-1959), chef de cabinet des présidents Franklin D. Roosevelt et Harry S. Truman (tiré de "I Was There", p. 441).

Lorsque le président étasunien Harry S. Truman décida de recourir à la bombe atomique, une arme des plus barbare de destruction massive, contre les populations civiles japonaises des villes d'Hiroshima et de Nagasaki, le 6 août 1945 et le 9 août 1945, les États-Unis se sont trouvés à se ranger officiellement du mauvais côté de l'histoire.

Le général Dwight Eisenhower, commandant suprême des forces alliées en Europe et 34ème président des États-Unis de 1952 à 1960, l'a dit en quelques mots : « ... les Japonais étaient prêts à se rendre et il n'était pas nécessaire de les frapper avec cette chose horrible. » (Newsweek, 11 novembre 1963). Entre 90 000 et 120 000 personnes sont mortes à Hiroshima et entre 60 000 et 80 000 sont mortes à Nagasaki, pour un grand total de 150 000 à 200 000 morts parmi les plus cruelles qui soit. Il semblerait que la fibre morale du général Eisenhower était plus forte que celle du politicien franc-maçon Harry S. Truman, eu égard à l'utilisation de la bombe atomique.

En étant le premier pays à user l'arme nucléaire contre des populations civiles, les États-Unis étaient alors en violation directe des principes de guerre internationalement reconnus, concernant la destruction massive et aveugle de populations. Par conséquent, les évènements du mois d'août 1945 sont un dangereux et inquiétant précédent, en ce qu'ils ont ouvert la porte, pour la première fois, à la guerre nucléaire. On conviendra que ce fut un recul majeur dans l'histoire de l'humanité et une énorme régression morale.

Il y a de fortes chances que les générations futures voient dans l'utilisation de la bombe atomique contre les populations civiles japonaises d'Hiroshima et de Nagasaki l'exemple typique d'un crime contre l'humanité et un nouvel échelon dans l'ensauvagement de la guerre. Cela pourrait entacher la réputation des États-Unis pour des siècles à venir. On peut également penser que le président Harry S. Truman, en plus de mentir ouvertement au peuple américain concernant cette sordide affaire (voir les citations officielles ci-dessus), a laissé derrière lui un terrible héritage moral, aux conséquences incalculables, aux générations d'Américains à venir.

Des porte-paroles américains ont invoqué un argument pro domo pour essayer de justifier la décision de Truman, tel celui de sauver la vie de soldats américains en écourtant la guerre dans le Pacifique et en évitant le besoin d'une invasion militaire du Japon, conséquence d'une reddition japonaise rapide. Cette dernière a eu lieu, en effet, le 15 août 1945 et elle a été officialisée le 2 septembre avec la signature d'un document japonais de capitulation, près d'un mois après le bombardement des villes d'Hiroshima et de Nagasaki.

À titre de référence, l'Allemagne nazie avait capitulé le 8 mai 1945, et la Seconde Guerre mondiale était déjà terminée en Europe, trois mois auparavant. Il y avait aussi, chez Truman, la crainte diplomatique que l'Armée rouge soviétique puisse envahir le Japon, comme elle l'avait fait en Allemagne, privant ainsi les États-Unis d'une victoire nette et durement disputée contre le Japon.

Néanmoins, fin juillet 1945, selon des experts militaires, l'appareil militaire japonais était de facto vaincu. Il est également vrai que le Conseil suprême militaire japonais pour la direction de la guerre tergiversait dans le but d'obtenir de meilleures conditions de capitulation, avec l'espoir d'un règlement négocié, notamment en ce qui concerne le rôle futur de leur empereur Hirohito en tant que chef d'État officiel.

En Europe, les alliés avaient poussé une Allemagne nazie récalcitrante à accepter une capitulation sans condition, et il existait d'autres moyens militaires pour forcer le gouvernement japonais à se rendre.

Le prétexte commode de provoquer une reddition rapide ne pèse guère dans la balance, par rapport à l'énormité de larguer la bombe atomique sur deux cibles civiles. Et même si le président Truman avait été pressé de faire la démonstration de la puissance de la bombe atomique afin d'impressionner ses amis soviétiques — et peut-être aussi de s'affirmer en tant que personnalité politique vis-à-vis l'ancien président Franklin D. Roosevelt, décédé quelques mois auparavant, le 12 avril 1945  cela aurait pu se faire en ciblant des cibles militaires japonaises éloignées, et non en ciblant des villes entières fortement peuplées. Il semble qu'il n'y ait eu aucune considération morale dans cette prise de décision des plus inhumaines.

Conclusion

Depuis le mois fatidique d'août 1945, l'humanité s'est lancée dans une course désastreuse aux armements nucléaires, et elle avance vers le précipice les yeux grands ouverts et l'esprit fermé.

_____________________________________________________________




Le Prof. Rodrigue Tremblay est professeur émérite d'économie à l'Université de Montréal et lauréat du Prix Richard-Arès pour le meilleur essai en 2018, La régression tranquille du Québec, 1980-2018, (Fides). Il est titulaire d'un doctorat en finance internationale de l'Université Stanford.


On peut le contacter à l'adresse suivante : rodrigue.tremblay1@gmail.com

Il est l'auteur du livre de géopolitique  Le nouvel empire américain et du livre de moralité Le Code pour une éthique globale, de même que de son dernier livre publié par les Éditions Fides et intitulé La régression tranquille du Québec, 1980-2018.

Site internet de l'auteur : http://rodriguetremblay.blogspot.com

Pour s'enregistrer et recevoir les articles par courriel, écrire "souscrire" à carole.jean1@yahoo.ca

Pour se désinscrire, écrire "désinscrire" à carole.jean1@yahoo.ca

Prière de faire suivre l'article:

https://rodriguetremblay.blogspot.com/2023/08/lheritage-moral-dhiroshima-e-de-nagasaki.html

Mis en ligne, le mercredi, 9 août 2023.

N.B. Cet article fut publié en langue anglaise le 8 août 2010.


_________________________________________________________

© 2023 Prof. Rodrigue Tremblay


 

Jeudi, le 27 juillet 2023

Le président Biden nomme le directeur de la CIA membre de son cabinet : message et conséquence

Par Rodrigue Tremblayprofesseur émérite de sciences économique et ancien ministre de l'industrie et du commerce québécois, et auteur du livre géopolitique « Le Nouvel empire américain », l'Harmattan, 2004 et auteur du livre « La régression tranquille du Québec, 1980-2018 », Fides, 2018

« Cela fait quelque temps que je m'inquiète de la manière dont la CIA a été détournée de la mission qui lui avait été assignée à l'origine. Elle est devenue une arme opérationnelle et parfois un instrument utilisé pour conduire la politique du gouvernement. » Harry S. Truman (1884-1972), 33è président des États-Unis (1945-1953), (dans un éditorial intitulé "Limit CIA Role to Intelligence", The Washington Post, le 22 décembre, 1963, p. A11).

[La CIA« S'est tellement éloignée de sa mission initiale... Lorsque j'ai mis en place la CIA, je n'avais pas imaginé qu'elle serait impliquée, en temps de paix, dans des opérations de cape et d'épée... La dernière chose dont nous avions besoin, c'était bien que la CIA se lance dans des opérations subversives dans les affaires des autres pays.» Harry S. Truman (1884-1972), Idem.

« Je pense que [la création de la CIA] fut une erreur. Et si j'avais su ce qui allait se passer, je ne l'aurais jamais fait. » Harry S. Truman (dans une interview avec son  biographe M. Merle Miller, dans les années 1960.)

« Il faut bien  comprendre que la mission première de la CIA  est de parcourir le monde et de provoquer des guerres. » Jesse Ventura (James George Janos) (1951- ), ancien lutteur professionnel, acteur, auteur et gouverneur de l'État de Minnesota, 1999-2003, (dans "Jesse Ventura suggère que les États-Unis pourraient être à l'origine de la violence au Moyen-Orient ", le 15 septembre, 2012.

Le vendredi 21 juillet 2023, le président Joe Biden (1942- ) annonça une décision de mauvais augure : il éleva William Burns, le directeur de la Central Intelligence Agency (C.I.A.), au rang d'un ministre de son Cabinet. Cela fit du directeur de la CIA le deuxième officier du renseignement du gouvernement Biden, aux côtés de la directrice du renseignement national, Avril Haines.

Cela pourrait être plus qu'un simple geste symbolique pour récompenser un allié politique. En fait, cela pourrait être un message indiquant que l'administration Biden prévoit de s'impliquer davantage dans les affaires étrangères dans un proche avenir, surtout si la guerre en Ukraine devait passer d'une guerre par procuration à un conflit militaire américano-russe ouvert.

Cela pourrait aussi indiquer que le président américain, confronté à un faible taux d'approbation dans les sondages, en soit arrivé à la conclusion que la seule façon pour lui de remporter un deuxième mandat serait de mener une campagne politique en tant que commandant en chef. Cela a très bien fonctionné pour le président George W. Bush (1946-) lors de la campagne présidentielle de 2004, après l'invasion militaire de l'Irak par son gouvernement, en mars 2003, sous de faux prétextes. En effet, il a été démontré qu'il est plus facile pour les politiciens américains d'être réélus lors d'élections en temps de guerre.

Une brève histoire de la CIA

Le président Harry S. Truman (1884-1972) a créé la CIA en 1947. Son objectif dès le début était de créer un petit bureau de collecte de renseignements pour que le président américain soit au courant des affaires mondiales. Mais la CIA est devenue aujourd'hui un sorte de gouvernement secret pour les affaires étrangères, au sein du gouvernement américain. Son budget annuel, aux alentours de 100 milliards de dollars, est supérieur aux budgets des trois quarts des pays.

L'une des missions de la CIA au fil du temps, outre de faire la collecte de renseignements et de l'espionnage, a été de mener des opérations clandestines, y compris des actes illégaux, pour faire avancer les intérêts américains dans le monde. Ils sont nombreux les Américains qui ne sont pas au courant que de telles opérations secrètes sont menées en leur nom.

Le président Harry S. Truman, qui a fondé la CIA, a écrit qu'il était profondément déçu de la dérive de l'organisation

Le 22 décembre 1963, un mois seulement après l'assassinat du président John F. Kennedy, l'ancien président Truman a pris ouvertement position dans le cadre d'un éditorial dans le Washington Post, dans lequel il révéla qu'il avait de sérieuses appréhensions quant au rôle croissant de la CIA au sein du gouvernement américain.

En effet, l'ancien président et initiateur de la CIA craignait qu'elle ait été « détournée de la mission qui lui avait été assignée à l'origine » (collecte et analyse de renseignements) et qu'elle soit « devenue une arme opérationnelle et parfois un instrument utilisé pour conduire la politique du gouvernement. »

La conclusion de Truman était aussi fort accablante : "Il y a quelque chose dans le fonctionnement de la CIA qui jette une ombre sur notre position historique et je pense que nous devons le corriger."

Ce que le président Truman et d'autres penseurs américains ont craint, c'est que les États-Unis ne deviennent un empire militaire anarchique, mus par un orgueil impérial égoïste. En effet, un empire militaire en état de guerre perpétuel, aussi bien déguisé soit-il, ne peut pas rester une démocratie, car cela va à l'encontre des valeurs de liberté et de démocratie à l'intérieur.

Conclusion

Les sages paroles et avertissements du président Truman résonnent aujourd'hui, surtout suite à l'annonce que l'actuel président américain a élevé le directeur de la CIA au rang de ministre dans son Cabinet.

Le président Joe Biden ne semble pas avoir les mêmes appréhensions quant au danger pour la démocratie américaine d'impliquer directement la CIA dans l'élaboration de la politique étrangère américaine. Ce n'est pas la première fois qu'il prend ses distances avec les traditions américaines. En fait, lors de la formation de son cabinet, en 2021, il a renié la tradition de nommer un civil au poste de secrétaire à la Défense lorsqu'il a plutôt choisi de nommer le général de l'armée à la retraite, Lloyd Austin, à ce poste.

Avec de telles décisions, le président Joe Biden révèle peut-être ses préférences pour une Amérique impériale, en contradiction avec ce que le président Harry S. Truman avait prévu lorsqu'il a créé la CIA. Biden est peut-être plus militariste et plus belliciste que beaucoup ne le pensent.

________________________________________




Le Prof. Rodrigue Tremblay est professeur émérite d'économie à l'Université de Montréal et lauréat du Prix Richard-Arès pour le meilleur essai en 2018, La régression tranquille du Québec, 1980-2018, (Fides). Il est titulaire d'un doctorat en finance internationale de l'Université Stanford.


On peut le contacter à l'adresse suivante : rodrigue.tremblay1@gmail.com

Il est l'auteur du livre de géopolitique  Le nouvel empire américain et du livre de moralité Le Code pour une éthique globale, de même que de son dernier livre publié par les Éditions Fides et intitulé La régression tranquille du Québec, 1980-2018.

Site internet de l'auteur : http://rodriguetremblay.blogspot.com

Pour s'enregistrer et recevoir les articles par courriel, écrire "souscrire" à carole.jean1@yahoo.ca

Pour se désinscrire, écrire "désinscrire" à carole.jean1@yahoo.ca

Prière de faire suivre l'article : http://rodriguetremblay.blogspot.com

Mis en ligne, le jeudi, 27 juillet 2023.

_________________________________

© 2023 Prof. Rodrigue Tremblay


 Mercredi, le 17 mai 2023

Les Guerres par procuration des grandes puissances sont facteurs de chaos militaire, monétaire, financier et économique dans le monde

Par Rodrigue Tremblayprofesseur émérite de sciences économique et ancien ministre de l'industrie et du commerce québécois, et auteur du livre géopolitique « Le Nouvel empire américain », l'Harmattan, 2004 et auteur du livre « La régression tranquille du Québec, 1980-2018 », Fides, 2018

« Dans les organes politiques, nous devons veiller à empêcher le complexe militaro-industriel d'acquérir une influence injustifiée, qu'il l'ait ou non consciemment recherchée... Seule une population alerte et avertie peut forcer le bon maillage de l'énorme machine de défense industrielle et militaire avec nos méthodes et objectifs pacifiques, afin que la sécurité et la liberté puissent prospérer ensemble. » Dwight D. Eisenhower (1890-1969), président américain (1953-1961) 1961.

« Si l'Union soviétique disparaissait demain sous les eaux de l'océan, le complexe militaro-industriel américain resterait pratiquement inchangé, jusqu'à ce qu'un autre adversaire puisse être inventé. Autrement, il s'en suivrait un choc inacceptable pour l'économie américaine. » George F. Kennan (1904-2005), diplomate et historien américain, 1987.

« Une nation ne peut pas rester libre et en même temps continuer à opprimer d'autres nations. » Friedrich Engels (1820-1895), sociologue allemand, 1847.

Il arrive que des politiciens saupoudrent leurs discours et leurs déclarations de mots tels que « diplomatie » et « paix ». Il ne s'en suit pas nécessairement qu'ils croient vraiment à ce qu'ils disent. En fait, ce genre de rhétorique grandiloquente peut aussi servir à dissimuler leurs intentions véritables, lesquelles peuvent être tout le contraire de solutions diplomatiques et de coexistence pacifique, dans la solution des problèmes mondiaux. En politique, les actes comptent plus que les mots.

Un exemple frappant pourrait être ce qu'a voulu dire le président américain Joe Biden lorsqu'il déclara, le 4 février 2021, lors d'un discours au département d'État : « la diplomatie est de nouveau au centre de notre politique étrangère ».

Le président Biden tint de semblables propos, quelques mois plus tard, lors d'un discours aux Nations Unies, le 21 septembre 2021, lorsqu'il annonça que nous ouvrons « une ère de diplomatie sans relâche ». Et, il ajouta, « nous ne voulons pas une nouvelle Guerre froide, ni un monde divisé en blocs rigides. »

 Et, afin d'être bien compris, M. Biden prit l'engagement suivant : « Nous devons redoubler de diplomatie et nous engager à la négociation politique, et non à la violence, comme outil privilégié pour gérer les tensions dans le monde. » Il poursuivit en citant les premiers mots de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 : « La reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde. »

Ce furent là de nobles engagements.

La réalité : Le gouvernement américain a largement abandonné le multilatéralisme pour une politique étrangère unilatérale axée principalement sur l'OTAN

Cependant, que s'est-il réellement passé au cours des trois premières années de l'administration Biden ?

À l'instar des quelques administrations précédentes, le gouvernement Biden a de facto abandonné la recherche universelle du bien commun dans le cadre d'une approche multilatérale. En effet, au lieu de recourir activement à la diplomatie pour réduire les conflits militaires dans le monde, le gouvernement étasunien Biden a plutôt adoptée une politique étrangère va-t'en-guerre permanente, sous l'influence de ses conseillers néoconservateurs.

En effet, une des caractéristiques importantes de la politique étrangère américaine, sous Biden, consiste à se servir de l'OTAN, une alliance de plus en plus offensive, afin de justifier les interventions militaires à l'étranger, et sans trop se soucier des règles de la Charte des Nations Unies, laquelle, faut-il le souligner, a été signée par tous les pays membres.

Deux guerres par procuration, dirigées avant tout par les États-Unies et ses alliés de l'OTAN, ont présentement cours et posent un problème immédiat : une guerre chaude en Ukraine dirigée contre la Russie et une autre en gestation à Taïwan, et visant la Chine.

Cela se traduit par d'énormes quantités d'armes et d'équipements militaires que les États-Unies et d'autres pays de l'OTAN expédient en Ukraine, un pays voisin de la Russie, y compris même des membres d'opérations secrètes et des obus illégaux contenant de l'uranium appauvri.

Même si l'opinion publique dans les pays occidentaux demeure fortement derrière la guerre russo-ukrainienne, surtout chez les plus jeunes et un peu moins chez les plus vieux, l'une des conséquences de la guerre, selon certains sondages, a été d'isoler quelque peu les États-Unis et leurs alliés de l'OTAN. Dans certains pays, par exemple, notamment en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud, la position semble être « pas de nos affaires ».

Les retombées des guerres par procuration menées par les États-Unis et l'OTAN contre la Russie et la Chine

Selon la propagande officielle, la Russie s'est lancée dans une guerre "non provoquée" contre l'Ukraine, le 24 février 2022. Cependant, les choses sont quelque peu plus compliquées. En effet, les États-Unis et l'OTAN sont fortement impliqués dans cette guerre inutile depuis au moins 2014, et même depuis 1991, en ce qui concerne le gouvernement étasunien.

Pour commencer, il faut dire qu'après l'effondrement de l'Union soviétique, en 1991, des documents déclassifiés montrent clairement que le secrétaire d'État américain James Baker et des représentants de plusieurs pays européens importants, prirent un engagement solennel envers la Russie, le 9 février 1990, à savoir que l'OTAN ne s'étendrait pas « d'un pouce » vers l'Europe de l'Est — pourvu que la Russie donne son aval à la réunification des deux Allemagnes.

Deuxièmement, il faut dire aussi que le professeur John Mearsheimer de l'Université de Chicago, (avec qui je suis d'accord), a souvent dit que sans l'arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche, il n'y aurait pas eu de guerre en Ukraine. En effet, c'est l'insistance du président Biden à ce que l'OTAN s'étende jusqu'aux portes de la Russie, avec des missiles pointés vers Moscou, qui a été la principale cause pour laquelle ce dernier pays s'est senti directement menacé et a décidé d'envahir l'Ukraine.

Même le Pape François est arrivé à la même conclusion, à savoir que « les aboiements de l'OTAN aux portes de la Russie » ont largement été un facteur déclencheur de la crise ukrainienne.

En troisième lieu, il convient de rappeler que c'est le gouvernement de Barack Obama (2009-2017), lequel comptait dans ses rangs le vice-président Joe Biden, qui a financé, en grande partie, le renversement du gouvernement ukrainien pro-russe élu de Viktor Ianoukovitch, en février 2014.

Cela est ressorti clairement, quand la sous-secrétaire d'État américaine au affaires européennes et eurasiennes dans le gouvernement de Barack Obama, Victoria Nuland, (une néoconservatrice reconnue), confirma publiquement, le 13 décembre 2013, que le gouvernement américain avait investi 5 milliards de dollars en Ukraine, depuis 1991, avec l'intention d'y « promouvoir la démocratie ». Cependant, est-ce une pratique coutumière pour les démocraties de renverser des gouvernements élus ?

Quatrièmement, selon des documents publiés, tout indique que la politique d'encerclement militaire de la Russie — un acte de guerre implicitement non autorisé par la Charte des Nations Unies  est une idée néoconservatrice dont la source est la Rand Corporation, un centre de recherches stratégiques fortement financé par le complexe militaro-industriel (CMI), lequel se spécialise dans l'élaboration de travaux de recherche sur la politique étrangère américaine.

En effet, la politique militaire agressive contre la Russie est bien expliquée dans un rapport de 2019, intitulé « Overextending and Unbalancing Russia ». Par conséquent, lorsque le secrétaire à la Défense, le général Lloyd Austin, déclara publiquement, le 25 avril 2022, que le but de l'administration Biden, en Europe de l'Est, était « d'affaiblir la Russie », cela indiquait clairement que la stratégie de la Rand Corporation, consistant à encercler militairement la Russie, était bien devenue la politique étrangère officielle du gouvernement Biden, même si cela pouvait risquer de transformer un tel conflit en un conflit mondial.

C'est peut-être là une raison que les personnes bien renseignées n'acceptent pas la propagande selon laquelle les États-Unis et l'OTAN sont militairement impliqués en Ukraine pour « sauver la démocratie ». En réalité, il n'y a pas de démocratie en Ukraine depuis que le gouvernement ukrainien de Volodymyr Zelensky a aboli onze partis politiques.

Les tentatives infructueuses pour ramener la paix en Ukraine venant de pays tiers

Ce qui précède peut expliquer pourquoi l'administration Biden a rapidement rejeté toute tentative d'empêcher ou de mettre fin à la guerre en Ukraine.

Par exemple, même lorsqu'il était encore temps d'éviter le conflit, le 7 décembre 2021, lors d'une conversation téléphonique entre les deux présidents, le président Biden rejeta sans ménagements diplomatiques toutes les demandes russes, eu égard à la sécurité de la Russie et concernant les avancées de l'OTAN jusqu'à la frontière de la Russie. [N.B. : Il est utile de rappeler que lorsque la situation était renversée, en octobre 1962, quand l'URSS voulut placer des missiles à Cuba, à 145 km des côtes américaine, le gouvernement de John F. Kennedy vit une telle provocation comme une atteinte inacceptable à la sécurité des États-Unis.]

Le gouvernement israélien et le gouvernement turc ont tous deux tenté de négocier une paix entre la Russie et l'Ukraine, mais sans succès.

Dans le premier cas, au début du conflit en mars 2022, le Premier ministre israélien de l'époque (juin 2021-juin 2022), Naftali Bennett, tenta de négocier une fin rapide du conflit russo-ukrainien. Il faillit réussir lorsque le président russe Vladimir Poutine abandonna sa demande d'exiger le désarmement de l'Ukraine, tandis que le président ukrainien Volodymyr Zelensky accepta que son pays ne rejoigne point l'OTAN. On en arriva même à un accord de paix prêt à recevoir des signatures, lesquelles étaient prévues pour le début d'avril 2022.

Dans le deuxième cas, le gouvernement turc tenta lui aussi un rapprochement entre la Russie et l'Ukraine, en mars 2022, afin d'en arriver à un accord de paix entre les deux pays. Après des entretiens fructueux à Istanbul entre des responsables des deux pays, les deux parties se mirent d'accord sur les termes d'un accord provisoire.

Puisque les gouvernements de la Russia et de l'Ukraine étaient disposés à faire des concessions et qu'un accord de paix était à portée de main, on peut se demander pourquoi les tentatives de médiation israéliennes et turques échouèrent ?

L'ex Premier ministre israélien Bennett a fourni une explication : le gouvernement Biden a confié au Premier ministre britannique de l'époque, Boris Johnson, la mission de se rendre à Kiev et de saboter tout accord de paix. Certaines puissances occidentales, en effet, semblaient vouloir tirer avantage de la guerre en Ukraine et souhaitaient la voir se prolonger.

La toute dernière tentative de mettre fin à la guerre en Ukraine a été le plan de paix en 12 points présenté par la Chine pour un « règlement politique de la crise ukrainienne », déposé le 24 février 2023. Il n'est guère surprenant que cette médiation ait également échoué, jusqu'à présent.

Il semblerait que ceux qui ont planifié et « investi » beaucoup dans cette guerre ne souhaitent pas perdre la face. Pour sa part, le président Biden a rejeté le plan chinois, [lequel propose une désescalade des hostilités un Ukraine de manière à en arriver à un cessez-le-feu, le respect de la souveraineté nationale, la mise en place de couloirs humanitaires, la reprise des pourparlers de paix et la fin des sanctions unilatérales], comme étant « non rationnel ».

Alors que le président Joe Biden s'est employé à alimenter le feu de la guerre en Ukraine, le président chinois Xi Jinping semble avoir comblé le vide et il a, de ce fait, développé la stature d'un courtier de paix dans le monde entier.

En bout de ligne, compte tenu des nombreuses instances impliquées dans le conflit (Russie, Ukraine, États-Unis, OTAN, Union européenne) et de leur intransigeance, le Secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a jeté l'éponge et a avoué, le 9 mai 2023, qu'une médiation de paix en Ukraine n'était « pas possible en ce moment ». Des dirigeants va-t'en-guerre sont aux commandes dans plusieurs pays, de telle sorte qu'on ne peut s'attendre à un cessez-le-feu à brève échéance, en Europe de l'Est.

La fuite du dollar américain provoquée par les sanctions financières et économiques

Détenir des avoirs financiers libellés en dollars américains est, de plus en plus, devenue un choix risqué. Tout gouvernement assez imprudent pour le faire s'expose à des pressions politiques de la part du gouvernement américain et, s'il ne s'y soumet pas, ses avoirs en dollars américains peuvent être arbitrairement gelés, saisis unilatéralement ou simplement confisqués. La liste des pays unilatéralement "sanctionnés" par les États-Unis, de manière punitive, s'allonge de mois en mois.

On pourrait penser qu'une monnaie nationale utilisée internationalement ne devrait pas devenir un instrument d'attaque, aux mains du pays émetteur. Autrement, cela est de nature à déstabiliser l'ensemble du système monétaire et financier international et à créer le chaos dans l'économie mondiale.

Même la secrétaire du Trésor des États-Unis, Janet Yellen (1946- ), a admis, le 16 avril 2023, que le dollar américain était en voie de perdre son statut de monnaie internationale par excellence pour les transactions financières internationales et que son rôle comme instrument de monnaie de réserve des banques centrales nationales déclinait.

En effet, même si cela comporte des difficultés techniques, de plus en plus de pays cessent de régler leur commerce transfrontalier en dollars américains et utilisent soit le yuan chinois, la roupie indienne (INR), le troc bilatéral ou les devises locales pour ce faire. C'est une tendance forte chez les pays membres du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), d'éviter d'utiliser le dollar américain, suite aux nombreuses sanctions financières et économiques imposées unilatéralement par les États-Unis.

Ce mouvement vers la dé-dollarisation du commerce mondial est un développement inquiétant pour les marchés monétaires et financiers internationaux. Il pourrait en résulter des conséquences potentiellement énormes, tant au plan monétaire qu'économique.

La remise en question du système de paiements de Bretton Woods, établi en 1944 avec comme base le dollar américain, (alors relié à l'or au taux fixe de $35 l'once), pourrait ralentir les transactions économiques et financières à travers le monde. En effet, si le système de paiement international allait se fragiliser davantage, le volume du commerce international et les flux des mouvements de capitaux pourraient se contracter, ce qui aurait un impact désastreux sur la croissance de l'économie mondiale.

Conclusions

Dans l'état actuel des choses, malgré les efforts déployés, les espoirs d'une solution rapide à la guerre par procuration en Ukraine et un arrêt des tensions croissantes au sujet de Taïwan, ne semblent guère encourageants.

Premièrement, si les grandes puissances qui se cachent derrière leur veto au Conseil de sécurité de l'ONU ne peuvent pas contribuer à la paix dans le monde, elles devraient au moins ne pas activement contribuer à la guerre. Malheureusement, les Nations Unies, au 21e Siècle, sont devenues le tapis sur lequel les grandes puissances s'essuient les pieds.

Deuxièmement, avec ses guerres par procuration, le gouvernement étasunien devrait savoir que ce faisant, il perd beaucoup de son ascendant moral et de son influence dans le monde. Et on sait pourquoi : la politique étrangère actuelle d'inspiration néoconservatrice de l'administration Biden, laquelle consiste à utiliser l'OTAN comme principal instrument d'intervention dans le monde, en particulier dans les conflits par procuration avec la Russie et avec la Chine, tout en snobant les Nations Unies et sa Charte, comporte de grands risques et peut, à la longue, se révéler être une très mauvaise idée.

Une telle politique a pour effet d'isoler les États-Unis et leurs alliés de l'OTAN du reste du monde. En bout de ligne, cela est de nature à saper leur légitimité, leur efficacité et leur influence, à l'extérieur du cercle restreint de l'Amérique du Nord et de l'Europe. Poussée à l'extrême, une telle orientation risque de conduire au démantèlement du cadre institutionnel mondial, établi au lendemain de la seconde Guerre mondiale.

Troisièmement, si l'on ajoute à l'équation le danger toujours menaçant d'une guerre nucléaire, il semblerait évident pour des esprits éclairés qu'une paix négociée en Ukraine, serait préférable à une guerre meurtrière désastreuse et sans fin, avec peu de gagnants, sauf les fabricants d'armements, et beaucoup de perdants.

____________________________________________________________




Le Prof. Rodrigue Tremblay est professeur émérite d'économie à l'Université de Montréal et lauréat du Prix Richard-Arès pour le meilleur essai en 2018, La régression tranquille du Québec, 1980-2018, (Fides). Il est titulaire d'un doctorat en finance internationale de l'Université Stanford.


On peut le contacter à l'adresse suivante : rodrigue.tremblay1@gmail.com

Il est l'auteur du livre de géopolitique  Le nouvel empire américain et du livre de moralité Le Code pour une éthique globale, de même que de son dernier livre publié par les Éditions Fides et intitulé La régression tranquille du Québec, 1980-2018.

Site internet de l'auteur : http://rodriguetremblay.blogspot.com

Pour s'enregistrer et recevoir les articles par courriel, écrire "souscrire" à carole.jean1@yahoo.ca

Pour se désinscrire, écrire "désinscrire" à carole.jean1@yahoo.ca

Prière de faire suivre l'article : http://rodriguetremblay.blogspot.com

Mis en ligne, le mercredi, 17 mai 2023.

_________________________________

© 2023 Prof. Rodrigue Tremblay