ARTICLES BLOGUE 2010 à 2013


(Veuillez lire les articles suivants, à commencer par le plus récent.)


Le16 octobre, 2013
Neutralité de l'État, Liberté de religion et Tolérance : La Part des Choses

Le 5 août 2012
Pourquoi les choses vont mal…et pourraient facilement empirer?*

lundi 21 novembre 2011
Vigile
 Un retour suicidaire vers un passé qu’on croyait révolu

Le 17 juillet 2011
LA GRÈCE ET L’EURO : Une situation de dette excessive et improductive et d’implosion financière

Le 18 avril 2011
Le décès de l'économiste André Raynauld: Une grande perte pour le monde universitaire


Printemps 2011 (Le Québec sceptique)
Religiosité contemporaine: Nationalisme religieux versus nationalisme politique

Le 8 mars 2010
La dimension morale des choses

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Le16 octobre, 2013
Neutralité de l'État, Liberté de religion et Tolérance : La Part des Choses

« Même si la laïcité 'ouverte' a l’air sympa, il faut comprendre que c’est l’abstention de la puissance publique qui garantit la plus large liberté d’opinion et d’affichage. Les religions y ont tout intérêt, car cette abstention stricte les protège des ingérences de l’État. Comme elle protège l’État des religions et les religions les unes des autres. »
Catherine Kintzler (1947- ), philosophe française, spécialiste de l'esthétique et de la laïcité

« Je considère que toutes les grandes religions du monde, le bouddhisme, l'hindouisme, le christianisme, l'islam et le communisme,  sont à la fois fausses et néfastes.... Je suis aussi fermement convaincu que les religions sont nuisibles que je le suis qu'elles sont fausses. »
Bertrand Russell (1872-1970), British philosophe britannique, Prix Nobel de Littérature en 1950, (auteur du livre Pourquoi je ne suis pas un chrétien, 1927)

« Je pense qu'il n'y a pas de forces sur cette planète qui soient plus dangereuses pour nous tous que les fanatismes du fondamentalisme, de toute nature : le protestantisme, le catholicisme, le judaïsme, l'islam, l'hindouisme et le bouddhisme, ainsi que d'innombrables autres petites infections. –Existe-t-il ici un conflit entre la science et la religion? Il ya en un très certainement. »
Daniel C. Dennett (1942- ), philosophe américain, (auteur de L'Idée dangereuse de Darwin, 1996)


Dans mon livre “Le Code pour une éthique globale, vers une civilisation humaniste”, (Éditions Liber, 2009), il y a trois chapitres qui touchent aux questions qui sont présentement soulevées par le projet de Charte des valeurs québécoises du Gouvernement du Québec concernant la neutralité de l'État en matière religieuse. Il s'agit du chapitre Trois sur “La tolérance dans les sociétés ouvertes et démocratiques”, le chapitre Six sur la nécessaire “Séparation de l'Église et de l'État” et le chapitre Onze sur “Les limites des systèmes de tolérance”. Le grand principe que je défends est celui-ci : « La façon dont les gens mènent leur vie est leur affaire, pour autant que leur choix ne porte pas préjudice aux autres. »

La neutralité de l'État en matière religieuse soulève, en effet, la question des droits et des libertés individuels face à ceux de l'ensemble des citoyens. D'une part, les individus ont le droit de pratiquer la religion qu'ils veulent (ou de ne pas pratiquer) et ils ont droit de parole et d'expression. D'autre part, le gouvernement de tous a l'obligation morale d'être neutre en matière religieuse quand il dispense des services publics accessibles à tous et dans son administration.

Dans les circonstances, la question se pose : est-ce que l'État peut exiger de ses employés qu'ils s'abstiennent de porter des signes ostentatoires religieux (comme il le fait pour les insignes politiques) afin de faire respecter la neutralité étatique dans la dispense de services publics à l'ensemble des citoyens?

À cette question je répondrai un oui sans équivoque, parce que les droits individuels dans une société démocratique ne sont jamais absolus. Le droit de parole, par exemple, ne signifie point qu'une personne peut crier “Au Feu” dans un théâtre sans motif valable. De même, le droit de pratiquer une religion ne signifie point qu'une personne a le droit d'importuner ou de violenter une autre personne dans sa vie privée, ou d’imposer ses vues et pratiques à l’ensemble de la population.

C'est pourquoi, il est tout à fait légitime qu’un État démocratique, qui se doit d'être neutre dans ses rapports avec l'ensemble des citoyens, exige de ses employés de ne point afficher des signes religieux personnels ostentatoires dans l'exercice de leurs fonctions. Il s’agit d’une question de bonne gérance. Agir autrement signifierait que l'État privilégie le bien-être et la satisfaction personnels de ses employés au dépens de ceux de sa clientèle captive.

Un État démocratique neutre se doit de respecter la liberté de conscience de l'ensemble de ses commettants et, en conséquence, de dispenser des services publics qui ne s'accompagnent point de messages religieux ostentatoires auxquels sa clientèle n'a pas le choix de se soustraire.

En effet, les employés gouvernementaux représentent l'autorité de l'État et à ce titre doivent faire preuve de réserve dans leurs rapports avec le public à cause justement de l’autorité qu’ils représentent. Ainsi, les usagers sont en droit d'exiger de n'être ni intimidés ni violentés dans leurs convictions lorsqu'ils s'adressent aux divers organismes publics. Par exemple, un inspecteur d’impôt qui vous visiterait en affichant des signes religieux ostentatoires serait en position de vous intimider. Cela est doublement vrai quand des usagers sont de jeunes enfants en position d’une plus grande vulnérabilité.

Dans la sphère privée, quand il y a concurrence entre différents fournisseurs, les choses se présentent autrement, car tout acheteur ou consommateur a la liberté de choisir entre différentes sources d'approvisionnement, et cela en toute liberté. Dans ce cas, le principe de tolérance peut s'appliquer.

Mais, tel n'est pas le cas avec l'État-monopole à qui tous doivent s'adresser obligatoirement pour obtenir les services que l'ensemble des contribuables financent avec les taxes et les impôts qui leur sont imposés. Dans ce cas, le principe de la neutralité religieuse de l'État doit s'appliquer intégralement sans quoi ce sont les droits de l'ensemble de la population qui sont brimés et cela sans recours.

Au Québec, selon la Charte des droits et libertés, « toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d'opinion, la liberté d'expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d'association », (chap. I-3). Mais, selon une clause interprétative, il est bien prévu que ces droits individuels ne sont pas absolus mais doivent plutôt s'exercer « dans le respect des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec ». (Charte des droits et libertés, chap. I-9.1)

De toute évidence, vouloir imposer ses convictions religieuses à l'ensemble de la population pour une personne qui travaille pour l'État ne respecte pas  «les valeurs démocratiques, l'ordre public et le bien-être général des citoyens du Québec ».

C'est pourquoi, il me semble que le gouvernement du Québec est en droit de légiférer démocratiquement pour confirmer et appliquer sa neutralité religieuse et pour protéger «les valeurs démocratiques, l'ordre public et le bien-être général des citoyens du Québec ».

Ceci n'enfreint en rien le droit de chacun de pratiquer sa religion comme il ou elle l'entend. Comme l'a judicieusement précisé un juge en chef de la Cour Suprême américaine, le juge Robert H. Jackson (1892-1954), « "Le gouvernement civil ne peut pas laisser un groupe en particulier piétiner les autres simplement parce que leur conscience leur enjoint de le faire. » En effet, la liberté des uns s'arrête là où la liberté des autres commence.

De plus, même si le gouvernement du Québec n'a jamais entériné la Constitution canadienne de 1982, et même si le peuple québécois ne s'est jamais prononcé en faveur de la dite Constitution par la voie d'un référendum démocratique, la Charte canadienne des droits et libertés qui en fait partie contient elle aussi une clause interprétative selon laquelle les droits et libertés individuels ne sont pas absolus et peuvent être restreints « dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique, (Chap. I).

Le laisser-aller dans les accoutrements des employés de l'État pour ouvrir la porte au prosélytisme religieux est une négation du principe de neutralité de l'État et il est contraire aux règles d'une saine gestion dans la dispense des services publics. Ce serait contraire à la paix et l'ordre dans une société démocratique où les droits de certains ne doivent pas prévaloir sur ceux de tous.


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Le 5 août 2012
Pourquoi les choses vont mal…et pourraient facilement empirer?*

Par Rodrigue Tremblay

« Il n’y aucun pays. Il n’y a pas de peuples. Il n’y a pas de Russes. Il n’y a pas d’Arabes. Il n’y a pas de tiers mondes. Il n’y a pas d’Occident. Il y a seulement un système holistique de systèmes. Un vaste et immane empire entrelacé, interactif, multivarié et multinational de dollars.  »
Tiré du film "Network" (film américain satirique, 1976) : "Main Basse sur la télévision" en version française)

« Récemment, des pays ont emprunté des milliards de dollars pour faire la guerre; aucun pays n'a jamais emprunté pour financer l'éducation. —En toute vraisemblance, aucun pays n'est assez riche pour se payer à la fois la guerre et la civilisation. On doit choisir; on ne peut avoir les deux. »
Abraham Flexner (1866-1959), personnalité américaine dans les domaines de l'éducation et de la recherche médicale

« Ceux qui faisaient partie de la génération en âge de participer à une guerre gardent une aversion aux guerres pour le reste de leur vie, et ne veulent pas répéter une telle expérience tragique, ni pour eux-mêmes, ni pour leurs enfants, et, par conséquent... une telle résistance psychologique aux guerres persiste aussi longtemps qu'une nouvelle génération... a le temps de grandir et de parvenir au pouvoir. Dans la même veine, le déclenchement d'une guerre, une fois lancée, a tendance à perdurer jusqu'à ce que la génération élevée dans la paix et qui s'est précipité follement dans une guerre cède la place à une génération fatiguée des guerres. »
Arnold J. Toynbee (1889-1975), historien britannique, (A Study of History, Vol. 9, Oxford University Press, Londres, 1954)


I- Je crois que nous vivons présentement dans un monde à demi-civilisé et je voudrais en faire la démonstration.

Nous vivons, en effet, dans une période trouble. Quand on regarde autour de nous ce qui se passe, on a vraiment l'impression que tout est en train de crouler.

Dans un article récent, par exemple, on disait: “l’indifférence à l’endroit de l’éthique et du bien commun est le saint Graal de la finance moderne.”

En fait, je ne crois pas que c'est seulement dans le monde de la finance que nous régressons moralement, mais c'est dans nombreux autres domaines.

Il y a risque, à mes yeux, que ce vingt-et-unième siècle ressemble davantage au dix-neuvième siècle qu'à la deuxième partie du vingtième siècle qui procura à l'humanité des progrès considérables, tant au plan des lois internationales, des droits individuels et collectifs – dont celui de l'éducation pour tous – du triomphe du mode démocratique de gouvernement sur tous les autres et d'un meilleur partage de la richesse collective.

Cependant, s'il allait continuer sur sa tendance actuelle, le vingt-et-unième siècle en serait plutôt un où les empires militarisés et des empires financiers imposeront leurs lois, où des empires religieux imposeront leurs doctrines totalitaires rétrogrades, et où un individualisme auto-centré déchirera le tissu social fondé sur l'empathie et la solidarité, avec une concentration accentuée de la richesse et du pouvoir. Et, si je peux citer Lord Acton selon qui, “Le pouvoir corrompt, et le pouvoir absolu corrompt absolument”, cela signifiera aussi un monde plus corrompu.

En effet, dans de nombreux domaines, on constate que la priorité accordée à l'être humain, seul être moral, faut-il le souligner, est négligée et est même devenue secondaire par rapport à d'autres priorités qui relèvent d'une étroite idéologie et qui sont loin d'être morales. La conséquence est que l'intérêt général, l'intérêt commun, est de plus en plus sacrifié au profit d'intérêts idéologiques, au profit d'intérêts économiques particuliers, quand ce n'est pas au profit de systèmes qui écrasent plutôt que de libérer les personnes.

En un mot, je crois qu'en ce début du vingt-et-unième siècle, nous sommes en pleine période de régression morale et intellectuelle, et nous effaçons petit à petit les progrès sociaux et économiques faits au vingtième siècle, pour retourner à la jungle du dix-neuvième siècle, quand des empire immoraux et sans loi contrôlaient la planète et écrasaient les peuples.

Dans certains domaines, notamment dans celui des religions, on observe un désir de revenir à l'obscurantisme d'avant le dix-huitième siècle, soit celui des Lumières, lequel ouvrit les portes aux progrès humains immenses que le monde a connus depuis.

II- Je vois cinq grandes causes pour expliquer cette régression morale, sinon ce déclin et même cette décadence, dans la marche pour le progrès humain.

Je résume:

Ce que je constate, c'est
- premièrement, un mauvais modèle de développement économique ;
- deuxièmement, nos démocraties, poussées en cela par la technologie, donnent de plus en plus le pouvoir à l'argent et à ceux qui le contrôlent ;
- En troisième lieu, l'affaiblissement des états-nations ;
- Quatrièmement, la technologie moderne des communications, est en train de façonner un nouvel être humain l'homo digitalis ;
- Finalement, je vois comme cinquième grande cause du déclin actuel la prévalence d'un vieux code moral d'origine religieuse.

a - Qu'en est-il du modèle économique actuel basé sur une mondialisation tous azimuts, tout particulièrement sur la mondialisation financière? En effet, depuis environ trente ans – et je blâme certains opérateurs doctrinaires et apologistes en partie pour cette dérive, et même certains économistes trop doctrinaires – on a adopté un modèle de développement économique dans lequel les peuples semblent compter de moins en moins et l'argent de plus en plus. Le modèle économique actuel avec des capitaux apatrides est, à mon avis, intenable parce qu'il est source de crises en répétition presqu'insolubles.
– Donc, mauvais modèle économique à revoir et à réformer.

b - Deuxièmement, nos modèles politiques, dont certains datent de quelques siècles, sont aussi désuets et contre-productifs, n'ayant peu évolué et même ayant régressé depuis les trente dernières années. Leurs grands défauts sont présentement renforcés par la technologie des communications, et ils donnent le pouvoir véritable dans nos sociétés, non pas aux individus, mais aux forces occultes de l'argent, dont les privilèges semblent n'avoir aucune limite.
– Donc, mauvais modèle politique, qui a besoin d'être réformé.

c - Troisièmement, l'affaiblissement des états-nations conjugué à l'explosion actuelle de la population mondiale, si elle est mal gérée (et nous devons nous préparer à avoir de huit à dix milliards de population mondiale dans quelques décennies), risque de précipiter le monde vers le plus petit dénominateur commun tant au plan social qu'économique.

Dans le cadre du mauvais modèle économique auquel je réfère, ce n'est pas le libre-échange international des biens et services qu'on a favorisé pour hausser les niveaux de vie des populations (pour ma part j'ai toujours été un partisan du libre-échange), mais on a plutôt choisi d'abolir, à toutes fins pratiques, les frontières des états-nations face à des entreprises multinationales apatrides.

En certains milieux, en effet, on a confondu le libre-échange des biens et des services en fonction des avantages comparatifs de chaque pays avec l'idée que les avantages comparatifs des pays ne comptaient pas et qu'un pays pouvait impunément abandonner ses avantages industriels et technologiques sans danger pour son niveau de vie.
– Cela est tout simplement faux.

Les pays qui laissent aller leurs avantages comparatifs économiques s'appauvrissent, même si certaines entreprises et certaines banques peuvent en profiter. C'est la grande différence entre l'intérêt commun et l'intérêt particulier. Aujourd'hui, dans de nombreux pays, c'est l'intérêt particulier qui domine sur l'intérêt général ou le bien commun.

On a même mis de côté l'idée d'adopter une stratégie industrielle pour hausser la productivité, les salaires et l'emploi, en faisant croire à tort que les marchés – des marchés sans règles il faut le dire – fonctionnant parfaitement et s'auto-réglementant, conduiraient au bien commun. C'est une vue de l'esprit qui ne cadre pas avec la réalité. Le scandale de la manipulation du taux d'intérêt à court terme de base qu'est le LIBOR (London Interbank Offered Rate) par quelques grandes banques à Londres en est une parfaite illustration. Quand on regarde autour, les pays qui s'en tirent le mieux présentement au plan économique, comme la Chine ou le Brésil, sont ceux-là même qui ont mis de l'avant une stratégie industrielle active dans le cadre du libre-échange.

Quand les entreprises peuvent sillonner la planète à la recherche du plus bas coût de production, en pratique cela signifie la recherche des plus bas salaires et des plus bas taux d'imposition et de réglementation. En 2011, aux États-Unis par exemple, toutes les entreprises combinées, locales comme internationales, ont payé 11 pourcent en taxes fédérales et en taxes des états sur leurs profits, tandis que le vingt pourcent des contribuables Américains les plus pauvres contribuèrent 17 pourcent en impôts sur leurs revenus. Dans le système actuel, le fardeau fiscal se déplace de plus en plus des entreprises et des détenteurs de capitaux vers les contribuables individuels, souvent les plus pauvres.

Une récente étude dévoilait que les super-riches de ce monde payaient très peu d'impôts, en recourant à des paradis fiscaux pour y parquer de quelques $ 21 000 à $ 32 000 milliards de capitaux à l'abri de l'impôt. Nous pouvons dire la même chose des grandes sociétés multinationales. Celles-ci recourent à des échafaudages financiers de manière à mettre ces profits à l'abri de l'impôt, aussi longtemps que de tels profits ne sont point rapatriés dans leur pays d'origine.

Cela m'amène à dire, par exemple, dans le cas des États-Unis, que ce pays ne fait pas face à un problème de déficit. Il a plutôt un problème de collection des impôts, et ceci est dû au fait qu'il a un problème de corruption politique.

Il ne fait pas de doute que la globalisation et la corruption politique ont eu pour conséquence de déplacer le fardeau fiscal des compagnies vers les individus en général, et vers les plus pauvres en particulier, et cela d'une façon fort régressive.

Et, quand une immigration à peine contrôlée et mal ciblée vient bouleverser l'équilibre démographique, social et économique dans les pays à hauts niveaux de vie, le résultat est magnifié. On fait face alors à un véritable désarmement économique des états, lequel se traduit par des déficits budgétaires structurels qui explosent et un endettement public de plus en plus incontrôlé, comme on l'observe présentement en Europe et aux États-Unis, les deux régions où la stagnation économique semble s'être installée à demeure et où la civilisation occidentale est le plus menacée et même en péril.

Ce modèle économique globalisé à outrance – lequel est en fait un retour à celui qui prévalait au dix-neuvième siècle quand l'étalon-or dominait – ce modèle, dis-je, est générateur de grandes inégalités économiques et sociales dans nombre de pays. En fait, c'est un modèle qui est fondamentalement hostile à la classe moyenne, soit au plus grand nombre, et qui concentre la richesse et le pouvoir dans une infime partie de la population (le fameux 1% !) et qui est source de stagnation des revenus pour le plus grand nombre.

Les études démontrent, en effet, que la mobilité sociale intergénérationnelle et l'égalité des chances dans les pays industrialisés de l'Amérique et de l'Europe chutent quand les inégalités économiques et sociales croissent, comme c'est le cas présentement.

En bout de ligne, cela représente une perte de démocratie, car il ne peut y avoir de démocratie véritable dans un pays quand la classe moyenne est atrophiée ou inexistante et quand il existe un régime d'inégalités systémiques.

Par conséquent, j'en déduis que la globalisation tous azimuts qui est présentement imposée aux pays est un échec. C'est un mauvais modèle économique parce qu'il transfère le pouvoir réel dans nos sociétés des élus vers les grandes entreprises et vers les détenteurs de capitaux qui, eux, s'en servent pour corrompre le système politique et pour générer des crises financières comme celle que le monde vit depuis 2008.

Vous me permettrez de citer l'économiste français Frédéric Bastiat (1801-1850) pour qui « Quand le pillage devient un moyen d'existence pour un groupe d'hommes qui vit au sein de la société, ce groupe finit par créer pour lui-même un système juridique qui autorise le pillage et un code moral qui le glorifie. »

Il n'y a pas meilleur exemple vécu de cette sage maxime que celui des États-Unis où une Cour Suprême plus ou moins corrompue décréta il y a deux ans (le 19 janvier 2010) que les corporations financières et industrielles n'étaient pas des entités légales dotées de privilèges mais, en fait étaient des êtres humains à part entière avec des droits même supérieurs à ceux des êtres humains, et que de telles entités artificielles pouvaient consacrer des sommes illimitées de capitaux, en réalité des milliards de dollars anonymes et incontrôlés, pour influencer les élections américaines à tous les niveaux. [Voir mon article sur le site The New American Empire]

Le droit de vote de chaque américain s'en est soudainement trouvé fortement dévalué, avec la conséquence que le pouvoir politique aux États-Unis ne vient pas « ...du peuple, par le peuple et pour le peuple, » selon la formule consacrée par le président Abraham Lincoln en 1863 (discours de Gettysburg), mais a été de facto transféré aux grandes entreprises et aux détenteurs de capitaux. Rappelons que c'est cette même Cour Suprême américaine qui plaça George W. Bush au pouvoir, même si ce dernier reçut un demi-million de votes de moins que le candidat démocrate Al Gore lors des élections présidentielles de l'an 2000, avec les conséquences désastreuses que l'on connaît.

Ici même au Canada, nous sommes prisonniers du vieux modèle électoral britannique uninominal à un tour. Cela signifie que lorsque les citoyens donnent leurs appuis à une demi-douzaine de partis politiques, un parti en particulier peut s'emparer du pouvoir et gouverner de façon majoritaire avec moins de quarante pourcent des suffrages. Cela donne le gouvernement majoritaire conservateur actuel de Stephen Harper qui obtint trente-neuf pourcent d'appuis lors des élections du 2 mai 2011, après avoir utilisé des moyens qu'on peut décrire comme malhonnêtes, mais celui-ci gouverne depuis comme s'il avait obtenu cent pourcent des votes. En fait, les sondages ne lui accordent présentement guère plus que le tiers des appuis populaires. Néanmoins, le 1erjuillet dernier, il est même allé aussi loin que de faire jouer le « God Save the Queen » avant l'hymne national canadien, lors de célébrations officielles, insultant de ce fait une grande majorité de Québécois et probablement une majorité de Canadiens.

Malgré les lacunes criantes d'un tel système électoral au plan démocratique, les politiciens canadiens semblent s'y complaire et aucune réforme en profondeur n'est en vue. Un système électoral à double tour comme en France serait logique, mais nos politiciens font semblant d'ignorer le problème. Par conséquent, je dis que la démocratie se porte mal au Canada. En fait, elle se porte mal un peu partout et est peut-être en voie de devenir un anachronisme et appelée à être remplacé par des oligarchies et des ploutocraties.

J'ajoute que la montée des empires militarisés et le déclin dans le respect des lois internationales que l'on constate depuis quelque temps ouvrent toute grande la porte à un retour des guerres impériales ou d'hégémonie.

L'historien britannique Arnold J. Toynbee (1889-1975) a cru identifié un cycle d'environ 100 ans dans les guerres impériales au cours des cinq derniers siècles (voir « A Study of History »), souvent celles-ci se produisant au début de chaque siècle.

Depuis la guerre du Kosovo de 1999, laquelle eu lieu sans l'autorisation des Nations Unies et avec le seul soutien légal douteux de l'OTAN, une guerre impériale en dehors du cadre légal actuel est certes possible.

En fait, je me hasarderai à dire que si le candidat républicain Mitt Romney est élu à la présidence américaine en novembre prochain, ses promesses de guerre contre l'Iran et sa vacuité face à Israël pourraient assez facilement conduire à une guerre mondiale, impliquant non seulement les États-Unis et l'Iran, mais aussi l'Europe, la Russie et la Chine. (Rappelez-vous qu'il n'a fallu que d'un seul coup de revolver pour déclencher la 1ièreGuerre mondiale en 1914, une fois que les conditions requises étaient satisfaites!).

– En effet, si les États-Unis ont comme président un mormon dévot et sans pitié, tout sera en place pour une guerre mettant en cause les trois religions abrahamiques que sont le christianisme, l'islam et le judaïsme. Ce n'est pas une prédiction de ma part; tout ce que je crains, c'est que cela se produise.

Guerres impériales ou d'hégémonie

1494-1516: Guerre mondiale (France)
1580-1609: Guerre mondiale (Espagne)
1688-1714: Guerre mondiale (France)
1792-1815: Guerre mondiale (France)
1914-1945: Guerre mondiale (Allemagne)
1999-2015(?):Guerre mondiale (!) (États-Unis)

d - Comme quatrième raison du dépérissement actuel, j'y vois une cause plus technologique, c'est-à-dire l'apparition chez les jeunes générations d'un homo digitalis, bien branché certes par la technologie, mais une technologie qui isole et qui peut à la longue déshumaniser l'individu en le confinant à un espace virtuel dans lequel la chaleur humaine et les interactions humaines sont grandement réduites. C'est un être bien branché digitalement et inondé d'informations – et aussi de propagande – mais qui est en même temps, paradoxalement, davantage isolé, plus atomisé, plus homogénéisé, plus individualiste, plus compétitif, moins coopératif, plus égoïste, plus narcissique et fondamentalement plus conservateur à bien des égards.

Des études et des tests faits aux États-Unis montrent que les étudiants américains dans les collèges aujourd’hui font montre d'environ 40 pourcent de moins d'empathie envers les autres que les étudiants d'il y a 20 ou 30 ans.1 Autrement dit, la conscience sociale des leaders de demain est en baisse. Cela augure mal pour l'avenir.

Je pose la question: Est-ce que la technologie – qui progresse plus rapidement que le sens moral – est en train de faire des êtres humains des sociopathes2, c'est-à-dire des êtres qui ont très peu de compassion pour leurs semblables?

On sait déjà, à l'expérience, que des psychopathes4 – c'est-à-dire des personnes qui n'ont aucun remords pour leurs crimes, aucune empathie ou sympathie pour les autres – peuvent à l'occasion se hisser jusqu'aux sphères les plus hautes du pouvoir politique. Ce sont en effet des personnes qui ont une structure mentale différente dans les tests de MRI. Ils représentent environ un pourcent dans une population.4

Si la population future devient elle-même antisociale, ce n'est pas seulement une régression morale qui nous attend, mais c'est une régression sociale et économique d'envergure qui nous guette.

Un autre exemple où la technologie évolue plus rapidement que le sens moral est le recours à des avions sans pilote, des “drones” qui sont commandés à de très grandes distances (en fait les centres de contrôle sont aux États-Unis), et qui larguent leur chargement de bombes sur des attroupements humains dans des zones considérées “ennemies” à l’autre bout de la planète.

Pour son grand malheur, le Président démocrate actuel, Barack Obama, (récipiendaire d'un Prix Nobel pour la paix!), a permis une explosion de ces bombardements à distance, surtout au Pakistan, mais aussi dans d'autres parties du globe.
– Il faut donc se préparer: La guerre future va devenir, de plus en plus, une dérivée des jeux vidéo.

e - J'en viens à la cinquième cause, à mon avis, du déclin et de la décadence actuelle, et cette cause est spécifiquement morale. Elle est bien sûr reliée aux quatre premières causes.

Nous vivons, en effet, sous l'influence d'un mauvais code moral d'origine religieuse qui est davantage fondé, malheureusement, sur le sectarisme et les conflits plutôt que sur l'empathie et l'ouverture aux autres. Ce code établit d'office des divisions de droits entre les êtres humains et justifie et même encourage les conflits entre les êtres humains en proposant des dogmatismes intransigeants.

On ne peut qu'être préoccupé, en effet, sinon horrifié, par la montée en puissance de l'obscurantisme, du sentiment anti-scientifique, du créationnisme et de la religiosité en général dans certains pays puissants, tel chez notre voisin les États-Unis. La montée du sentiment impérialiste et militariste dans ce dernier pays devrait être une grande préoccupation pour le monde entier.

III- Conclusion

Comment aborder tous ces problèmes?

J'ai une conclusion générale et quelques conclusions plus spécifiques.

Ma conclusion la plus générale est à l'effet que le monde a besoin présentement d'une véritable révolution morale. Je ne me fais pas d'illusions : pour que ce genre de changement en profondeur se produise, il est peut-être nécessaire que les choses s'enveniment à un tel point que cela devienne inévitable.

Mes conclusions particulières sont plus pratiques.

En ce qui concerne l'économie et la politique, par exemple, les remèdes sont assez évidents ; il s'agit d'arrêter de creuser et d'entreprendre les réformes nécessaires.

En premier lieu, il faut cesser d'orienter l'ensemble de l'économie dans le sens de l'intérêt particulier des banquiers et des spéculateurs. Le problème, c'est que ces gros intérêts achètent les politiciens et contrôlent les médias de sorte que rien ne se fait, sinon que les choses empirent. Par conséquent, en deuxième lieu, il faut absolument redonner le pouvoir à la population et réduire sinon éliminer l’influence de l’argent en politique. Autrement dit, il faut faire exactement le contraire de ce que la Cour Suprême américaine souhaite faire.

Il en va de même de notre système politique archaïque. À tout le moins devrait-on copier le modèle politique français à double tour, afin d'éviter que des aventuriers politiques n'accèdent à un pouvoir quasi absolu avec une minorité d'appuis populaires.

En ce qui concerne le caractère moral des personnes, et comme les études démontrent qu'il n'y a que vingt pourcent des gens qui sont spontanément empathiques, il serait sage que nous suivions le conseil du philosophe chinois Hsün Tzu (c.310—c.220 AD) qui observa il y a fort longtemps que "les hommes sont portés vers le mal ; et qu'il faut un entrainement pour être bon."L'enseignement des règles morales de vie en société m'apparait être une nécessité incontournable. – À ce titre, je ne crois pas que c'est le programme «Éthique et culture religieuse» mis en place au Québec il y a quelques années qui remplit la commande. Nous aurions besoin d'un cours pour les élèves et les étudiants qui soit mieux ciblé et plus étoffé.

En ce qui concerne le climat de guerre permanent dans lequel nous vivons présentement, je souhaite tout simplement que le cycle de cent ans des guerres mondiales hégémoniques, identifié par Toynbee et d'autres, ne s'appliquera pas à notre siècle et que les psychopathes enragés ne réussiront pas. Sinon, le désastre qui frapperait l'humanité serait sans pareil.

J'en conclus finalement qu'en ce qui regarde la civilisation, nous sommes encore des primitifs. L'humanité a beaucoup de chemin à faire, Nous en sommes encore aux balbutiements d'une véritable civilisation.
                             

1. Voir la recherche de Sara Konrath, une spécialiste de l'Université du Michigan (Institute for Social Research), basée sur 72 différentes études des étudiants des collèges américains effectuées entre 1979 et 2009.

2. La sociopathie est considérée comme un trouble de la personnalité dont le critère principal d'identification est la capacité limitée, pour les personnes montrant les symptômes du trouble, à ressentir les émotions humaines, aussi bien à l'égard d'autrui qu'à leur propre égard. C'est ce qui peut expliquer leur manque d'empathie quand ils sont confrontés à la souffrance des autres, témoignant d'une incapacité à ressentir l'émotion associée à l'empathie ou la souffrance. (Voir, Le trouble de la personnalité antisociale surwww.Maladiesmentales.org, 26 février 2009).

3. La psychopathie est un trouble de la personnalité caractérisé par un manque d'empathie et de remords, des émotions peu profondes, de l'égocentrisme et de l'imposture. Les psychopathes (patients atteints de psychopathie) adoptent un comportement antisocial, des traitements abusifs envers les autres, et agissent violemment dans certaines situations. Bien qu'ils manquent d'empathie et d'émotions, ces individus réussissent à mentir sur ce qu'ils ressentent et sur ce qu'ils vivent. (Voir : Psychopathie , aussi : Serial Killers and Politicians Share Traits )

4. Voir le livre “Snakes in Suits: When Psychopaths Go to Work” de Robert Hare et Paul Babiak, 2007. Selon le Dr. Hare, la plus grande concentration de personalités psychopatiques se retrouve en politique et dans le monde des affaires. Voir aussi “Without Conscience: The Disturbing World of the Psychopaths Among Us” de Robert D. Hare, 1999.
                                     

* Tiré d'une conférence prononcée par l'auteur lors du Congrès de l'International Humanist and Ethical Union (IHEU), Montréal (Québec), le 4 août 2012.

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lundi 21 novembre 2011
Vigile

Un retour suicidaire vers un passé qu’on croyait révolu
Ces jours-ci, le Québec ressemble à un navire sans capitaine qui dérive au gré des flots, sans projet et sans dessein.
  
par Rodrigue Tremblay, économiste 
Ancien ministre de l’Industrie et du Commerce dans le gouvernement québécois 

« Nous sommes prêts maintenant pour la libération économique, il n’y a plus de maintenant ou de jamais ; ce soir nous devons dire c’est maintenant que nous deviendrons maîtres chez nous. » 
Jean Lesage (1912-1980), premier ministre du Québec, 1962

"Peu à peu nous prenons l’habitude du recul et de l’humiliation, à ce point qu’elle nous devient une seconde nature." 
Charles De Gaulle (1890-1970), 1939
« Une nation fatiguée de longs débats consent volontiers qu’on la dupe, pourvu qu’on la repose, et l’histoire nous apprend qu’il suffit alors pour la contenter de ramasser dans tout le pays un certain nombre d’hommes obscurs ou dépendants, et de leur faire jouer devant elle le rôle d’une assemblée politique, moyennant salaire. » 
de Tocqueville, Alexis (1805-1859), "L’ancien régime et la révolution", 1856


En 1962, le président de la compagnie de chemins de fer “Canadian National” (CN) Donald Gordon (1901-1969) déclara que s’il n’y avait aucun francophone parmi les 17 vice-présidents de la compagnie, c’était parce qu’il n’y en avait pas d’assez compétent pour un tel poste. C’est ce même personnage d’allégeance impérialiste, né en Écosse, qui insista pour nommer un nouvel hôtel à Montréal le “Queen Elizabeth Hotel” plutôt que “Château Maisonneuve” du nom du fondateur de la Ville de Montréal, Paul Chomedey de Maisonneuve, comme plusieurs Montréalais le lui demandaient. — C’était il y a un demi-siècle.

Ces évènements humiliants et de nombreux autres persuadèrent les Québécois que le contrôle de l’économie, à défaut de prendre le contrôle politique du territoire, était une mesure essentielle pour assurer leur avenir, pas seulement au Canada, mais à l’intérieur même du Québec.
De là naquit le projet d’investir massivement en éducation, sous l’égide de Paul-Gérin Lajoie, afin de mieux préparer l’avenir des jeunes Québécois et Québécoises. Au plan économique, le gouvernement de Jean Lesage avait senti le besoin, dès 1962, de regrouper des capitaux afin de favoriser le développement économique du Québec. Pour ce faire, il mit sur pied la Société générale de financement (SGF), initialement une société mixte publique-privée. Par la suite, toujours dans l’optique de renforcer l’économie québécoise et d’accroître la participation des francophones à leur économie, René Lévesque se fit l’instigateur de la nationalisation d’Hydro-Québec en 1963, avec comme l’un des objectifs d’imposer le français comme langue de travail au sein de l’entreprise. C’est ainsi aussi que le gouvernement de Jean Lesage créa la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDP) en 1965, avec le double mandat de faire fructifier les avoirs sous gestion (rôle de fiduciaire) et de contribuer au développement économique du Québec (rôle de promoteur économique). Cette période de la première partie des années soixante en fut une d’effervescence, de vision et d’action. Ce fut vraiment le décollage de ce qu’on a appelé une Révolution tranquille pour le peuple québécois. C’est cette Révolution tranquille qui s’étiole présentement et qui risque de nous ramener un demi-siècle en arrière, sinon tout un siècle en arrière.
En effet, nous assistons aujourd’hui à un effort de démantèlement systématique par des intérêts hostiles au Québec d’à-peu-près tout ce qui a été construit pour libérer et faire progresser le peuple du Québec au plan économique, politique et linguistique depuis cinquante ans.
Au niveau fédéral, la politique officielle du gouvernement de Stephen Harper semble en être une qui consiste à bafouer le plus possible le français, aidé en cela par quelques ’porteux-de-valises’ dont la fonction est de s’accroupir quand le chef le demande. Quand on se fait tapis, il ne faut pas se surprendre de se faire marcher dessus ! Au cours des derniers mois, Harper a multiplié les insultes à l’endroit des francophones : nominations de juges unilingues anglais à la Cour Surpême, nomination d’un nouveau vérificateur général unilingue anglais, retour en masse des sigles de l’empire britannique dans les ministères et dans les ambassades, etc. C’est ce même Harper qui prétendait donner des leçons au Québec quand il déclarait en 2002 que « Les arguments ... selon lesquels il faut un statut spécial pour protéger la langue française au Québec – sont tout simplement faux. » (le 19 janvier 2002) Et, un de ses “porteux-de-valises” québécois sans jugement et sans vision faisait sienne récemment une pareille énormité !
Au Québec même, la mollesse, le je-m’en-foutisme et l’absence de vision et d’épine dorsale d’un gouvernement assiégé font en sorte que l’immobilisme et le laisser-aller en matière linguistique règnent en maître. Le gouvernement de Jean Charest ressemble de plus en plus au gouvernement d’Alexandre Taschereau dans les années trente : c’est un gouvernement incapable et inepte, quand il ne se complait pas tout simplement dans un climat malsain de corruption et de cynisme.
Quand on apprend qu’un des fleurons de la Révolution tranquille, la Caisse de dépôt et placement du Québec, embauche des dirigeants unilingues anglophones, et cela en violation directe avec la Charte de la langue française, on n’est pas loin d’être revenu à l’époque des Donald Gordon, mais cette fois-ci par la lâcheté et la pusillanimité des nôtres. Il faut dire, en passant, que c’est cette même institution qui est allée bêtement perdre $40 milliards avec des spéculations à Toronto. Cette perte scandaleuse représente exactement le montant qu’il en aurait coûté pour conserver au Québec le contrôle de l’Alcan, le principal fleuron industriel du Québec !
Et quand la Banque nationale, une banque qui est le produit de la fusion de la Banque Canadienne Nationale et de la Banque Provinciale sous contrôle du Mouvement Desjardins en 1979, faut-il le rappeler, se met elle aussi à copier la Caisse de dépôt et embauche des patrons unilingues anglophones, il faut dire que l’exemple vient de haut. Ces jours-ci, le Québec ressemble à un navire sans capitaine qui dérive au gré des flots, sans projet et sans dessein.
Qu’attend le gouvernement Charest pour renforcer la loi 101, laquelle a été écorchée de toutes parts par les politiciens fédéraux et par la Cour Suprême du Canada, et comme le lui recommandait il y a un an le Conseil supérieur de la langue française ? Attend-il que la situation linguistique au Québec devienne irréversible et hostile à la majorité francophone ? Si oui, il sera jugé sévèrement par l’histoire.
Il est temps que les Québécois se fassent respecter.



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Le 17 juillet 2011
LA GRÈCE ET L’EURO : Une situation de dette excessive et improductive et d’implosion financière

Si vous ne pouvez pas l’expliquer simplement, c’est que vous ne le comprenez pas assez bien.– Albert Einstein (1879-1955), professeur et physicien théoriste né en Allemagne. Prix Nobel 1921
Chaque génération doit payer ses propres dettes. Si ce principe était appliqué il y aurait moitié moins de guerres dans le monde.
– Thomas Jefferson (1743-1826), 3ème Président des USA (1801-09)
Ayant vu les peuples de tous les autres pays écrasés par les guerres et les prodigalités de leurs dirigeants, j’ai voulu favoriser au contraire la paix, l’épargne et le règlement de la dette publique car j’étais convaincu que c’était le meilleur chemin vers le bonheur et la prospérité publique et privée.
– Thomas Jefferson


Le 4 juillet, l’organisme de prêt Standard & Poor’s a dit la vérité en ce qui concerne la Grèce, à savoir que ce pays est en faillite financière. Aucun tour de main, aucune occultation, aucune réorganisation de la dette et aucune aide "innovante" ne pourra dissimuler le fait que les règles défectueuses qui régissent la zone Euro aient donné l’occasion à certains de ses 17 membres de succomber à la tentation d’un endettement excessif et improductif suivi d’un défaut de paiement de la dette accompagné d’une écrasante hausse des coûts d’emprunt.
La Grèce (11 millions d’habitants) a, en fait, abusé de la crédibilité que lui donnait son adhésion à la zone Euro. En 2004, par exemple, le gouvernement grec s’est embarqué dans des dépenses somptuaires pour accueillir les jeux olympiques de l’été 2004 d’un montant de 7 milliards d’Euros (12,5 milliards de dollars). Puis de 2005 à 2008, le même gouvernement a décidé de faire d’autres folles dépenses, cette fois pour acheter toutes sortes d’armes dont il n’avait pas besoin à des fournisseurs étrangers. Accumuler une énorme dette étrangère de 533 milliards (2010) était la solution de facilité. Mais tôt ou tard, il faut payer le joueur de pipeau et on ne peut plus cacher le montant de la dette.
La situation financière actuelle de la Grèce (et celle d’autres pays européens comme l’Espagne, le Portugal, l’Irlande et même l’Italie) sont comparables à celle de l’Argentine il y a 10 ans environ. Dans chaque cas, un membre problématique d’une union monétaire donnée a conduit à un endettement étranger disproportionné qui a engendré une fuite des capitaux et une ruineuse déflation* par la dette.
Dans le cas de l’Argentine, le pays avait décidé d’adopter le dollar étasunien comme monnaie alors même que le niveau de productivité de l’Argentine était inférieur d’un tiers à celui des USA. Un taux de change artificiel de un peso=un dollar étasunien a tenu pendant presque dix ans avant l’effondrement inévitable.
Il est vrai que l’adhésion à une union monétaire d’un groupe de pays qui adopte une monnaie commune peut être un moyen puissant de stimuler l’économie et la productivité en bridant l’inflation quand ces unions monétaires sont bien construites mais elles peuvent se transformer en cauchemar économique quand elle ne le sont pas.
Malheureusement pour de nombreux membres pauvres de l’Europe, les règles d’une union monétaires viable n’ont pas été suivies et les conséquences catastrophiques de cette erreur ne devraient pas surprendre ceux qui ont une certaine connaissance de la finance internationale.
Quelles sont les règles à suivre pour qu’une union monétaire qui a une monnaie commune soit viable et stable ?
1- D’abord et surtout, les pays membres doivent avoir des structures économiques et des niveaux de productivité du travail comparables afin que la monnaie commune ne paraisse pas constamment surévaluée ou constamment sous-évaluée par rapport à l’économie de tel ou tel membre. L’alternative est d’avoir un haut niveau de mobilité de la main d’oeuvre entre les économies régionales de sorte que les niveaux de chômage ne restent pas trop hauts dans les régions les moins compétitives.
2- Deuxièmement, si aucune de ces deux premières conditions ne sont remplies (ce qui est généralement le cas parce que les unions monétaires réelles sont rarement des "zones monétaires optimales"**), l’union monétaire dont être dirigée par une entité politique puissante, comme par exemple un système de gouvernement fédéral, qui soit capable de transférer rapidement des fonds provenant des impôts des économies excédentaires vers celles qui sont déficitaires à travers un système centralisé d’égalisation des paiements.
Cela pour éviter l’insécurité et les tensions politiques qui surgissent quand le niveau de vie augmente dans les régions en excédent et baisse dans les régions en déficit. Mais quand les taux d’échange régionaux ne peuvent pas être réajustés à la hausse et ou à la baisse pour rééquilibrer la balance des paiements de chaque membre et quand la loi du prix unique s’applique à toute la zone monétaire, il ne reste pour seul levier d’ajustement aux déséquilibres extérieurs que les fluctuations des niveaux de revenu et d’emploi. Cela peut se révéler une solution très douloureuse.
Un tel système d’ajustement par la variation du revenu ou de l’emploi plutôt que par la variation des prix nous rappelle un peu la manière dont fonctionnait la règle d’or du 19ième siècle, malgré sa tendance déflationniste, sauf qu’au 19ième siècle il y avait une inflation des prix et des revenus dans les pays excédentaires et une baisse des prix et des revenus dans les pays déficitaires qui résultait de l’augmentation des réserves monétaires dans les économies excédentaires et de la diminution des réserves monétaires dans les pays déficitaires. Dans une union monétaire plus ou moins formelle la banque centrale contrôle le niveau général des prix pendant que les revenus augmentent et baissent.
3- La troisième condition pour qu’une union monétaire fonctionne bien, est la liberté de mouvement des capitaux bancaires et financiers dans la zone. Cela a pour but de maintenir des taux d’intérêts cohérents dans la zone monétaire qui prennent en compte le facteur de risque et aussi de favoriser le financement des projets productifs où qu’ils se trouvent.
Aux USA par exemple, le marché des fonds fédéraux éminemment liquide***, permet a des banques qui sont temporairement déficitaires d’emprunter des fonds à court terme à des banques qui sont temporairement en excédent. Au Canada, de grandes banques nationales ont des succursales dans toutes les provinces et peuvent facilement transférer des fonds des succursales qui ont des surplus aux succursales déficitaires sans affecter leurs opérations de prêts et de crédit.
4- La quatrième condition est d’avoir une banque centrale commune qui peut prendre en compte non seulement les niveaux d’inflation mais aussi la croissance économique réelle et les taux de chômage dans ses décisions de politique monétaire.
Malheureusement pour elle, la zone Euro a généralement échoué à remplir les conditions de base du bon fonctionnement d’une union monétaire.
Voyons une par une les raisons de cet échec.
a) D’abord, les niveaux de productivité du travail (la production par heure de travail) sont très différents d’un pays membre à l’autre. par exemple, en 2009, l’index de la productivité de l’Allemagne était de 100, il était seulement de 64,4 en Grèce, presque un tiers de moins. Au Portugal et en Estonie, par exemple, il était encore plus bas, à 58 et 47 respectivement. Cela signifie que l’Euro, comme monnaie commune, apparaît comme sous-évalué pour l’Allemagne et surévalué pour beaucoup d’autres membres de la zone Euro, ce qui stimule les exportations de l’Allemagne mais handicape fortement la compétitivité des autres membres de l’union.
b) Deuxièmement, et c’est peut-être encore plus important, la zone Euro n’est pas soutenue par une union fiscale et politique forte et stable. En conséquence les transferts fiscaux entre les membres sont laissés à des décisions politiques au coup par coup ce qui crée de l’insécurité. En fait il n’y a pas de mécanisme d’égalisation des balances commerciales entre les économies fortes et les économies faibles de la zone Euro. C’est pour cela qu’on peut dire qu’il n’y a pas de solidarité économique durable dans la zone Euro.
c) Troisièmement, ceux qui ont crée la zone Euro ont choisi de limiter le rôle de la Banque Centrale Européenne à un rôle monétaire réduit ; son obligation principale est de maintenir la stabilité des prix et elle n’est pas autorisée à jouer un rôle direct sur la stabilité macroéconomique de la zone ni à prêter directement de l’argent aux gouvernements en créant de la monnaie si besoin est. C’est pour cela qu’on peut dire qu’il n’y a pas de solidarité financière statutaire dans la zone Euro.
4) Et enfin, même si la mobilité du capital et du travail dans la zone Euro est assez élevée, historiquement parlant, elle est loin d’être aussi ancrée que par exemple dans l’union monétaire étasunienne.
Rétrospectivement, il semble que la création de la zone Euro en 1999 ait été davantage un pari politique qu’un projet monétaire et économique bien pensé. C’est tout à fait regrettable parce qu’une fois que les membres de la zone les plus éloignés du noyau auront fait faillite et seront probablement retournés à leur monnaie nationale, le choc financier aura de vraies conséquences économiques, pas seulement en Europe mais dans le monde entier.
De nombreux économistes pensent que la meilleure solution pour la Grèce et le reste de l’Union Européenne serait de mettre en oeuvre "une cessation de paiement organisée" de la dette publique grecque qui permettrait à Athènes de sortir de l’Euro et de reprendre sa monnaie nationale, le drachme, à un taux inférieur. Cela éviterait à la Grèce une longue dépression économique.
Refuser d’accepter l’évidence c’est à dire, une cessation de paiement organisée, ferait plaisir aux banquier créanciers de la Grèce mais nuirait grandement à son économie, ses travailleurs et ses citoyens. C’est à cela que servent les lois sur la faillite, à libérer les débiteurs de dettes impossibles à rembourser.
De toute évidence le pays le plus endetté de la terre n’est pas la Grèce mais les USA. permettez-moi de conclure en disant ceci : Si les politiciens étasuniens n’arrêtent pas de jouer à des jeux politiques avec l’économie, beaucoup d’Etasuniens vont souffrir dans les mois et les années qui viennent et d’autres pays seront contaminés.

Que l’Europe et les USA soient en difficulté économique tous les deux en même temps est une très mauvaise chose pour l’économie mondiale.

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HOMMAGE à l'ÉCONOMISTE ANDRÉ RAYNAULD
Le 18 avril 2011
Le décès de l'économiste André Raynauld: Une grande perte pour le monde universitaire
par Rodrigue Tremblay, professeur émérite de sciences économiques, Université de Montréal, ancien ministre

Le professeur André Raynauld est décédé le 11 avril.

André Raynauld (1927-2011) fut un pionnier dans le développement des sciences économiques au Québec au vingtième siècle. Il commença sa carrière à l'Université de Montréal en 1954 et entreprit de mettre sur pied le département de sciences économiques, qui fut officiellement créé en 1958. Aujourd'hui, ce département est reconnu comme un des meilleurs au Canada et rayonne à travers le monde.

En ce faisant, André Raynauld poursuivait le travail de trois autres pionniers de l'enseignement économique au Québec, soit Édouard Montpetit (1881-1954) dans les années '20, de même qu'Esdras Minville (1896-1975) et François-Albert Angers (1909-2003) plus tard, lesquels, à leur façon, avaient lancé l'étude systématique de l'économie, tant à l'Université de Montréal qu'à l'École des Hautes Études Commerciales.

On doit à André Raynauld, cependant, de même qu'à un belge d'origine, Roger Dehem, d'avoir joué un rôle central dans l'introduction de l'étude scientifique formelle et universelle des phénomènes économiques à l'Université de Montréal, en parallèle avec le développement des sciences économiques qui se faisait alors à l'Université Laval à Québec, sous l'égide de Maurice Lamontagne (1917-1983) et d'Albert Faucher (1915-1992), et plus tard de Tadek Matuszewski (1925-1989) et de nombreux autres intervenants.

André Raynauld fut à la fois un économiste chevronné, un administrateur hors pair, un intellectuel engagé et un homme d'action. Il sut faire une synthèse entre la recherche et l'enseignement, d'une part, et l'entrepreneurship, l'administration et le développement des idées, d'autre part. Son ouvrage le plus marquant fut sans doute son livre sur l'économie du Québec, “Croissance et Structure Économiques de la Province de Québec”, publié en 1961. Ce livre faisait une rétrospective de l'économie québécoise de 1870 à 1957, et évaluait les avantages comparés des industries québécoises. Ses publications sur les “Institutions économiques canadiennes” (1964) et sur “la Propriété des entreprises au Québec” (1974) font encore autorité aujourd'hui. Auteur de nombreux articles parus dans des revues spécialisées, André Raynauld fut aussi codirecteur de la Revue canadienne d'économie et de science politique (1965 à 1967) et de la Revue canadienne d'économique (1968 à 1970).

Créateur, bâtisseur et novateur, il fut non seulement le premier directeur du département de sciences économiques à l'Université de Montréal, mais il fut aussi le fondateur du Centre de recherche en développement économique (CRDE) à la même institution, et dont il devient le premier directeur en 1970.

Très près de la réalité économique, André Raynauld assuma de nombreuses et prestigieuses responsabilités tant au plan national qu'international. C'est ainsi qu'il fut tour à tour conseiller auprès de la Commission royale d'enquête sur la fiscalité (1962 et 1963), du Bureau d'aménagement de l'est du Québec (1964 à 1966), de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (1964 à 1968), du ministère des Finances du gouvernement fédéral (1965 à 1967), de la Commission des prix et des revenus (1970), en plus de poursuivre des travaux de recherche au Centre de développement de l'OCDE à Paris. Rares sont les économistes qui peuvent compter à leurs actifs une telle expérience polyvalente des milieux académiques et économiques. De plus, de 1971 à 1976, André Raynauld assuma la présidence du prestigieux Conseil économique du Canada d'où il put poursuivre ses recherches, entre autres sur les conséquences du libre-échange pour le Canada.

Invité par le Premier ministre Robert Bourassa, il fut élu député de la circonscription d'Outremont en 1976 et servit en tant que critique économique de l'Opposition à l'Assemblée nationale jusqu'à son retour à l'Université de Montréal en 1980. L'Université de Montréal lui conféra le statut de professeur émérite en 1993. André Raynauld était Officier de l'Ordre du Canada et membre de la Société royale du Canada.

Avec le décès d'André Raynauld, c'est donc tout un pan de l'histoire du développement des connaissances économiques au Québec qui vient à terme.


Il convient de rendre à André Raynauld un vibrant hommage et de saluer sa grande contribution à l'avancement du Québec et du Canada.


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Religiosité contemporaine: Nationalisme religieux versus nationalisme politique

par Rodrigue TREMBLAY

(Le Québec Sceptique, printemps 2011, pp 38-43.)


Les religions ont, dans le passé, joué un important rôle de cohésion sociale —jusqu'à former des théocraties totalitaires entretenues par un étroit nationalisme religieux. Certains États persistent toujours aujourd'hui dans cette voie, soutenus par les États-Unis d'Amérique, transgressant ainsi certains principes fondamentaux de leur Constitution laïque.

La Religiosité dans le monde


La religiosité semble présentement en hausse dans certaines parties du monde. Cela peut surprendre, puisque les niveaux d'éducation semblent aussi être en hausse, et on sait que les religions se nourrissent de tous temps d'ignorance.

Ce qu'il faut comprendre avec la et les religions, et ce qui pousse les gens à s'y accrocher et à rechercher une identité et un sens de la communauté, c'est qu'elles sont une forme de nationalisme, c'est-à-dire un nationalisme religieux, qu'il soit chrétien, juif ou islamique, par rapport à un nationalisme politique essentiellement laïque. C'est pourquoi je crois que lorsqu'on enlève aux grandes religions leurs habits théologiques, ce que nous trouvons, ce sont autant de mouvements politiques et sociaux.

Besoins sociaux d'appartenance


Il y a une raison émotionnelle et sociale pour que certaines personnes joignent les religions, en fonction d'un certain instinct naturel d'appartenance et d'adhésion à un groupe, bien au-delà de toute proposition métaphysique. En effet, les êtres humains sont des animaux sociaux et ils ont un penchant naturel à faire partie d'un groupe ou d'une communauté. C'est une condition de survie. Quand l'appartenance à la nation est faible, et que le nationalisme politique est faible, on peut comprendre que les gens peuvent se rabattre sur le nationalisme religieux en tant que substitut.

J'ouvre une parenthèse ici pour dire que la grande tragédie de notre temps vient du fait que certaines puissances ont trouvé que c’est dans leurs intérêts de combattre le nationalisme politique, en particulier au Moyen-Orient, et de le remplacer par un nationalisme d'essence religieuse. En ce faisant, ils ont nourri un monstre qui perturbera le monde pour 100 ans à venir.

En fait, je suis d'avis que les guerres de religion qui s'annoncent vont être beaucoup plus coûteuses que ne le fut la Guerre froide contre l'Union soviétique.

Pouvoir religieux guerrier


Pourquoi les grandes religions constituent-elles une puissante forme de nationalisme religieux qui transcende les nations et les pays?

En premier lieu, c'est que la plupart des gens joignent les religions, ou sont dans l'obligation de le faire à un tout jeune âge et continuent d'y adhérer par la suite, pour des raisons qui sont bien loin de la théologie ou qui sont loin de relever des promesses extravagantes concernant l'après-vie. Ce sont des raisons bien plus terre-à-terre qui poussent certaines personnes vers les organisations religieuses.

Les grandes religions, celles que j'appellerais les religions “impériales”, le christianisme et l'Islam par exemple, sont des religions de pouvoir.

•      Pour le christianisme, cela s'est fait officiellement au 4èmesiècle quand cette religion a renié son pacifisme et s'est fusionnée avec l'empire romain sous Constantin et Théodose Ier.
•      Pour l'Islam, ce fut dès ses débuts une religion politique puisqu'elle proposait de fusionner en un seul le poste de leader politique et celui de leader religieux. En effet, le calife dans l'Islam devait réunir à la fois le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel. En Turquie, par exemple, ce ne fut qu'en 1924 que (Mustafa Kemal) Atatürk abolit cette fonction de calife, établissant ainsi une nette séparation entre la religion et l'État.

[De nos jours, certains musulmans seraient favorables à un éventuel retour d'un grand califat, qui ferait pendant à la Papauté catholique. ]

C'est pourquoi, de tout temps, les dirigeants politiques ont vu dans la religion un outil sans pareil pour créer la cohésion et l'unité au sein d'un pays ou d'un empire.
C'est aussi une des raisons pour laquelle aussi, dans le passé, les dirigeants politiques ont souvent agi en tant que chefs religieux. Ils y trouvaient légitimité et soutien.

Pendant des siècles, ces grandes religions ont été (et l'Islam continue de l'être dans de nombreux pays) des religions d'État, c'est-à-dire des religions officielles auxquelles les gens n'ont pas le choix de ne pas adhérer sous peine de mort ou d'ostracisme, et qui ont étendu leur hégémonie par l'épée, et non pas par la qualité de leurs doctrines. Les guerres de Croisades et les guerres de Colonisation ont souvent précédé l'hégémonie de ces religions impériales, que ce soit en Afrique pour l'Islam ou en Amérique du Sud pour le christianisme.

Une première conclusion: En grande partie, les grandes religions impériales d'aujourd'hui sont le résultat des guerres passées, donc de la violence.

Totalitarisme religieux


Il faut se rappeler, par exemple, que la règle islamique rétrograde du “fatwa” est semblable à la règle catholique d'excommunication au Moyen-Âge, laquelle s'accompagnait d'un permis de tuer la personne ainsi désignée. C'est ce qui explique pourquoi des scientifiques comme Galilée dûrent renoncer à leurs idées scientifiques plutôt que de subir la persécution.

C'est l'avènement de la démocratie constitutionnelle en Europe au 18ème siècle qui a enlevé à l'excommunication catholique son côté sanguinaire. Pour des pays islamiques autoritaires comme l'Iran, cette signification totalitaire demeure toujours. Ces pays, en effet, continuent de condamner à la prison des personnes dont le seul crime et celui de refuser d'adhérer à leur religion officielle. C'est pourquoi de tels pays peuvent être qualifiés de totalitaires.

Donc, une raison fondamentale derrière le pouvoir des grandes religions établies vient du fait que pendant des siècles les personnes ont été forcées d'y adhérer. Et c'est encore le cas pour l'Islam dans certains pays parmi les plus attardés et les plus primitifs.

Exemples de nationalisme religieux


En deuxième lieu, il faut reconnaître que le nationalisme religieux a eu beaucoup d'attrait historiquement pour des populations qui, pour une raison ou une autre, se sont trouvées coupées du nationalisme politique ou qui ne pouvaient pas s'en prévaloir.

Je donne rapidement trois exemples.

1.     L'exemple du Québec après la Conquête britannique, et surtout après l'échec de la rébellion de 1937-39.
Après 1840, et jusqu'en 1940, le Québec a vécu l'expérience de cent ans de théocratie larvée, soit une période qualifiée de la Grande Noirceur dans notre histoire. Après la révolte manquée contre l'occupant britannique en 1837-39, l'Église catholique devint le centre politique de la population écrasée, et elle prit de facto le contrôle de tout ce qui était important dans la vie collective sociale au Québec, à l'exception de la sphère économique et de la grande politique : éducation (tout en s'opposant à l'école obligatoire), hôpitaux, orphelinats, institutions d'assistance ou de réhabilitation, (sanatoriums et des hospices, etc.)

Et, pour mieux être dans les bonnes grâces de l'empire britannique, les dirigeants de l'église catholique du temps se hâtèrent d'excommunier les leaders patriotes de l'insurrection afin de prendre leur place dans le restant de vie politique autonome que l'occupant voulait bien leur concéder.

Nos évêques indigènes du temps furent alors de fidèles serviteurs de deux empires étrangers : l'empire britannique qui occupait militairement le Québec à ce moment-là et l'empire romain catholique de Rome à qui ils devaient leur première allégeance.

La théorie religieuse de la politique du temps était à l'effet que le pouvoir politique venait de Dieu et que les autorités royales ou impériales en étaient les détenteurs légitimes. Le peuple n'avait aucun droit à l'auto-gouvernance.

C'est ainsi que le 25 juillet 1837, Mgr Jean-Jacques Lartigue (1777-1839), premier évêque de Montréal, déclara ce qui suit à l'endroit des Patriotes :

Il n'est jamais permis de se révolter contre l'autorité légitime, ni de transgresser les lois du pays ; ...il (n'est pas) permis de se révolter contre le gouvernement sous lequel nous avons le bonheur de vivre...”.

Pour lui, «  l'autorité royale vient de Dieu. » —Point à la ligne. Et Dieu aime les rois et les reines !

Ceci explique pourquoi après leur défaite, il se hâta d'excommunier les Patriotes, dont douze furent pendus, ajoutant ainsi l'injure à la trahison.

Par conséquent, le pouvoir politique n'était pas seulement le fait des occupants britanniques. L'église catholique et la hiérarchie catholique canadienne revendiquaient pour elles-mêmes une part importante du pouvoir politique séculier.

Mgr Louis-François Laflèche (1818-1898), bras droit de Mgr Ignace Bourget (1799-1885) fut parmi les premiers à affirmer que les Canadiens français (les Québécois d'alors) constituent une nation catholique, qu'ils ont une mission providentielle à remplir, et qu'en conséquence, ils doivent d'abord à leurs évêques, chefs de droit divin de cette société sacrale, la soumission la plus absolue, tant sur le plan des affaires temporelles que sur le plan proprement spirituel, en-deçà bien sûr de la soumission obligatoire aux occupants militaires.

2.     Un deuxième exemple est le Sud des États-Unis, après sa défaite lors de la Guerre de Sécession. Le Sud, ayant perdu sa bataille pour le nationalisme politique, se réfugia dans le nationalisme religieux. Encore aujourd'hui, les états de la “Bible Belt” sont très religieux, je dirais même extrêmement religieux, et ce nationalisme religieux a servi en quelque sorte de substitut à un nationalisme politique qui leur échappait et qui leur échappe encore, quoique à un degré moindre que dans le passé.

3.     Finalement, on constate que les ghettos d'immigrants mal intégrés, en Europe bien sûr, mais de plus en plus ici aussi, se regroupent souvent autour de leurs religions d'appartenance comme s'il s'agissait d'un étendard ou d'un mouvement politique pour servir leurs intérêts. Les imans et les mullahs deviennent alors des personnages politiques importants, quand ils n'essaient pas d'appliquer leurs lois religieuses au détriment des lois civiles et de la constitution du pays d'accueil.

Par conséquent, on ne doit pas sous-estimer l'aspect organisationnel pratique et d'encadrement politique et social des grandes religions. Même quand les gens ne sont pas ouvertement forcés d'adhérer à une religion en particulier, ils peuvent quand même trouver que c'est dans leur intérêt de le faire selon les circonstances.

Rôle social des religions


Il faut reconnaître que les religions ont joué un rôle important, sinon central, dans l'évolution humaine, et qu'elles continuent à fournir à une foule de gens des points de référence et une forme d'identité ou de communauté, en plus souvent de procurer des services personnels et sociaux importants.

Encore aujourd'hui, dans de nombreuses sociétés, en effet, ce ne sont pas les institutions publiques qui sont les organisations sociales les plus importantes, mais ce sont les organisations religieuses. En fait, dans ces sociétés, c'est la religion qui  en plus d'offrir des rites de vie ou de passage (naissance, mariage, mort, etc.), procure des services sociaux de toutes sortes.

Pour certaines personnes, en particulier les pauvres et les défavorisés, une raison importante d'adhérer ou de demeurer membres actifs d'une religion établie est de recevoir des services sociaux concrets et différentes formes d'assistance, à un faible coût.

Lorsque les gouvernements sont corrompus, incompétents ou parfois presque inexistants, il est compréhensible que des religions établies puissent elles-mêmes devenir une forme de gouvernement, dispensant divers services dans les domaines de l'éducation, de la santé ou de l'assistance sociale. Ce sont là des avantages tangibles. Cela n'a rien à voir avec l'idéal métaphysique d'un Au-delà idyllique, mais beaucoup plus à faire avec un soutien social réel.

Par conséquent, et ce sera une deuxième conclusion, dans de nombreux pays, les organisations religieuses sont en concurrence directe avec les institutions publiques officielles, et quand ces dernières sont absentes, incompétentes ou corrompues, l'organisation religieuse prend leur place. Vues sous cet angle, les religions établies sont des organisations éminemment politiques et sociales.

Promesse d'une après-vie


Une autre raison qui pousse certaines personnes vers les religions établies est encore plus émotionnelle, et c'est la promesse, que certains trouvent irrésistible, d'une autre vie après la mort. Et ceci se comprend parfaitement.

L'homo sapiens que nous sommes semble être la seule espèce dont les membres savent qu'ils vont mourir un jour. Ainsi, il est compréhensible qu'il y ait une demande pour toutes sortes de trucs qui peuvent aider à faire face à cette dure réalité. La religion est une forme bon marché d'une thérapie contre l'angoisse. Elle fournit une sorte de sérotonine contre l'angoisse face à la mort. Certains disent même que sous ce rapport les églises, les mosquées et les temples sont des usines de sérotonine! (On retrouve ici l'idée de Marx que « la religion est l'opium du peuple ».)

Le cerveau humain a beaucoup de difficulté à accepter l'idée de la mort. Il se révolte même contre cette idée. Le fait d'apaiser cette peur naturelle de la mort est donc une contribution fort utile des religions. Même s'il s'agit d'une grande supercherie, peut-être la plus grande de toute l'histoire humaine, il faut reconnaître son pouvoir d'attraction. C'est pourquoi, à mon avis, les religions tout comme les vendeurs de poudre perlimpinpin ont encore un avenir prometteur auprès des personnes peu instruites, naïves ou facilement influençables.

Source de moralité


Finalement, j'en viens à la  raison morale ¾ peut-être plus rationnelle ¾ de s'accrocher à la religion et qui sous-tend la thèse que je défends dans mon livre Le Code pour une éthique globale: Les gens peuvent avoir des doutes sérieux sur les promesses métaphysiques des religions, mais ils peuvent néanmoins vouloir se raccrocher à la religion parce qu'elle est une source de principes moraux à suivre ou à être enseignés aux enfants.

C'était la position d'Emmanuel Kant sur la religion. Si vous vous souvenez bien, Immanuel Kant (1724-1804), dans son analyse des religions, est arrivé à la conclusion paradoxale que, même si les fondements philosophiques des religions établies étaient faux, il était néanmoins nécessaire de les accepter (les religions), parce qu'elles étaient une source nécessaire de morale pour les êtres humains.

Je suis d'accord avec Kant que les religions sont généralement basées sur des croyances fausses et sur des mythes irrationnels. Cependant, contrairement à Kant, qui vécut au 18e siècle, mon analyse des codes fondés sur la religion de l'éthique m'a conduit à la conclusion qu'ils sont fondamentalement, soit déficients ou, à tout le moins insuffisants, sinon incomplets, pour une humanité qui doit vivre et survivre dans le contexte actuel du rétrécissement de la Planète.

C'est à cette supposée contribution des religions que je m'attaque dans mon livre. Au chapitre de l'éthique et de la morale, à tout le moins, je pense qu'il existe des substituts supérieurs à tout ce que peuvent offrir les religions établies.

Les humanistes ont longtemps prétendu que la morale est une préoccupation strictement humaine et qu'elle doit se concevoir indépendamment des croyances religieuses et de leurs dogmes. Cela ne fait pas disparaître la dure réalité de la mort, ni l'obligation d'avoir des gouvernements compétents en matière sociale, ni celle d'avoir des organisations humanitaires pour encadrer les évènements de la vie, mais au moins, au chapitre de la moralité, je pense que l'humanisme est un substitut supérieur à tout ce que les religions établies peuvent offrir. C'est ma troisième grande conclusion.

Les États-Unis d'aujourd'hui et la religion

J'en viens finalement au rôle que jouent les États-Unis dans la promotion des religions dans le monde.

Tout d'abord, disons qu'aux États-Unis, même aujourd'hui et malgré une Constitution américaine d'essence laïque (voir l'Article VI), de nombreux politiciens et évangélistes américains proposent ouvertement que les États-Unis deviennent ce qu'était le Québec au 19ème siècle, soit une société théocratique larvée. Voici ce qu'un vice-président américain déclarait en 1988 :
"Je ne pense pas que les athées devraient être considérés comme des citoyens ; ils ne devraient pas être considérées comme des patriotes. Nous sommes une nation sous le regard de Dieu. "
George H. Bush, le 27 août 1988

(Il s'agit, bien sûr, d'une déclaration contraire à l'article VI, section iii de la Constitution américaine : « Aucun test de foi religieuse ne sera jamais exigé comme condition d'aptitude pour un poste ou une charge publique dans ces États-Unis. ») Dans la pratique, cependant, cet article-clé de la Constitution américaine est constamment violé dans les États-Unis contemporains.

Perception religieuse

Au chapitre de la religion, constatons qu'il existe une grande différences entre le Canada et les États-Unis en ce qui concerne les connaissances scientifiques et les religions.

La société de sondage Angus Reid a divulgué en juillet dernier (2010), les résultats d'un sondage mené l'an dernier (2009) dans lequel on demandait à des Américains, des Canadiens, et des Britanniques quels étaient leurs points de vue sur les origines et le développement des êtres humains, c'est-à-dire sur l'évolution et sur le créationnisme.

Voici en résumé les résultats aux choix proposés. Coyez-vous que:

              CANADA   USA  GR. BR.
Les êtres humains ont évolué
vers des formes plus évoluées
de vie au cours de
millions d'années
                    61%          34%        66%
                        (Québec 66%)
                        (Alberta 51%)
                        (Saskatchewan:50%)

Dieu a créé les êtres humains
dans leur forme actuelle au
cours des derniers 10,000 ans
                     24%        47%        16%
                        (Québec 17%)
                        (Alberta 31%)
                        (Saskatchewan:39%)

Pas certain      15%        18%     15%

Résultats américains par région:

      USA  N-est  Mid-ouest  Sud Ouest

Les êtres humains on évolué
vers des formes plus évoluées
de vie au cours de
millions d'années
              34%   43%   37%  27%  38%


Dieu a créé les êtres humains
dans leur forme actuelle au
cours des derniers 10,000 ans
           47%   38%   49%    51%   45%

Pas certain
               18%  19%  13%   21%  16%

                                                           
Source : Americans are Creationists; Britons and Canadians
Side with Evolution”,

En général, plus les personnes sont jeunes et plus elles sont éduquées, plus elles acceptent les connaissances scientifiques sur l'évolution. À l'inverse, par contre, plus les personnes sont âgées et moins elles sont instruites, plus elles acceptent la fable créationiste.

Obscurantisme américain récent


Le phénomène de l'obscurantisme aux États-Unis est une phénomène récent. En effet, on peut dire que c'est dans les années 1950 que les Américains ont commencé à s'éloigner des principes laïques de leur Constitution.

En effet, symboliquement, en 1956, sous la pression des Chevaliers de Colomb, ils abandonnèrent leur devise “E Pluribus Unum” (de plusieurs peuples, un seul) qui existait depuis 1782, et adoptèrent une devise religieuse en tant que devise nationale, soit le  'In God We Trust”, que l'on retrouve en partie dans le Serment d'allégeance (l'addition de “Under God” dans le Pledge of Allegiance), et intégralement sur les billets de banque et sur les plaques d'immatriculation des automobiles dans certains états, tels celui de l'Indiana, tandis que le Gouverneur Jeb Bush en fit le motto officiel de la Floride en 2006 .

Expansionnisme religieux


Au plan international, et cela depuis la Deuxième Guerre mondiale et l'administration Truman, les États-Unis se sont faits les propagateurs de la religion à travers le monde, tout comme d'autres pays, tels l'Arabie Saoudite et l'Iran le font aujourd'hui.

Auparavant, les États-Unis étaient officiellement opposés aux vieux empires coloniaux et croyaient vraiment remplacer les pouvoirs coloniaux par la démocratie et le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

L'avènement de la Guerre Froide dans la deuxième partie du XXème siècle les a amené à se servir de la religion pour combattre le communisme et le socialisme. Or, après la décolonisation au Moyen-Orient et en Afrique dans les années '50 et '60, les nouveaux gouvernements dans cette partie du monde (je pense ici à l'Égypte avec Nasser, l'Iran avec Mossadegh, l'Inde avec Gandhi, le Ghana avec Nkrumah,  le Sénégal avec Senghor, ...etc.) étaient tous des gouvernements qui se réclamaient du nationalisme politique et non pas du nationalisme religieux.

Soutien à l'endoctrinement


Le premier grand tournant dans la politique étrangère américaine se produisit avec le coup d'État que la CIA américaine, dirigée par Allan Dulles, et le MI6 britannique organisèrent contre le régime de Mohammad Mossadegh en Iran en 1953, et qui mit fin à ses tentatives de contrôler les réserves iraniennes de pétrole. Ce fut le premier grand coup des États-Unis contre le nationalisme politique démocratique.

L'autre grand tournant dans la politique étrangère américaine se produisit sous les administrations Carter et Reagan à la fin des années '70 et au cours des années '80. Ce fut le soutien américain aux groupes essentiellement religieux, les Mujahideen d'où est sorti le mouvement du réseau terroriste islamiste Al-Qaïda, avec son chef Oussama ben Laden, et les Talibans musulmans, qui s'opposaient à l'occupation soviétique en Afghanistan. Selon la Doctrine Reagan, ces insurgés religieux islamistes étaient des Freedom fighters, présumément enclins à instaurer la démocratie dans leur pays!!!

En effet, (comme je l'explique en large dans mon livre Le Nouvel Empire américain, L'Harmattan, 2005) le gouvernement Reagan entreprit alors de fournir gratuitement aux écoles religieuses islamistes de l’Afghanistan sous occupation soviétique des livres d’islamisme terroriste, afin de promouvoir le jihad contre les Russes athées.

Le plan de la U.S. Agency for International Development consistait à inonder les écoles religieuses afghanes, les madrassas ou écoles coraniques, de livres de classe spécialement conçus dans un langage qui glorifiait la Loi islamique, le jihad, la guerre et le terrorisme contre les infidèles, en l'occurrence les communistes soviétiques. Le petit catéchisme américain pour former des terroristes islamistes contenait non seulement des exhortations à la guerre sainte, mais aussi de nombreux dessins mettant en évidence des soldats, des fusils, des balles, des grenades, des chars d'assaut, des missiles et des mines antipersonnel. En ce faisant, on peut dire que les États-Unis ont directement financé l'endoctrinement des terroristes musulmans du réseau terroriste d'Al-Qaïda. Ils en ont été des partisans actifs.

Mais, comme d'une preuve qu'on apprend jamais rien en certains milieux, le président George W. Bush annonça le 16 mars 2002 que son administration suivrait les traces du gouvernement Reagan et que l'Agency for International Development s'apprêtait à distribuer 10 millions de nouveaux manuels guerre religieuse en Afghanistan. À

Promotion anticonstitutionnelle


Ainsi donc, même si la Constitution américaine défend expressément au gouvernement de faire la promotion d'une religion, et encore moins de dépenser de l'argent à cet effet, les gouvernements de Ronald Reagan, de George H. Bush et de George W. Bush n'en consacrèrent pas moins des millions de dollars à faire la promotion de l'islamisme et du terrorisme en Afghanistan, et dans les régions voisines du Pakistan, au cours des trente dernières années. —Cela est un fait historique.

Les observateurs s'accordent pour dire que l'intégrisme religieux n'était rien en Afghanistan et au Pakistan, avant que le gouvernement américain ne décide de les financer et de leur fournir des armes idéologiques et militaires pour combattre les soviétiques . En ce faisant, cependant, les gouvernements américains successifs ont nourri un tigre qui est revenu les mordre.

En effet, le 11 septembre 2001, cet « investissement » public américain fut repayé avec intérêts, quand 19 terroristes islamistes, plusieurs entraînés en Afghanistan, commirent leurs attentats en sol américain, contre des milliers d'Américains innocents.

Et, pour montrer que ce n'est pas uniquement l'affaire de gouvernements républicains, le gouvernement de Bill Clinton créa par législation, en 1998, un “Office of International Religious Freedom”, dirigé par un Ambassadeur plénipotentiaire, et dont la mission est de promouvoir les religions à travers le monde, certaines d'entres elles ouvertement anti-démocratiques.

Il existe aussi au Congrès américain une Commission bipartisane sur la “Liberté Religieuse Internationale” et à la Maison Blanche, il y a un “Special Adviser on International Religious Freedom” qui est membre d'office du Conseil de Sécurité Nationale. Autrement dit, tout cela fait partie de la politique étrangère américaine!

Par conséquent, on peut dire que depuis une trentaine d'années, les États-Unis sont presqu'aussi impliqués dans la propagation des religions et du nationalisme religieux anti-démocratique dans le monde que le Vatican ou l'Arabie Saoudite. C'est peu dire.

Conclusions générales


Je conclurai avec deux grandes observations.

Premièrement, les humains pas plus que la nature ne tolèrent le vide. Si on croit que les religions impériales font partie des problèmes et non des solutions, et par conséquent il y a de la survie de l'humanité qu'elles soient remplacées, alors il ne suffit pas seulement de montrer leurs travers et les dangers qu'elles représentent, il faut leur opposer des alternatives réalistes et acceptables aux populations. Cela va des règles de moralité de vie en société et d'autres règles de solidarité sociale.

Je crois que l'on peut y arriver par l'éducation et en dénonçant l'immoralité des fanatismes religieux de tout acabit. Mais il faut aussi combattre la corruption politique endémique dans certaines sociétés, y compris la nôtre, qui mine la confiance des gens dans les gouvernements.

Deuxièmement, je suis beaucoup moins optimiste quant au rôle que jouent les États-Unis dans tout cela. Je crois que c'est un pays qui a abandonné de grands pans de sa Constitution démocratique et qui est sur une voie d'auto-destruction, tant au plan moral, que politique et économique, et j'ajouterai même, militaire.

Pour nous du Canada, cela exige une vigilance accrue si nous voulons préserver nos libertés, dont celle de ne pas être écrasés par les religions et de ne pas retomber dans une ère d'obscurantisme et d'ignorance.


*** Article tiré des notes d'une allocution donnée le samedi 2 octobre 2010, au congrès de l'Atheist Alliance International à Montréal.


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Le 8 mars 2010

La dimension morale des choses

De Rodrigue Tremblay

“Quand le pillage devient un moyen d'existence pour un groupe d'hommes qui vit au sein de la société, ce groupe finit par créer pour lui-même un système juridique qui autorise le pillage et un code moral qui le glorifie."
Frédéric Bastiat (1801-1850)

"Certaines autorités hiérarchiques de l'Eglise catholique en Amérique latine utilisent la prière comme d'un somnifère pour endormir les gens. Lorsqu'ils ne peuvent pas nous dominer avec les lois, ils se servent de la prière; et quand ils ne réussissent pas à nous humilier ou à nous dominer par la prière, ils ont alors recours aux fusils. "
Evo Morales, Président de la Bolivie (13 juillet, 2009)

«La qualité la plus importante pour résister au mal, c'est l'autonomie morale. L'autonomie morale n'est possible que par la réflexion, l'auto-détermination et le courage de ne pas coopérer.»
Émmanuel Kant (1724-1804) philosophe allemand

Pourquoi avons-nous le sentiment que les dirigeants politiques mentent la plupart du temps ? Pourquoi l'avidité sans borne semble si répandue dans les officines d'entreprise ? Pourquoi des hommes pervers se lancent-ils dans des guerres d'agression et sont indifférents devant la mort d'innocents ? Pourquoi le matérialisme ambiant semble-t-il régner en maître ? Pourquoi avons-nous le drôle de sentiment que notre société progresse à reculons ? Le fait même que nous devions se poser ces questions est peut-être en soi un signe des temps.

En effet, lorsque l'odeur nauséabonde de la décadence morale envahit tout, les choses tournent inévitablement au mal. Historiquement, on constate, en effet, que lorsque la fibre morale dans une société s'affaiblit, les problèmes ont tendance à s'accumuler.

Nous vivons actuellement une de ces époques, dominée par une corruption politique omniprésente, par l'abus systématique du pouvoir, par le mépris de la primauté du droit en hauts lieux, et par l'avidité incontrôlée, la fraude et la tromperie dans les milieux économiques. Les résultats ne sont pas beaux à voir : crises économiques et financières sévères et prolongées, hausse des inégalités sociales et de l'injustice sociale, intolérance croissante face aux choix individuels, indifférence devant la dégradation de l'environnement, montée des intégrismes religieux, retour aux guerres d'agression ou aux guerres préventives, recours au terrorisme aveugle et à l'utilisation répugnante de la torture, si ce n'est au génocide et aux crimes de guerre les plus flagrants. Autant d'indices que notre civilisation a perdu sa boussole morale.

Avec tous ces retours en arrière et ces pratiques d'un autre temps, il n'est pas surprenant que l'on assiste de nos jours à un regain d'intérêt pour les questions de morale et d'éthique.

Il existe, en effet, une contradiction profonde entre les problèmes modernes auxquels nous sommes confrontés et notre capacité à les résoudre. On ne semble pas être capable d'intégrer les nouvelles connaissances scientifiques à nos codes de moralité ou d'éthique. Peut-être est-ce dû au fait que ces derniers reposent principalement sur une vue du monde qui date.

Tout cela m'a conduit, dans un esprit humaniste, à rédiger un ouvrage sur ces questions. Son titre est «Le code pour une éthique globale, vers une civilisation humaniste», [ISBN: 978-2895781738] et le livre est préfacé par le Dr Paul Kurtz et publié par les Éditions Liber. Le livre est une discussion terre-à-terre de dix principes humanistes fondamentaux et leur application dans le nouveau contexte de mondialisation.

Pourquoi un tel regain d'intérêt pour la dimension morale des choses ? -Tout d'abord, en partie parce que beaucoup de nos problèmes et les menaces qu'ils nous font courir sont non seulement graves mais ils ont aussi une dimension mondiale. -Deuxièmement, le fait que nous semblions incapables de résoudre nos problèmes planétaires pourraient aussi être dû au fait que les progrès scientifiques et technologiques surviennent avec une rapidité qui dépasse celle de notre progrès moral, avec pour conséquence que les problèmes s'accumulent plus rapidement que notre capacité morale de les affronter et de les résoudre. Et troisièmement, cela pourrait également, en partie, dépendre du fait que les vieilles règles morales à base religieuse ne sont pas d'une grande utilité pour résoudre ces nouveaux problèmes. De telles règles, essentiellement, sont le reflet du passé et elles n'ont pas, malheureusement, intégré les nouvelles connaissances scientifiques.

En effet, la vision que les humains se font d'eux-mêmes et de leur place dans l'Univers s'est retrouvée changée à tout jamais par trois percées scientifiques fondamentales :
La preuve par Galilée, en 1632, que la Terre et les humains n'étaient pas au centre de l'Univers, comme le prétendaient faussement des livres supposément sacrés.
- La découverte par Darwin, en 1859, ("L'Origine des Espèces") que les humains ne sont pas des sortes de dieux, uniques parmi toutes les espèces vivantes, et destinés à vivre éternellement, mais sont plutôt le résultat d'une lente évolution biologique naturelle au cours de millions d'années.
Et, la découverte par Watson, Crick, Wilkins et Franklin, en 1953, de la structure de la molécule d'ADN (acide désoxyribonucléique) présente dans chacun des 46 chromosomes humains, et la constatation dévastatrice que les humains partagent plus de 95 pour cent de leurs gènes avec les chimpanzés.

J'ajouterais aussi que les recherches en cours sur le fonctionnement du cerveau humain ont apporté un nouvel éclairage sur la façon dont certains phénomènes psychiques, comme celui de la pensée en général, y compris celui des expériences psychiques de nature religieuse, sont le résultat d'activité dans différentes zones du cerveau.

Par conséquent, personne ne peut plus prétendre que la planète Terre est le centre de l'Univers ; personne ne peut prétendre que les humains sont uniques dans l'échelle des choses, et personne ne peut prétendre que le corps humain et l'esprit de l'homme sont deux entités indépendantes. Cette réalisation a des conséquences énormes pour notre vision morale des choses.

Mon plus grand espoir serait que nous pussions éviter de revenir à une ère d'obscurantisme et de décadence, et que nous soyons en mesure de construire une civilisation véritablement humaniste pour l'avenir.



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