Mercredi, le 17 mai 2023

Les Guerres par procuration des grandes puissances sont facteurs de chaos militaire, monétaire, financier et économique dans le monde

Par Rodrigue Tremblayprofesseur émérite de sciences économique et ancien ministre de l'industrie et du commerce québécois, et auteur du livre géopolitique « Le Nouvel empire américain », l'Harmattan, 2004 et auteur du livre « La régression tranquille du Québec, 1980-2018 », Fides, 2018

« Dans les organes politiques, nous devons veiller à empêcher le complexe militaro-industriel d'acquérir une influence injustifiée, qu'il l'ait ou non consciemment recherchée... Seule une population alerte et avertie peut forcer le bon maillage de l'énorme machine de défense industrielle et militaire avec nos méthodes et objectifs pacifiques, afin que la sécurité et la liberté puissent prospérer ensemble. » Dwight D. Eisenhower (1890-1969), président américain (1953-1961) 1961.

« Si l'Union soviétique disparaissait demain sous les eaux de l'océan, le complexe militaro-industriel américain resterait pratiquement inchangé, jusqu'à ce qu'un autre adversaire puisse être inventé. Autrement, il s'en suivrait un choc inacceptable pour l'économie américaine. » George F. Kennan (1904-2005), diplomate et historien américain, 1987.

« Une nation ne peut pas rester libre et en même temps continuer à opprimer d'autres nations. » Friedrich Engels (1820-1895), sociologue allemand, 1847.

Il arrive que des politiciens saupoudrent leurs discours et leurs déclarations de mots tels que « diplomatie » et « paix ». Il ne s'en suit pas nécessairement qu'ils croient vraiment à ce qu'ils disent. En fait, ce genre de rhétorique grandiloquente peut aussi servir à dissimuler leurs intentions véritables, lesquelles peuvent être tout le contraire de solutions diplomatiques et de coexistence pacifique, dans la solution des problèmes mondiaux. En politique, les actes comptent plus que les mots.

Un exemple frappant pourrait être ce qu'a voulu dire le président américain Joe Biden lorsqu'il déclara, le 4 février 2021, lors d'un discours au département d'État : « la diplomatie est de nouveau au centre de notre politique étrangère ».

Le président Biden tint de semblables propos, quelques mois plus tard, lors d'un discours aux Nations Unies, le 21 septembre 2021, lorsqu'il annonça que nous ouvrons « une ère de diplomatie sans relâche ». Et, il ajouta, « nous ne voulons pas une nouvelle Guerre froide, ni un monde divisé en blocs rigides. »

 Et, afin d'être bien compris, M. Biden prit l'engagement suivant : « Nous devons redoubler de diplomatie et nous engager à la négociation politique, et non à la violence, comme outil privilégié pour gérer les tensions dans le monde. » Il poursuivit en citant les premiers mots de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 : « La reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde. »

Ce furent là de nobles engagements.

La réalité : Le gouvernement américain a largement abandonné le multilatéralisme pour une politique étrangère unilatérale axée principalement sur l'OTAN

Cependant, que s'est-il réellement passé au cours des trois premières années de l'administration Biden ?

À l'instar des quelques administrations précédentes, le gouvernement Biden a de facto abandonné la recherche universelle du bien commun dans le cadre d'une approche multilatérale. En effet, au lieu de recourir activement à la diplomatie pour réduire les conflits militaires dans le monde, le gouvernement étasunien Biden a plutôt adoptée une politique étrangère va-t'en-guerre permanente, sous l'influence de ses conseillers néoconservateurs.

En effet, une des caractéristiques importantes de la politique étrangère américaine, sous Biden, consiste à se servir de l'OTAN, une alliance de plus en plus offensive, afin de justifier les interventions militaires à l'étranger, et sans trop se soucier des règles de la Charte des Nations Unies, laquelle, faut-il le souligner, a été signée par tous les pays membres.

Deux guerres par procuration, dirigées avant tout par les États-Unies et ses alliés de l'OTAN, ont présentement cours et posent un problème immédiat : une guerre chaude en Ukraine dirigée contre la Russie et une autre en gestation à Taïwan, et visant la Chine.

Cela se traduit par d'énormes quantités d'armes et d'équipements militaires que les États-Unies et d'autres pays de l'OTAN expédient en Ukraine, un pays voisin de la Russie, y compris même des membres d'opérations secrètes et des obus illégaux contenant de l'uranium appauvri.

Même si l'opinion publique dans les pays occidentaux demeure fortement derrière la guerre russo-ukrainienne, surtout chez les plus jeunes et un peu moins chez les plus vieux, l'une des conséquences de la guerre, selon certains sondages, a été d'isoler quelque peu les États-Unis et leurs alliés de l'OTAN. Dans certains pays, par exemple, notamment en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud, la position semble être « pas de nos affaires ».

Les retombées des guerres par procuration menées par les États-Unis et l'OTAN contre la Russie et la Chine

Selon la propagande officielle, la Russie s'est lancée dans une guerre "non provoquée" contre l'Ukraine, le 24 février 2022. Cependant, les choses sont quelque peu plus compliquées. En effet, les États-Unis et l'OTAN sont fortement impliqués dans cette guerre inutile depuis au moins 2014, et même depuis 1991, en ce qui concerne le gouvernement étasunien.

Pour commencer, il faut dire qu'après l'effondrement de l'Union soviétique, en 1991, des documents déclassifiés montrent clairement que le secrétaire d'État américain James Baker et des représentants de plusieurs pays européens importants, prirent un engagement solennel envers la Russie, le 9 février 1990, à savoir que l'OTAN ne s'étendrait pas « d'un pouce » vers l'Europe de l'Est — pourvu que la Russie donne son aval à la réunification des deux Allemagnes.

Deuxièmement, il faut dire aussi que le professeur John Mearsheimer de l'Université de Chicago, (avec qui je suis d'accord), a souvent dit que sans l'arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche, il n'y aurait pas eu de guerre en Ukraine. En effet, c'est l'insistance du président Biden à ce que l'OTAN s'étende jusqu'aux portes de la Russie, avec des missiles pointés vers Moscou, qui a été la principale cause pour laquelle ce dernier pays s'est senti directement menacé et a décidé d'envahir l'Ukraine.

Même le Pape François est arrivé à la même conclusion, à savoir que « les aboiements de l'OTAN aux portes de la Russie » ont largement été un facteur déclencheur de la crise ukrainienne.

En troisième lieu, il convient de rappeler que c'est le gouvernement de Barack Obama (2009-2017), lequel comptait dans ses rangs le vice-président Joe Biden, qui a financé, en grande partie, le renversement du gouvernement ukrainien pro-russe élu de Viktor Ianoukovitch, en février 2014.

Cela est ressorti clairement, quand la sous-secrétaire d'État américaine au affaires européennes et eurasiennes dans le gouvernement de Barack Obama, Victoria Nuland, (une néoconservatrice reconnue), confirma publiquement, le 13 décembre 2013, que le gouvernement américain avait investi 5 milliards de dollars en Ukraine, depuis 1991, avec l'intention d'y « promouvoir la démocratie ». Cependant, est-ce une pratique coutumière pour les démocraties de renverser des gouvernements élus ?

Quatrièmement, selon des documents publiés, tout indique que la politique d'encerclement militaire de la Russie — un acte de guerre implicitement non autorisé par la Charte des Nations Unies  est une idée néoconservatrice dont la source est la Rand Corporation, un centre de recherches stratégiques fortement financé par le complexe militaro-industriel (CMI), lequel se spécialise dans l'élaboration de travaux de recherche sur la politique étrangère américaine.

En effet, la politique militaire agressive contre la Russie est bien expliquée dans un rapport de 2019, intitulé « Overextending and Unbalancing Russia ». Par conséquent, lorsque le secrétaire à la Défense, le général Lloyd Austin, déclara publiquement, le 25 avril 2022, que le but de l'administration Biden, en Europe de l'Est, était « d'affaiblir la Russie », cela indiquait clairement que la stratégie de la Rand Corporation, consistant à encercler militairement la Russie, était bien devenue la politique étrangère officielle du gouvernement Biden, même si cela pouvait risquer de transformer un tel conflit en un conflit mondial.

C'est peut-être là une raison que les personnes bien renseignées n'acceptent pas la propagande selon laquelle les États-Unis et l'OTAN sont militairement impliqués en Ukraine pour « sauver la démocratie ». En réalité, il n'y a pas de démocratie en Ukraine depuis que le gouvernement ukrainien de Volodymyr Zelensky a aboli onze partis politiques.

Les tentatives infructueuses pour ramener la paix en Ukraine venant de pays tiers

Ce qui précède peut expliquer pourquoi l'administration Biden a rapidement rejeté toute tentative d'empêcher ou de mettre fin à la guerre en Ukraine.

Par exemple, même lorsqu'il était encore temps d'éviter le conflit, le 7 décembre 2021, lors d'une conversation téléphonique entre les deux présidents, le président Biden rejeta sans ménagements diplomatiques toutes les demandes russes, eu égard à la sécurité de la Russie et concernant les avancées de l'OTAN jusqu'à la frontière de la Russie. [N.B. : Il est utile de rappeler que lorsque la situation était renversée, en octobre 1962, quand l'URSS voulut placer des missiles à Cuba, à 145 km des côtes américaine, le gouvernement de John F. Kennedy vit une telle provocation comme une atteinte inacceptable à la sécurité des États-Unis.]

Le gouvernement israélien et le gouvernement turc ont tous deux tenté de négocier une paix entre la Russie et l'Ukraine, mais sans succès.

Dans le premier cas, au début du conflit en mars 2022, le Premier ministre israélien de l'époque (juin 2021-juin 2022), Naftali Bennett, tenta de négocier une fin rapide du conflit russo-ukrainien. Il faillit réussir lorsque le président russe Vladimir Poutine abandonna sa demande d'exiger le désarmement de l'Ukraine, tandis que le président ukrainien Volodymyr Zelensky accepta que son pays ne rejoigne point l'OTAN. On en arriva même à un accord de paix prêt à recevoir des signatures, lesquelles étaient prévues pour le début d'avril 2022.

Dans le deuxième cas, le gouvernement turc tenta lui aussi un rapprochement entre la Russie et l'Ukraine, en mars 2022, afin d'en arriver à un accord de paix entre les deux pays. Après des entretiens fructueux à Istanbul entre des responsables des deux pays, les deux parties se mirent d'accord sur les termes d'un accord provisoire.

Puisque les gouvernements de la Russia et de l'Ukraine étaient disposés à faire des concessions et qu'un accord de paix était à portée de main, on peut se demander pourquoi les tentatives de médiation israéliennes et turques échouèrent ?

L'ex Premier ministre israélien Bennett a fourni une explication : le gouvernement Biden a confié au Premier ministre britannique de l'époque, Boris Johnson, la mission de se rendre à Kiev et de saboter tout accord de paix. Certaines puissances occidentales, en effet, semblaient vouloir tirer avantage de la guerre en Ukraine et souhaitaient la voir se prolonger.

La toute dernière tentative de mettre fin à la guerre en Ukraine a été le plan de paix en 12 points présenté par la Chine pour un « règlement politique de la crise ukrainienne », déposé le 24 février 2023. Il n'est guère surprenant que cette médiation ait également échoué, jusqu'à présent.

Il semblerait que ceux qui ont planifié et « investi » beaucoup dans cette guerre ne souhaitent pas perdre la face. Pour sa part, le président Biden a rejeté le plan chinois, [lequel propose une désescalade des hostilités un Ukraine de manière à en arriver à un cessez-le-feu, le respect de la souveraineté nationale, la mise en place de couloirs humanitaires, la reprise des pourparlers de paix et la fin des sanctions unilatérales], comme étant « non rationnel ».

Alors que le président Joe Biden s'est employé à alimenter le feu de la guerre en Ukraine, le président chinois Xi Jinping semble avoir comblé le vide et il a, de ce fait, développé la stature d'un courtier de paix dans le monde entier.

En bout de ligne, compte tenu des nombreuses instances impliquées dans le conflit (Russie, Ukraine, États-Unis, OTAN, Union européenne) et de leur intransigeance, le Secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a jeté l'éponge et a avoué, le 9 mai 2023, qu'une médiation de paix en Ukraine n'était « pas possible en ce moment ». Des dirigeants va-t'en-guerre sont aux commandes dans plusieurs pays, de telle sorte qu'on ne peut s'attendre à un cessez-le-feu à brève échéance, en Europe de l'Est.

La fuite du dollar américain provoquée par les sanctions financières et économiques

Détenir des avoirs financiers libellés en dollars américains est, de plus en plus, devenue un choix risqué. Tout gouvernement assez imprudent pour le faire s'expose à des pressions politiques de la part du gouvernement américain et, s'il ne s'y soumet pas, ses avoirs en dollars américains peuvent être arbitrairement gelés, saisis unilatéralement ou simplement confisqués. La liste des pays unilatéralement "sanctionnés" par les États-Unis, de manière punitive, s'allonge de mois en mois.

On pourrait penser qu'une monnaie nationale utilisée internationalement ne devrait pas devenir un instrument d'attaque, aux mains du pays émetteur. Autrement, cela est de nature à déstabiliser l'ensemble du système monétaire et financier international et à créer le chaos dans l'économie mondiale.

Même la secrétaire du Trésor des États-Unis, Janet Yellen (1946- ), a admis, le 16 avril 2023, que le dollar américain était en voie de perdre son statut de monnaie internationale par excellence pour les transactions financières internationales et que son rôle comme instrument de monnaie de réserve des banques centrales nationales déclinait.

En effet, même si cela comporte des difficultés techniques, de plus en plus de pays cessent de régler leur commerce transfrontalier en dollars américains et utilisent soit le yuan chinois, la roupie indienne (INR), le troc bilatéral ou les devises locales pour ce faire. C'est une tendance forte chez les pays membres du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), d'éviter d'utiliser le dollar américain, suite aux nombreuses sanctions financières et économiques imposées unilatéralement par les États-Unis.

Ce mouvement vers la dé-dollarisation du commerce mondial est un développement inquiétant pour les marchés monétaires et financiers internationaux. Il pourrait en résulter des conséquences potentiellement énormes, tant au plan monétaire qu'économique.

La remise en question du système de paiements de Bretton Woods, établi en 1944 avec comme base le dollar américain, (alors relié à l'or au taux fixe de $35 l'once), pourrait ralentir les transactions économiques et financières à travers le monde. En effet, si le système de paiement international allait se fragiliser davantage, le volume du commerce international et les flux des mouvements de capitaux pourraient se contracter, ce qui aurait un impact désastreux sur la croissance de l'économie mondiale.

Conclusions

Dans l'état actuel des choses, malgré les efforts déployés, les espoirs d'une solution rapide à la guerre par procuration en Ukraine et un arrêt des tensions croissantes au sujet de Taïwan, ne semblent guère encourageants.

Premièrement, si les grandes puissances qui se cachent derrière leur veto au Conseil de sécurité de l'ONU ne peuvent pas contribuer à la paix dans le monde, elles devraient au moins ne pas activement contribuer à la guerre. Malheureusement, les Nations Unies, au 21e Siècle, sont devenues le tapis sur lequel les grandes puissances s'essuient les pieds.

Deuxièmement, avec ses guerres par procuration, le gouvernement étasunien devrait savoir que ce faisant, il perd beaucoup de son ascendant moral et de son influence dans le monde. Et on sait pourquoi : la politique étrangère actuelle d'inspiration néoconservatrice de l'administration Biden, laquelle consiste à utiliser l'OTAN comme principal instrument d'intervention dans le monde, en particulier dans les conflits par procuration avec la Russie et avec la Chine, tout en snobant les Nations Unies et sa Charte, comporte de grands risques et peut, à la longue, se révéler être une très mauvaise idée.

Une telle politique a pour effet d'isoler les États-Unis et leurs alliés de l'OTAN du reste du monde. En bout de ligne, cela est de nature à saper leur légitimité, leur efficacité et leur influence, à l'extérieur du cercle restreint de l'Amérique du Nord et de l'Europe. Poussée à l'extrême, une telle orientation risque de conduire au démantèlement du cadre institutionnel mondial, établi au lendemain de la seconde Guerre mondiale.

Troisièmement, si l'on ajoute à l'équation le danger toujours menaçant d'une guerre nucléaire, il semblerait évident pour des esprits éclairés qu'une paix négociée en Ukraine, serait préférable à une guerre meurtrière désastreuse et sans fin, avec peu de gagnants, sauf les fabricants d'armements, et beaucoup de perdants.

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Le Prof. Rodrigue Tremblay est professeur émérite d'économie à l'Université de Montréal et lauréat du Prix Richard-Arès pour le meilleur essai en 2018, La régression tranquille du Québec, 1980-2018, (Fides). Il est titulaire d'un doctorat en finance internationale de l'Université Stanford.


On peut le contacter à l'adresse suivante : rodrigue.tremblay1@gmail.com

Il est l'auteur du livre de géopolitique  Le nouvel empire américain et du livre de moralité Le Code pour une éthique globale, de même que de son dernier livre publié par les Éditions Fides et intitulé La régression tranquille du Québec, 1980-2018.

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Mis en ligne, le mercredi, 17 mai 2023.

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© 2023 Prof. Rodrigue Tremblay



 

Jeudi le 23 mars, 2023

Crises bancaires et financières récurrentes aux États-Unis : le contexte historique et réglementaire

Par Rodrigue Tremblayprofesseur émérite de sciences économique et ancien ministre de l'industrie et du commerce québécois, et auteur du livre géopolitique « Le Nouvel empire américain », l'Harmattan, 2004 et auteur du livre « La régression tranquille du Québec, 1980-2018 », Fides, 2018

« Toutes les crises financières mettent en cause des dettes qui, d'une manière ou d'une autre, deviennent dangereusement décalées par rapport aux moyens de paiement disponibles. » John K. Galbraith (1908-2006), économiste américain né au Canada (dans "A Short History of Financial Euphoria", 1994) 

« L'histoire enseigne qu'une fois qu'un pays a contracté une énorme dette, il n'y a que deux façons de s'en sortir : l'une est simplement de déclarer faillite, l'autre est de gonfler la monnaie et de détruire ainsi la richesse des citoyens ordinaires. » Adam Smith (1723-1790), économiste écossais, considéré le père de la science économique moderne (dans "La Richesse des Nations", 1776.

« L'inflation est de tous les temps et dans tous les pays un phénomène monétaire, en ce sens qu'elle n'est et ne peut être générée que par une augmentation plus rapide de la quantité de monnaie en circulation que les quantités produites de biens et de services. » Milton Friedman (1912-2006), (dans 'The Counter-Revolution ini Monetary Theory', 1970). 

On marquera, dans six ans, le 100e anniversaire du krach boursier de 1929, lequel annonçait le début de la Grande Dépression de 1929-1939.

Ce furent des événements cruciaux dans l'histoire américaine et dans celle de plusieurs autres pays. Aux États-Unis, en particulier, il a mis en marche un processus de nationalisme, de protectionnisme et de réglementation bancaire radicale.

Le crash de 1929 s'est produit après une période appelée les « années folles » qui a suivi la Première Guerre mondiale (1914-1918) et la pandémie de grippe espagnole de 1918-1919. C'était une période de prospérité économique générale, avec de nombreuses innovations industrielles et économiques (automobile, électricité, téléphone, radio, films, etc.), le tout propulsé par des taux d'intérêt bas et une spéculation incessante.

Ce qui transforma le krach boursier en un sérieux ralentissement économique, c'est la faillite de nombreuses banques et la crise du crédit qui s'en suivit.

De nombreuses banques américaines avaient fait leur une pratique bancaire risquée, laquelle consistait à prêter une grande partie de leurs avoirs en dépôts à la spéculation boursière, et elles ne purent survivre au krach. Au total, au cours de la décennie des années '30, on estime que jusqu'à 9 000 banques firent faillite, causant de ce fait une forte contraction du crédit.

Même si la banque centrale de la Réserve fédérale avait été créée en 1913, elle était peu versée dans l'élaboration et la mise en œuvre d'une politique monétaire efficace. Par exemple, elle recourait rarement à des achats sur le marché des capitaux pour injecter des liquidités monétaires, dont l'économie avait cruellement besoin quand la masse monétaire se contractait. Elle était aussi menottée par le système international de l'étalon-or, lequel était en vigueur à l'époque. Celui-ci obligeait la Fed à hausser son taux d'escompte pour endiguer un exode d'argent et d'or des États-Unis. De telles hausses ont certes favorisé l'avènement d'une déflation.

La crise financière s'est véritablement transformée en crise internationale lorsque la grande banque autrichienne Creditanstalt fit faillite, le 11 mai 1931. C'était une banque qui avait des dettes auprès de nombreuses autres banques à l'étranger. Sa faillite a eu un impact fort négatif sur d'autres banques internationales et elle contribua à faire de la crise financière étasunienne une crise vraiment internationale.

Tout cela pour dire qu'une cascade de faillites bancaires est un phénomène très dangereux dans une économie de marché. C'est pourquoi il y va de l'intérêt public de faire en sorte que les banques commerciales ne se lancent point dans des investissements indûment risqués. Cela exige, cependant, que les pouvoirs publics aient la sagesse d'adopter une réglementation qui soit appropriée aux risques que peut courir le système bancaire national.

Pourquoi les banques commerciales qui acceptent des dépôts peuvent devenir la cible d'une ruée bancaire ?

Il faut savoir que les banques commerciales opèrent dans le cadre d'un système dit de « réserve fractionnaire ». Essentiellement, cela signifie que les banques se financent à court terme, principalement à partir de dépôts bancaires, et elles investissent la majeure partie de ces fonds dans des prêts rentables, à plus long terme. Pour des raisons de sécurité et de liquidité, elles sont tenues de garder un pourcentage minimum obligatoire des dépôts sous forme de réserves de trésorerie — c'est la réserve dite fractionnaire — laquelle doit être disponible à tout moment, en cas de retrait des dépôts. Le reste est considéré être du capital à prêter et à investir, en prêts aux entreprises ou aux consommateurs et en titres.

Cependant, si une banque perd la confiance de ses déposants, comme cela peut arriver si ses prêts ou ses investissements tournent mal, (tel que consigné sous la rubrique 'pertes non réalisées' dans ses livres), cette banque peut être victime d'une panique bancaire ou d'une ruée bancaire. Cela peut se produire quand un trop grand nombre de déposants, craignant pour la sécurité de leurs dépôts, tentent de retirer leurs mises en même temps. Comme la majorité des avoirs de la banque sont immobilisés dans des prêts, celle-ci fait alors face à une crise de liquidité. À moins d'avoir rapidement accès à des emprunts à court terme, alors que ses maigres réserves bancaires s'épuisent, la banque n'a d'autre choix que de fermer les guichets.

En l'absence d'un apport extérieur rapide, la banque peut être amenée à fermer définitivement boutique et à déclarer faillite. Si plusieurs banques se retrouvent dans la même situation de crise de liquidité, c'est l'ensemble du système bancaire qui peut plonger dans une crise bancaire systémique, par effet de contagion ou par un effet de dominos.

Deux exemples de réglementation bancaire et deux exemples de déréglementation bancaire par voie législative, aux États-Unis.

L'avènement du krach boursier de 1929 et l'arrivée de la Grand Dépression, cette dernière ayant causé la perte d'emploi pour 15 millions d'Américains et provoqué la faillite de la moitié des banques du pays, à compter de 1933, ont rendu nécessaire l'adoption de réformes bancaires.

Le président Franklin D. Roosevelt (1882-1945) promulgua la célèbre loi dite de Glass-Steagall de 1933, laquelle loi imposa une nette séparation entre les banques commerciales, (qui dépendent des dépôts du public), et les banques d'affaires, (qui empruntent de l'argent en émettant des actions ou d'autres titres d'emprunt). De plus, en vertu du fait que les banques commerciales ont un mandat fiduciaire de protéger l'argent des déposants, elles ont également dû se plier à des directives strictes concernant leurs politiques de prêts, tout particulièrement en ce qui concerne le degré de risque de leurs investissements, de manière à ne pas mettre leur solvabilité en danger.

De plus, afin d'éviter les paniques financières et les ruées bancaires déstabilisatrices, la loi bancaire étasunienne de 1933 créa la "Federal Deposit Insurance Corporation" (FDIC), dont l'objectif était de rétablir la confiance dans le système bancaire américain. L'organisme garantissait que les petits déposants ne perdraient pas leur argent si un banque devenait insolvable. En contrepartie, les banques ainsi assurées se devaient de suivre des règles strictes de placement.

Même si la loi Glass-Steagall a été légèrement modifiée par après, ses règles bancaires de base ont fortement contribué à stabiliser le système bancaire américain, et cela, pendant quelque soixante-six ans, soit jusqu'en 1999.

La loi américaine dite de 'Gramm-Leach-Billey' visant à déréglementer le système bancaire américain, en 1999.

Au cours des ans, les banques américaines avaient souvent fait pression sur le Congrès et le gouvernement américains pour qu'ils assouplissent les règles de placement prévues dans la loi Glass-Steagall. Cela culmina, en novembre 1999, à ce que le président démocrate Bill Clinton signe la mise en vigueur d'une nouvelle loi pour déréglementer le système bancaire américain. On réfère ici à la loi dite de 'Gramm-Leach-Bliley', du nom des trois membres républicains du Congrès qui l'avaient présentée. Le Congrès étasunien l'avait fortement approuvée, avec un vote de 90 contre 8 au Sénat et par un vote de 362 contre 57 à la Chambre des Représentants.

Cette nouvelle loi abrogeait des sections importantes de la loi Glass-Steagall. Sa principale caractéristique était de supprimer les obstacles juridiques à la fusion des banques commerciales, des banques d'affaires et des sociétés d'assurance, en une seule grande entité. On visait ainsi à autoriser une plus grande consolidation de l'industrie bancaire américaine, afin de permettre la création de grands conglomérats financiers, réputés être financièrement plus stables.

Des membres du Congrès et plusieurs économistes firent valoir que la nouvelle loi représentait un retour en arrière, car elle risquait de rendre les banques géantes trop grandes pour être bien gérées et aussi, parce qu'elle allait faciliter une augmentation dans les prises de risques bancaires. On craignait surtout qu'en bout de ligne, les grands conglomérats financiers, ainsi constitués, ne deviennent "too big to fail" ou « trop gros pour faire faillite ». En effet, on pensait que confronté à l'insolvabilité de l'un d'entre eux, le gouvernement étasunien n'aurait guère d'autre choix que celui de le renflouer à l'aide de fonds publics.

La loi 'Dodd-Frank de 2010' et une nouvelle loi de dérèglementation bancaire, en 2018

La crise des subprimes éclata aux États-Unis, en 2007-2008, avec la faillite de trois grandes banques d'affaires (Bear Stearns, Merrill Lynch et Lehman Brothers). Cette fois, les coupables étaient surtout des produits financiers dérivés non réglementés, tels que des titres adossés à des créances hypothécaires (connus aussi sous le vocable de créances hypothécaires titrisées), de même que des titres de créance garantis. En effet, ces produits financiers perdirent beaucoup de valeur lorsque la bulle immobilière éclata et qu'il s'en suivi une cascade de défauts de paiement.

La faillite de ces grandes banques d'affaires joua un rôle central dans la récession mondiale de 2008-2009, surnommée la « Grande Récession ».

Après la débâcle économique de 2008-2009, le gouvernement démocrate du président Barak Obama et le Congrès étasunien en vinrent à la conclusion qu'il était nécessaire d'édicter de nouvelles normes bancaires, si l'on voulait éviter de futures crises financières. C'est pourquoi le président Obama signa la loi dite de 'Dodd-Frank', le 21 juillet 2010.

Le but de cette loi était de contrer le penchant naturel des institutions bancaires et financières à prendre de trop grands risques, comme ceux qui avaient conduit à la crise financière de 2007-2008. Cette crise avait forcé le gouvernement étasunien à dépenser des centaines de milliards de dollars pour renflouer des institutions financières en faillite. Dans cet esprit, la loi réglementaire de 2010 visait à supprimer la classification des grands conglomérats, jugés « trop gros pour faire faillite ». Il s'agissait aussi de soumettre les banques de taille moyenne à la même surveillance réglementaire rigoureuse que les très grandes banques.

Cependant, un scénario politico-bancaire bien connu est à nouveau entré en jeu.

Certains banquiers ont commencé à soulever des plaintes contre les nouvelles règles de placement, conçues pour prévenir la prise de risques excessifs. À leur dire, ces règles étaient trop strictes. Ils en avaient surtout contre le nouveau seuil d'application des nouvelles règles, lesquelles devaient s'appliquer désormais à toutes les banques dont les avoirs atteignaient 50 milliards de dollars et plus. Leur demande était de relever ce seuil pour qu'elles ne s'appliquent qu'aux seules banques avec 250 milliards de dollars et plus d'avoirs.

En termes plus simples, leurs demandes étaient que les nouvelles réglementations bancaires ne devaient s'appliquer qu'aux seules très grandes banques, celles dites "too-big-to-fail", et non pas aux banques de taille moyenne, dont l'actif et le passif étaient inférieurs à 250 milliards de dollars.

Le Congrès américain, dominé alors par des membres républicains, a finalement acquiescé aux demandes formulées par le lobby bancaire. —En effet, le 14 mars 2018, le Sénat américain adopta une loi portant sur « la croissance économique, l'allégement de la réglementation et la protection des consommateurs », laquelle exempta des centaines de banques américaines qui étaient auparavant soumises aux règles de la loi Dodd-Frank, soit celles dont les avoirs se situaient entre 50 milliards et 250 milliards de dollars.

Petit point technique mais qui a son importance : la déréglementation bancaire de 2018 affaiblissait également la règle de Volcker, laquelle empêchait les institutions bancaires de se livrer à des transactions spéculatives pour leur propre compte et leur interdisait d'investir ou de parrainer des fonds spéculatifs de couverture dits 'hedge funds', de même que ceux des fonds d'actions privés.—Finalement, ce fut le président Donald Trump qui signa l'abrogation partielle de la loi Dobb-Frank de 2010, le 24 mai 2018.

Le déclenchement d'une nouvelle crise bancaire aux États-Unis, en mars 2023

Au cours du week-end fatidique du 10 au 12 mars 2023, trois banques américaines, dont le total des avoirs financiers était inférieur au seuil de 250 milliards de dollars, ont fait faillite et ont exigé une intervention immédiate des agences de règlementation, afin de stopper tout effet de contagion.

Il s'agit de la Silicon Valley Bank (212 milliards de dollars d'actifs), laquelle était très spécialisée dans le secteur technologique, de la Signature Bank (110 milliards de dollars d'actifs) et de la plus petite Silvergate Bank (11 milliards de dollars d'actifs), les deux dernières banques s'adressant en partie à des utilisateurs de cryptomonnaies et à des entreprises liées aux cryptomonnaies.

La fusion forcée, le 19 mars 2023, de la grande banque Crédit Suisse avec la plus grande banque suisse UBS, est la preuve également que les grandes banques internationales peuvent aussi se retrouver fragilisées et nécessiter une intervention de la part des régulateurs.

Le rôle de la banque centrale américaine dans la création de conditions monétaires conduisant à des crises bancaires et financières

Dans la foulée des turbulences financières et économiques de 2006-2009, la Fed américaine et d'autres grandes banques centrales européennes se sont lancées dans une politique monétaire non conventionnelle et risquée de création monétaire massive, avec la soi-disant politique d'assouplissement quantitatif, en plus de pousser artificiellement les taux d'intérêt très bas, voire jusqu'à des taux d'intérêt nominaux négatifs, dans certains cas.

Une nette indication de la façon dont la banque centrale de la Réserve fédérale américaine a injecté de grandes quantités de liquidités dans le système monétaire apparaît avec la rapidité avec laquelle son bilan, lequel est une part importante de la base monétaire de l'économie, a augmenté. Celui-ci s'élevait à environ 0,9 billions (trillions en anglais) de dollars américains en 2007, mais il est passé à 8,34 billions de dollars américaines au 8 mars 2023, soit un accroissement de plus de 900 pourcent.

Cela a eu pour conséquence que la Fed a ramené les taux d'intérêt nominaux à un niveau proche de zéro, tout comme l'ont fait d'autres banques centrales en Europe et au Japon.

Cependant, un résultat certain du maintien des taux d'intérêt artificiellement ultra bas, pendant trop longtemps, est de créer des bulles financières, sur le marché obligataire, sur le marché boursier et sur le marché immobilier. Et voilà comment, ces dernières années, ces marchés ont atteint des niveaux de prix bien supérieurs à leur moyenne historique.

Cela a peut-être plu à certains investisseurs et à certains trafiquants, mais cela a peut-être aussi plongé la banque centrale dans une impasse, si l'inflation devient problématique et que la banque centrale doive augmenter les taux d'intérêt pour la combattre.

Pour référence : au milieu de l'été 2021, il était évident que l'inflation aux États-Unis était bien supérieure au taux cible de 2 % et qu'elle augmentait, mais la Fed a néanmoins poursuivi sa politique d'assouplissement quantitatif consistant à acheter pour 140 milliards de dollars d'obligations gouvernementales et de titres privés adossés à des hypothèques, chaque mois.

Le point de vue de la Fed à l'époque était que l'inflation était un phénomène "transitoire", lequel ne devait pas durer. Par conséquent, la Fed a continué à injecter des liquidités dans l'économie américaine jusqu'en mars 2022, date à laquelle elle fut forcée de faire marche arrière, alors que l'inflation montait dangereusement. À ce moment-là, en effet, le taux d'inflation avait déjà atteint 8,5 %.

Le fait est que lorsque les banques centrales augmentent les taux d'intérêt après les avoir maintenus trop bas et trop longtemps, il devient très difficile pour elles de lutter contre l'inflation sans mettre leur secteur bancaire en péril.

En effet, une hausse soutenue des taux d'intérêt fait chuter le prix des obligations et des autres titres déjà émis, ainsi que le prix de l'immobilier et des actions. Les banques peuvent alors se retrouver avec des soi-disant « pertes non réalisées », et elles peuvent se retrouver dans une situation financière critique. Ce peut certes être surtout le cas si elles ne peuvent point hausser les taux sur les dépôts, ni faire appel à de l'aide extérieure.

Conclusions

Premièrement, on peut comparer la régulation publique des nouveaux médicaments et celle de nouveaux produits financiers.

Lorsqu'il s'agit de la santé des personnes, et lorsque les société pharmaceutiques proposent de nouveaux médicaments, ces nouveaux produits médicaux doivent être soumis, testés et approuvés par une agence publique. Aux États-Unis, la Food and Drug Administration (FDA), fondée en 1906, est chargée de réglementer et d'approuver les nouveaux médicaments, avant qu'ils ne puissent être distribués et vendus.

Cependant, lorsqu'il s'agit de la santé de l'économie, il est beaucoup plus facile pour le secteur bancaire d'inventer de nouveaux produits financiers risqués et de les vendre au public. En effet, il n'y a pas de tests légaux de la viabilité de ces nouveaux produits financiers avant leur distribution. Ce n'est qu'après coup —lorsqu'on découvre qu'ils ont été toxiques pour le système financier et l'économie en général — que leur utilisation est réduite et peut être davantage réglementée.

On pourrait penser que le secteur bancaire devrait être vu davantage comme une infrastructure d'utilité publique, absolument essentielle au bon fonctionnement de l'économie. Cela empêcherait les économies de marché d'être victimes d'un cycle déstabilisateur d'expansion et de contraction, à tous les 15 ou 20 ans.

Deuxièmement, les périodes récurrentes d'instabilité financière et économique pourraient être une conséquence du 'double mandat' que certains gouvernements confient à leur banque centrale. En effet, en plus de servir de prêteur de dernier recours, en période de crise de liquidité, le rôle primordial d'une banque centrale est de superviser le processus de création de monnaie fiduciaire, afin de prévenir à la fois l'inflation et la déflation.

Cependant, aux États-Unis, le Congrès américain a adopté le 'Full employment and Balanced Growth Act' de 1978, lequel a donné à la Réserve fédérale un « double mandat » explicite. Ainsi, non seulement la Fed doit gérer et superviser le système bancaire et suivre l'évolution de la masse monétaire, mais elle doit également « promouvoir efficacement les objectifs d'emploi maximum, de prix stables et de taux d'intérêt modérés à long terme ».

Or, il arrive qu'un tel double mandat risque de s'avérer contradictoire et peut venir compliquer l'élaboration d'une politique monétaire appropriée. Cela peut également expliquer le type de politique monétaire yoyo que la Fed a récemment poursuivie, tantôt en poussant les taux d'intérêt fortement à la baisse et tantôt fortement à la hausse.

La croissance économique, la stimulation des investissements et la création d'emplois à long terme relèvent principalement de la responsabilité du gouvernement, par le biais de ses politiques budgétaires, industrielles et autres politiques économiques. Ce n'est qu'à court terme que la politique monétaire influence l'activité économique el l'emploi.

Tout particulièrement en période inflationniste, une banque centrale, aux prises avec un double mandat, peut se retrouver dans une impasse. En effet, pour contrôler l'inflation, elle se doit de ralentir le taux d'accroissement de la masse monétaire tout en haussant les taux d'intérêt, ce qui ralentit nécessairement la croissance économique et l'emploi à court terme.

Il convient de souligner que la Banque centrale européenne (BCE) n'a pas de double mandat explicite. Elle n'a qu'un seul objectif premier et c'est la stabilité des prix, sous réserve de quoi elle peut poursuivre des objectifs additionnels. Il en va de même de la Banque du Canada, dont le mandat principal est de maintenir une inflation faible et stable, tout en soutenant « un emploi durable ».

Enfin, d'une manière générale, il faut garder à l'esprit que plus les banquiers privés sont mis à l'abri de leurs erreurs et de leurs mauvaises décisions, avec l'aide de généreux renflouements publics, plus ils sont incités à inventer des produits financiers ésotériques et risqués, et plus l'économie peut être victime de crises financières récurrentes.

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Le Prof. Rodrigue Tremblay est professeur émérite d'économie à l'Université de Montréal et lauréat du Prix Richard-Arès pour le meilleur essai en 2018, La régression tranquille du Québec, 1980-2018, (Fides). Il est titulaire d'un doctorat en finance internationale de l'Université Stanford.


On peut le contacter à l'adresse suivante : rodrigue.tremblay1@gmail.com

Il est l'auteur du livre de géopolitique  Le nouvel empire américain et du livre de moralité Le Code pour une éthique globale, de même que de son dernier livre publié par les Éditions Fides et intitulé La régression tranquille du Québec, 1980-2018.

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Mis en ligne, le jeudi, 23 mars 2023.

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© 2023 Prof. Rodrigue Tremblay

















 Mercredi, le 15 février 2023

Est-ce que le gouvernement étasunien de Joe Biden est derrière le sabotage des pipelines Nord Stream 1 et 2 entre la Russie et l'Europe de l'Ouest ?

Par Rodrigue Tremblayprofesseur émérite de sciences économique et ancien ministre de l'industrie et du commerce québécois, et auteur du livre géopolitique « Le Nouvel empire américain », l'Harmattan, 2004 et auteur du livre « La régression tranquille du Québec, 1980-2018 », Fides, 2018

[L'OTAN a pour objectif] « d'exclure les Russes, d'inclure les Américains et de tenir les Allemands sous la botte. » Lord Ismay, premier secrétaire général de l'OTAN (1952-1957)

« La réflexion à court terme [des décideurs politiques et économiques] n'est pas seulement profondément irresponsable, elle est immorale. » Antonio Guterres, secrétaire général de l'ONU (dans un discours devant l'Assemblée générale, lundi le 6 février 2023)

« L'Ukraine, un espace nouveau et important sur l'échiquier eurasien, est un pivot géopolitique car son existence même en tant que pays indépendant contribue à transformer la Russie. Sans l'Ukraine, la Russie cesse d'être un empire eurasien. » Zbigniew Brzezinski (1928-2017), théoricien politique américain né en Pologne. (Dans son livre Le grand échiquier, publié en anglais, en 1997, sous le titre de 'The Grand chessboard').

« La paix est la vertu de la civilization; la guerre en est le crime. » Victor Hugo (1802-1885), romancier et homme politique français, (dans Œuvres complète de Victor Hugo, 1885)

Un préambule est nécessaire pour comprendre ce qui suit.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1945, l'influence du gouvernement américain dans les affaires européennes est au premier plan. Pendant la guerre froide (1945-1989) entre les États-Unis et l'Union soviétique (URRS), l'Europe s'est appuyée sur les États-Unis, d'abord pour recevoir une aide financière avec le plan Marshall de 1947, et ensuite, pour la protection militaire avec la création de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN), en 1949, une alliance militaire de sécurité mutuelle.

Cependant, après la chute de l'Union soviétique en 1991, on a compris à Washington que l'Europe était en voie d'être moins dépendante des États-Unis. En effet, la disparition de l'URSS signifiait également la dissolution du Pacte de Varsovie, une alliance militaire regroupant des pays de l'Europe de l'Est, sous l'égide soviétique. Ce développement signifiait aussi que le bouclier défensif de l'OTAN devenait superflu. La question qui se posait alors aux autorités américaines était de démanteler ou non l'OTAN.

Mais, parce que l'OTAN était la principale source de l'influence étasunienne en Europe de l'Ouest, le gouvernement de George H.W. Bush et son secrétaire d'État, James Baker, décidèrent de ne point démanteler l'OTAN. En contrepartie, ils s'engagèrent à l'endroit de la Russie de ne pas permettre une expansion de l'OTAN en direction de l'Est européen. Cependant, c'est une promesse que l'administration de Bill Clinton et d'autres gouvernements américains subséquents ne tinrent point, et l'OTAN s'est effectivement élargie pour englober des pays de l'Europe de l'Est, au grand déplaisir de la Russie qui considéra une telle expansion comme une menace à sa sécurité.

Néanmoins, au fil des ans, des liens économiques se tissèrent entre l'Europe occidentale et la Russie, avec des relations commerciales et financières mutuellement profitables. C'est ainsi qu'en 2012, un nouveau gazoduc, le Nord Stream 1, est entré en service, acheminant du gaz naturel russe bon marché vers l'Allemagne. Les entreprises allemandes furent les premières à profiter largement de cette source d'énergie à prix abordable. Certaines entreprises allemandes ont même entrepris de vendre leurs surplus de gaz naturel russe à d'autres pays européens. Et, fait important, en juin 2015, il fut décidé de construire un deuxième gazoduc, le Nord Stream 2, de manière à doubler le volume de gaz naturel russe destiné à l'Allemagne et à d'autres pays européens.

L'annonce d'un deuxième gazoduc causa une onde de choc et souleva de fortes appréhensions du côté américain parce qu'on craignait que les pays d'Europe occidentale étaient en train de devenir trop dépendants économiquement de la Russie. D'autant plus que cette nouvelle survenait un moment même où l'OTAN s'étendait en Europe de l'Est pour accepter d'anciens alliés de la Russie comme nouveaux membres : Pologne, Hongrie, République tchèque, Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Roumanie, Slovaquie, Albanie et Croatie.

Depuis, tous les congrès successifs aux États-Unis et les gouvernements américains se sont fermement opposés à la construction du gazoduc Nord Stream 2. Ils justifièrent une telle opposition au nouveau gazoduc par la crainte qu'il n'augmente considérablement la dépendance de l'Europe occidentale vis-è-vis du gaz naturel russe, et que cela n'ait des conséquences géopolitiques importantes.

La guerre en cours entre l'Ukraine et la Russie, un conflit qui a pris de l'ampleur quand la Russie a envahie l'Ukraine, le 24 février 2022, mais qui a vraiment commencé en 2014, est, dans une large mesure, le résultat de l'expansion de l'OTAN et de l'encerclement militaire de facto de la Russie. C'est aussi une conséquence de la décision bien arrêtée des États-Unis de s'opposer aux liens économiques croissants de l'Europe occidentale avec la Russie.

Comme l'indique très clairement la citation de Brzezinski ci-dessus, l'Ukraine n'est qu'un pion dans un jeu de guerre beaucoup plus vaste du gouvernement des États-Unis, conçu pour couper les liens économiques entre la Russie, l'Allemagne et l'ensemble de l'Union européenne (UE).

Qui a fait sauter les pipelines Nord Stream 1 et 2 ?

Le lundi 26 septembre 2022, jour de la fête du Roch Hashana, (terme qui signifie littéralement "début de l'année" en hébreu*) le président américain Joe Biden est soupçonné avoir ordonnée la destruction des gazoducs sous-marins Nord Stream 1 et 2, reliant la Russie et l'Allemagne pour la livraison de gaz naturel, (N.B. Le gazoduc Nord Stream 2 a été achevé en 2021, mais n'a jamais été mis en service.)

Une fois confirmé, un tel acte de sabotage terroriste de nature étatique serait un acte de guerre évident de la part de l'administration américaine de Joe Biden. Un tel évènement est susceptible d'avoir également, en toute probabilité, des conséquences politiques, géopolitiques, et économiques importantes au cours des prochains mois et années.

Or, c'est précisément ce que révèle le renommé journaliste américain Seymour Hersh (1937-) dans un rapport explosif, bien documenté, cohérent et fort long, intitulé "How America Took Out the Nord Stream Pipeline", daté du 8 février 2023. Seymour Hersh est lauréat journalistique du prix Pulitzer, et il a derrière lui une très longue et fructueuse carrière de journaliste d'investigation. C'est un spécialiste dans les affaires militaires américaines et les engagements militaires américains à l'étranger.

M. Hersh rapporte de manière très détaillée — tout en citant des sources fiables, lesquelles doivent rester anonymes pour le moment — comment un plan top secret visant à détruire les 1200 kilomètres de gazoducs sous la mer Baltique, reliant la Russie et l'Allemagne, a été concocté, à Washington, par un groupe interdépartemental du gouvernement américain, sous la direction de Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale du président Joe Biden, et cela, à partir de la fin de l'automne 2021.

Il est important de noter qu'un tel projet aurait été conçu des mois avant que la Russie ne lance une offensive militaire en Ukraine, le 24 février, 2022. La Russie voulait ainsi empêcher l'Ukraine, un pays voisin, de rejoindre l'OTAN.

Dans la foulée de la destruction des gazoducs Nord Stream par une explosion, le 26 septembre 2022, certains médias américains ont étonnamment conclu que le sabotage des gazoducs relevait du « mystère », quant aux auteurs d'un tel exploit. Certains médias alléguèrent même que c'était probablement la Russie qui avait fait sauter ses propres pipelines, pour des raisons plutôt obscures. Il semblerait cependant que le mystère commence à se dissiper, grâce à la diligence et au travail d'enquête du journaliste américain Seymour Hersh.

L'action de sabotage semble avoir été l'œuvre de spécialistes de la plongée de la marine américaine (avec la coopération active de la Norvège). Elle fut menée de manière à ce qu'un projet aussi risqué demeure un secret bien gardé et puisse pouvoir être nié. Néanmoins, le président Biden n'a pas pu s'empêcher de commenter publiquement le plan top secret, et cela, avant même qu'il ne soit mis à exécution.

En effet, le 7 février 2022, lors d'une conférence de presse conjointe avec le chancelier allemand Olaf Scholz, à Washington D.C., le président Biden a déclaré publiquement ce qui suit : [si la Russie envahit l'Ukraine], « alors, il n'y aura plus de Nord Stream 2. Nous y mettrons fin. » Il a ajouté, pour être parfaitement clair, en réponse à une question complémentaire d'un journaliste : « Nous le ferons, je vous le promets, nous pourrons le faire. »

C'est pourquoi les révélations détaillées du journaliste Hersh dans son rapport de 5 000 mots ne sont pas une complète surprise, étant donné que le président Joe Biden lui-même avait clairement indiqué qu'il avait la ferme intention d'éliminer les gazoducs reliant la Russie à l'Allemagne.

Néanmoins, ce qui ressort de l'enquête de Seymour Hersh, ce sont les énormes efforts déployées par le gouvernement de Joe Biden pour garder le plan de sabotage top secret.

Premièrement, le Congrès a été tenu dans l'ignorance la plus complète quant à l'existence du plan. Deuxièmement, selon M. Hersh, des commandos de plongée de la marine américaine ont été recrutés dans le plus grand secret et suivirent un entraînement sur les techniques de comment déposer des mines explosives en profondeur, sur les pipelines Nord Stream dans les eaux danoises, au large de l'île de Bornholm. Troisièmement, le placement des charges explosives sur les pipelines, en juin 2022, a été dissimulé dans le cadre des exercices militaires de l'OTAN dénommés Baltops 22, et a été mené par la sixième flotte américaine, laquelle se trouvait dans la région à ce moment.

De plus, comme de tels explosifs pouvaient être déclenchés à distance, la date précise pour la destruction des pipelines fut laissée à la discrétion du président Biden. — La date qu'il est reporté avoir choisie fut celle du lundi, 26 septembre 2022.

Ramifications politiques, juridiques, économiques et géopolitiques du sabotage

Maintenant que le chat semblerait être sorti du sac et que le soi-disant « mystère » pourrait avoir été élucidé, les conséquences d'un tel acte de sabotage étatique seraient énormes et multiples.

D'abord, au plan politique, ce ne sont pas tous les membres du Congrès américain qui seront ravis d'apprendre que des lois ont été contournées pour les maintenir dans l'ignorance, alors que pendant tout ce temps, le président Biden laissait entendre que la Russie pourrait avoir été derrière le sabotage des ses propres gazoducs, quelques jours après avoir lui-même ordonné l'explosion de ceux-ci.

Il est probable que la Chambre des Représentants ou le Sénat américain veuillent faire témoigner, sous serment, des personnes directement impliquées dans l'opération de sabotage. Dans lequel cas, on ne peut écarter la possibilité que M. Biden soit la cible d'une demande en destitution.

Tout cela rappelle comment l'administration du président Lyndon B. Johnson avait utilisé l'incident du golfe du Tonkin, en 1964, comme prétexte pour justifier une escalade de l'implication militaire américaine dans la guerre du Vietnam.

On se souviendra aussi d'un rapport du lobby américain PNAC (Project for a New American Century) et rédigé sous la supervision du néo-conservateur sous-secrétaire à la Défense Paul Wolfowitz, un fervent promoteur de la guerre contre l'Irak. Le rapport jugeait qu'il faudrait le choc d'un « nouveau Pearl Harbor » afin de galvaniser le pays derrière le projet de « réarmer l'Amérique ».

Un an plus tard, par coïncidence ou non, survint l'événement catastrophique des attentats du 11 septembre 2001, lesquels influencèrent profondément la politique étrangère étasunienne.

Lorsqu'un gouvernement opère dans le plus grand secret, indépendamment des organes législatifs démocratiques, il peut s'écouler beaucoup de temps avant que les citoyens aient accès à toute la vérité sur des évènements vus comme « mystérieux ».

En deuxième lieu, l'événement du sabotage démontre que l'un des objectifs (peut-être l'objectif principal), en favorisant l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN et en provoquant la Russie, était de créer un confrontation avec la Russie, et que celle-ci pouvait "justifier" la destruction des pipelines russo-allemands.

En conséquence, la population allemande demandera surement au chancelier allemand Olaf Scholz quel a été son rôle dans le dynamitage des gazoducs Nord Stream. Il n'est pas exclu que M. Scholz soit appelé à présenter sa démission.

Troisièmement, d'un point de vue légal, on peut s'attendre à ce que le gouvernement russe et le consortium international qui possède les gazoducs détruits lancent un déluge de poursuites en vertu du droit international et demandent des milliards de dollars en dommages et intérêts. D'autres victimes, découlant de la hausse du prix du gaz naturel qui a suivie, pourraient emboîter le mouvement. On s'attendrait également à ce que la Russie lance une accusation formelle contre les États-Unis pour avoir si ouvertement violée la Charte des Nations Unies.

Quatrièmement, alors que de plus en plus d'informations commenceront à filtrer au cours des prochaines semaines, les gouvernements européens et les dirigeants de l'U.E. — ayant fait reposer la décision d'admettre l'Ukraine dans l'OTAN et possiblement dans l'Union européenne sur le besoin de reconnaître l'indépendance de l'Ukraine — pourraient aussi devoir réévaluer leurs motivations pour accorder leur soutien à une guerre qui ne mème nulle part, sauf peut-être à une Troisième Guerre mondiale.

En effet, si la guerre entre la Russia et l'Ukraine a été une guerre fabriquée par les États-Unis depuis le début, en commençant avec le renversement du gouvernement ukrainien élu, en 2014, avec le soutien actif des États-Unis, certains parmi les partisans européens les plus agressifs de la guerre pourraient devoir conclure qu'ils ont été manipulés.

Cinquièmement, les révélations du journaliste Seymour Hersh pourraient également venir perturber, voire faire même dérailler, tout plan que les États-Unis et l'OTAN pourraient avoir d'escalader la guerre en Ukraine.

Conclusion

Ce triste épisode moderne, dans la longue histoire de la guerre dans les affaires humaines, devrait fournir une leçon à tout le monde. En effet, en matière de guerres ou autres crimes du même genre, la première question devrait toujours être « Cui Bono ? » ou "qui profite ?".

En général, quand une guerre éclate, vous pouvez être assuré qu'elle est dans l'intérêt de l'une des parties, celle qui l'a activement recherchée, et pas nécessairement celle qui a tiré en premier.

Finalement, lorsqu'il est question de guerre d'agression, on ne peut se fier à aucun gouvernement.

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Le Prof. Rodrigue Tremblay est professeur émérite d'économie à l'Université de Montréal et lauréat du Prix Richard-Arès pour le meilleur essai en 2018, La régression tranquille du Québec, 1980-2018, (Fides). Il est titulaire d'un doctorat en finance internationale de l'Université Stanford.


On peut le contacter à l'adresse suivante : rodrigue.tremblay1@gmail.com

Il est l'auteur du livre de géopolitique  Le nouvel empire américain et du livre de moralité Le Code pour une éthique globale, de même que de son dernier livre publié par les Éditions Fides et intitulé La régression tranquille du Québec, 1980-2018.

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Mis en ligne, le mercredi, 15 février 2023.

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© 2023 Prof. Rodrigue Tremblay