Les démocraties occidentales face à la désintégration sociale

Le mardi 29 octobre 2024

Prof. Rodrigue TremblayProfesseur émérite de l'Université de Montréal, ancien ministre et auteur du livre 'Le Code pour une éthique globale', Liber, 2009

« Un jour, des millions d'hommes quitteront l'hémisphère sud pour aller dans l'hémisphère nord, et ils n'iront pas là-bas en tant qu'amis. Parce qu'ils iront là-bas pour le conquérir. Et ils le conquerront avec leurs fils. Le ventre de nos femmes nous donnera la victoire. » Houari Boumédiène (1932-1978), militaire algérien et président de l'Algérie, (dans un discours aux Nations Unies, en septembre 1974, prônant la Oumma, c'est-à-dire une communauté islamique mondiale.)

« Les mosquées [dans les pays occidentaux] sont nos casernes, les dômes sont nos casques, les minarets sont nos épées, et les fidèles sont notre armée. »  Recep Tayyip Erdogan (1954- ) Premier ministre turc, (commentaire prononcé en décembre 1997, alors qu'il était maire de la ville d'Istanbul.)

« Chercher des preuves [sur la religionrevient à passer à côté de l'essence même d'une religion. C'est ce qu'elle fait qui compte. » Hilary Putnam (1926-2016), philosophe américaine (1926-2016), (citée dans The Economist, le 26 mars, 2016).

« Des mouvements islamistes, soutenus par les tribunaux occidentaux, tentent d'empêcher toute critique à l'égard de l'islam. Il faut savoir résister à ce vent d'inquisition dans l'intérêt même de l'humanité. Les juges occidentaux qui soutiennent cette inquisition sont de véritables idiots utiles qui exposent leurs propres pays aux pires dangers..."  » Sami Aldeeb  (1949- ), juriste européen d'origine palestinienne et de nationalité suisse, 2014

« Notre pays (la G.-B.) est encore, en théorie, un pays libre mais les attaques culpabilisantes de la rectitude politique sont telles que beaucoup d'entre nous tremblons à la pensée de donner libre cours à des vues parfaitement acceptables par crainte d'une condamnation. La liberté d'expression est ainsi mise en péril, de grandes questions ne sont pas débattues et de gros mensonges sont reçus, sans équivoque, comme de grandes vérités. » Simon Heffer (1960- ), journaliste britannique, auteur et commentateur politique, 2000). 

Les religions établies ont, de tout temps, eu de la difficulté à coexister avec les gouvernements et surtout, dans les temps modernes, avec la démocratie et la sécularisation des sociétés. En Occident, en effet, il s'est produit, au cours du temps, une séparation plus ou moins hermétique entre les religions et le pouvoir politique démocratiquement élu.

C'est que les religions sont des forces sociales et des organisations concurrentes de pouvoir sur les personnes et sur la société, avec des systèmes structurés de croyances, de mystères, de vérités 'révélées', de doctrines, de dogmes, de règles et de lois, de symboles, de textes et d'images, de rites et de pratiques, en plus d'entretenir des lieux de culte. Des autorités religieuses fondent souvent leur pouvoir sur les personnes, à partir de concepts de la suprématie de puissances divines abstraites.

Si certaines religions établies sont très centralisées, d'autres le sont beaucoup moins et elles présentent en leur sein une pluralité de vues et de types de gestion.

I- Les religions politiquement structurées et les religions spirituelles et personnelles, dans une démocratie

Bien des gens ont l'impression que toute les religions se valent.

Ce n'est qu'en partie vraie, car il existe, d'une part, des religions très politisées, reposant sur des principes sacrés. Elles sont très institutionnalisées, centralisées et omniprésentes au niveau du pouvoir politique sur le territoire où elles s'exercent. D'autre part, il existe des religions davantage philosophiques et spirituelles, axées sur le destin de l'âme individuelle et de la transcendance de l'existence humaine, et principalement fondées sur des pratiques de vie personnelles.

Dans le premier groupe, on peut identifier une religion de type abrahamique, comme le christianisme et la chrétienté, de même que celle de l'islam et de l'islamisme, cette dernière datant du 7e siècle, lesquelles sont des religions que l'on peut classifier comme politiques. Dans un deuxième groupe, on retrouve des religions davantage philosophiques et dont la source historique est l'Asie, tel le bouddhisme, le taoïsme, l'hindouisme, etc.

Il existe bien sûr des religions politiques exclusivement laïques et séculières et qui n'ont rien de religieux, d'un point de vue transcendental, telles le communisme ou le fascisme, et qui sont des idéologies totalitaires, à la recherche d'un pouvoir absolu sur une population donnée.

II- Les religions politisées et la démocratie

Cependant, le christianisme et la chrétienté ont subi des transformations et des réformes depuis les temps où il s'agissait d'une religion politique dominante, dans certaines parties du monde. Ils étaient même source de guerres saintes.

Au cours des derniers siècles, cependant, le christianisme est devenu davantage une religion individuelle et personnelle plutôt qu'une religion fondamentalement politique. Il s'est graduellement adapté à l'avènement de la démocratie dans la plupart des sociétés occidentales et à une sécularisation des États démocratiques.

Dans ce contexte, le pouvoir ultime et légitime dans une société démocratique émane directement ou indirectement du peuple, et non pas d'une divinité abstraite et de ses porte-paroles. Dans la formule du président américain Abraham Lincoln, la démocratie « c'est le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». C'est aussi, dans de nombreux cas, le principe de la laïcité de l'État face aux religions.

Le cas spécial de l'islam politique en Occident

En contre-partie, l'islam (le mot signifie 'soumission' ou 'capitulation' en arabe) et l'islamisme, c. à d. l'islam politique en action, sont demeurés plus ou moins figés dans leur dogmatisme fondateur du 7e siècle, c'est-à-dire une religion éminemment politique et sociale. Dans les pays où elle est majoritaire, elle s'impose souvent comme seule religion d'état obligatoire, excluant toutes les autres. Ces pays se déclarent alors des « républiques islamiques », certaines étant ouvertement des théocraties, avec très peu de séparation entre le religieux et le politique.

Les plus connues sont l'Arabie saoudite (branche sunnite) et la république islamique de l'Iran (branche chiite), pays où des religieux, en tant que « guides suprêmes » de la société, jouent un rôle déterminant dans le comportement individuel des citoyens, dans les événements politiques, sociaux et culturels, et dans l'orientation globale de la société.

Parfois, certaines religions se dotent même d'une police religieuse afin de s'assurer que les préceptes religieux révélés sont bien observés par leurs membres et même par la population toue entière.

C'est pourquoi, parmi toutes les religions établies, le cas de l'islam est particulier.

Ses principes reposent sur quatre composantes principales :

- la Oumma, c. à d. la communauté ou la nation islamique mondiale à laquelle tout croyant doit appartenir, avec un objectif commun de promouvoir la cause de l'islam ;

- le djihad ou 'effort' peut référer, entre autres, à une obligation de 'guerre sainte' afin de propager et, au besoin, imposer les principes islamiques par 'le coeur, par la langue, par la main et par l'épée' contre les infidèles ;

- le Coran est le livre sacré de l'islam, un peu comme l'est la Bible pour le judaïsme et le christianisme. Il est sensé regrouper des révélations d'Allah transmises oralement par l'archange Gabriel et compilées par des auteurs différents, avant d'être transmises au prophète Mahomet, au 7e siècle.

- la Charia (loi de l'islam), tout comme le djihad, est tirée du Coran. La Charia représente les diverses lois, normes et règles doctrinales, sociales, culturelles et relationnelles qui s'adressent aux croyants.

La lecture traditionnelle du Coran divise la Terre et l'humanité en deux : la Maison de l'islam, Dar al-Islam ou « monde de la soumission à Allah » où s'applique la charia et où vivent les musulmans, et le Dar al-Harb, « monde de la guerre » contre les non musulmans.

III- L'immigration non sélectionnée et le choc des civilisations entre les gouvernements occidentaux démocratiquement élus et l'islamisme politique

Par son histoire, ses lois et ses règles, l'islam et l'islamisme constituent une religion éminemment politique, prosélyte et conquérante. C'est une erreur grave de les confondre avec des religions réformées comme le christianisme et d'autres religions essentiellement personnelles et individuelles comme le bouddhisme.

S'il y a des heurts entre une religion politique et le politique, c'est non seulement parce qu'il y a concurrence de pouvoir mais aussi parce que les fondements d'une religion politique entrent souvent dans un conflit subversif avec la pratique de la démocratie.

En effet, quand une religion politique porte en elle-même un projet politique global, on peut parler alors d'une 'civilisation' avec une idéologie commune, ce qui crée, par extension, une opposition prévisible entre des civilisations différentes — voire un Choc des Civilisations, selon les termes d'un livre sur le sujet de Samuel Huntington (1927-3008), et publié en 1996.

Il s'agit d'une expression suggérée par l'auteur pour montrer comment des conflits de civilisation peuvent surgir quand des visions politiques ou des cultures différentes se retrouvent en juxtaposition sur un même territoire. Ce n'est pas seulement un choc de religions, mais aussi celui entre des cultures, auquel Huntington se réfère.

IV- Les facteurs de désintégration sociale et politique dans les démocraties occidentales

Il n'est nullement inéluctable que les démocraties occidentales se désintègrent sous la pression de cultures religieuses politisées, d'autant plus si elles sont importées d'ailleurs. Déjà, en France depuis 1905, en Italie depuis 1947 et en Espagne depuis 1978, mais aussi dans les pays nordiques comme la Norvège, la Suède, le Danemark, et aussi en Suisse, entre autres, des mesures concrètes ont été prises pour adopter le principe de la laïcité de l'État.

En effet, si rien n'est fait et si les gouvernements laissent faire, ou pire, si ces derniers considèrent que leur pays est une sorte de laboratoire social expérimental et favorisent la création d'un espace diversitaire, il peut en découler de sérieux problèmes d'intégration.

On observe en France, mais aussi dans d'autres pays, l'émergence de « zones de non droit » dans certains quartiers, à l'intérieur desquels les lois ne sont guère respectées, et où les forces de l'ordre ne peuvent s'y aventurer qu'à l'aide d'un renfort exceptionnel, sous peine de faire l'objet d'attaques ou pire. Cela peut même dégénérer en une forme de terrorisme intérieur.

Il semblerait y avoir un besoin criant d'agir avant que la gangrène d'une anarchie sociale ne s'installe à demeure. Cependant, cela exigerait de la part des gouvernements, des élites politiques et de la population en général, une prise de conscience, une claire vision des choses, du courage et de la fermeté, et l'adoption de mesures concrètes afin de corriger un phénomène en hausse, avant que la situation ne se détériore davantage.

Dans le cas de la France et ailleurs en Occident, cette étape est en progression après des décennies d'insouciance, de complaisance, de laxisme, de négligence, de mollesse et d'abdication de responsabilités de la part des pouvoirs publics, lesquelles ont eu tendance à placer des intérêts politiques partisans au-dessus de l'intérêt général et laisser le communautarisme et les ghettos ethniques s'implanter.

Il n'est pas normal qu'une démocratie laisse ses institutions dépérir sous la menace d'idéologies totalitaires venues d'ailleurs (voir les propos menaçants de Boumédiène et de Erdogan dans les citations ci-haut.)

V- Il existe un certain nombre de moyens afin de prévenir et de contrer une désintégration sociale et politique face à une déferlance migratoire incontrôlée. Voici quelques exemples :

1- Une première forme d'intervention consiste à dénoncer comme inacceptable l'abandon de la sécurité des frontières nationales, face à une immigration illégale et non souhaitée. Un gouvernement qui ne fait pas respecter les frontières nationales manquent à ses devoirs primaires. —Les peuples et les nations, comme les individus, ont le droit naturel de veiller à leur survie, leurs intérêts légitimes et leurs valeurs, face à des atteintes, qu'elles viennent de l'intérieur ou de l'extérieur.

2- Une deuxième forme d'intervention consiste à adopter une politique d'immigration responsable, laquelle respecte la capacité d'accueil d'une population. —C'est le principe que l'immigration doit apporter une contribution positive nette et non négative à un pays.

3- En troisième lieu, il convient d'adapter les lois de l'instruction publique afin de protéger les enfants contre les exactions et intimidations de la part de prédateurs prosélytistes dans les écoles publiques, notamment en ce qui concerne le principe démocratique de l'égalité des hommes et des femmes.

4- Quatrièmement, on peut songer rendre l'octroie de la citoyenneté aux nouveaux immigrants conditionnel à un contrat de citoyenneté et d'intégration dans la société d'accueil. —Aucun pays et aucun gouvernement n'est dans l'obligation d'accepter la venue d'individus qui n'ont nullement l'intention de s'intégrer au pays qui les accueille.

Conclusions

L'Occident (pays européens et ceux d'Amérique du nord) est présentement confronté de l'intérieur comme de l'extérieur, à une mouvance migratoire de cultures et d'idéologies parfois fortement opposées aux valeurs démocratiques occidentales. C'est le cas de l'islamisme politique.

À moyen et à plus long terme, un tel phénomène est un frein à l'intégration sociale des nouveaux immigrants et peut représenter un danger réel pour la cohésion, la liberté, la sécurité et la prospérité des citoyens et des citoyennes du pays d'accueil.

À ce titre, il est peut-être minuit moins quart dans certains pays. Un jour, il sera trop tard pour agir.

À l'heure actuelle, un certain nombre de démocraties occidentales sont menacées dans leurs structures démocratiques. Elle se doivent d'adopter des mesures concrètes d'intégration afin de renforcer les lois et règlements intérieurs et les adapter à cette nouvelle réalité.

L'objectif primordial est ni plus ni moins de préserver le système démocratique occidental, lequel repose sur le pouvoir du peuple, contre les empiétements progressifs et corrosifs d'idéologies hostiles à la démocratie et aux libertés fondamentales.

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Le Prof. Rodrigue Tremblay est professeur émérite d'économie à l'Université de Montréal et lauréat du Prix Richard-Arès pour le meilleur essai en 2018, La régression tranquille du Québec, 1980-2018, (Fides). Il est titulaire d'un doctorat en finance internationale de l'Université Stanford.

On peut le contacter à l'adresse suivante : rodrigue.tremblay1@gmail.com

Il est l'auteur du livre de géopolitique  Le nouvel empire américain et du livre de moralité Le Code pour une éthique globale, de même que de son dernier livre publié par les Éditions Fides et intitulé La régression tranquille du Québec, 1980-2018.

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Mis en ligne jeudi, le 29 octobre 2024.

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© 2024 Prof. Rodrigue Tremblay





 

Le Monde se dirige-t-il aveuglement vers une guerre mondiale nucléaire ?

Le mercredi 4 septembre 2024

Prof. Rodrigue TremblayProfesseur émérite de sciences économiques, Université de Montréal

« En libérant l'énergie atomique, notre génération a apporté au monde la force la plus révolutionnaire depuis la découverte du feu par l'homme préhistorique. Cette force fondamentale de l'univers ne peut aller de pair avec une conception dépassée des nationalismes étroits. » Déclaration du Comité d'urgence des scientifiques atomistes, présidé par Albert Einstein, le 22 janvier 1947. 

« Je ne sais pas avec quelles armes la troisième guerre mondiale sera menée, mais la quatrième guerre mondiale sera menée avec des bâtons et des pierres.»  Albert Einstein (1879-1955), physicien théoricien d'origine allemande (dans une interview dans "Liberal Judaism", avril-mai 1949).

« Tout en défendant leurs propres intérêts vitaux, les puissances nucléaires doivent éviter les confrontations qui amènent un adversaire à choisir entre une retraite humiliante ou une guerre nucléaire. Adopter ce genre de ligne de conduite à l'ère nucléaire ne serait qu'une preuve de la faillite de notre politique — ou souhaiter un suicide collectif pour le monde entier.» John F. Kennedy (1917-1963), 35e président des États-Unis, 1961-1963, discours du lundi 10 juin 1963.

Au cours de cette année fatidique de 2024, l'attention mondiale a été détournée, d'abord par la guerre en cours et en expansion entre l'Ukraine et la Russie, une guerre en grande partie provoquée par les États-Unis et l'OTAN, « pour affaiblir la Russie » dixit le secrétaire à la Défense, le général Lloyd Austin.

Il s'agit, en réalité, d'une guerre par procuration depuis les débuts, inspirée des néoconservateurs américains il y a longtemps, soit depuis 1991, après l'effondrement de l'Union soviétique. C'est une guerre qui a officiellement débuté en février 2014, dans la foulée du renversement violent, financé par le gouvernement étasunien, du gouvernement pro-russe élu du président Viktor Ianoukovitch.

En deuxième lieu, il y a le conflit en cours entre Israël et les Palestiniens de Gaza, lequel a débuté avec une attaque du Hamas en octobre 2023. Cela a été suivi par le meurtre de plus de 40 000 Palestiniens par le gouvernement israélien de B. Netanyahu. Un tel massacre sur une telle échelle de civils et une telle destruction ont résulté en des milliers d'enfants orphelins. Cela a choqué les historiens du génocide, en plus de faire honte à la conscience mondiale. Malheureusement, il ne semble pas y avoir de fin à ce massacre des temps modernes.

Cette période a également été marquée par la tenue des grandioses Jeux olympiques d'été de Paris. Cette grande célébration de la paix entre les pays a été suivie de la saga politique de l'élection présidentielle américaine, lorsque le président démocrate sortant Joe Biden a été contraint de retirer sa candidature en faveur de la vice-présidente Kamala Harris.

Cependant, pendant tout ce temps, il s'est produit un développement quelque peu effrayant, derrière les rideaux. En effet, le New York Times a révélé mardi, le 20 août, que le président Joe Biden avait secrètement approuvé, en mars dernier, une nouvelle stratégie nucléaire coordonnée. Il s'agit d'un plan pour des confrontations nucléaires simultanées impliquant les États-Unis avec la Russie, la Chine et la Corée du Nord.

Un tel plan n'est guère rassurant, sachant que les États-Unis ont été le premier et le seul pays à avoir largué des bombes atomiques sur des villes, celles d'Hiroshima et de Nagasaki, en août 1945, causant des centaines de milliers de morts.

Qu'une guerre nucléaire mondiale puisse être envisagée et même puisse être vue comme possible, voire probable, à notre époque, est vraiment ahurissant. Comme l'illustre la citation ci-haut du président John F. Kennedy, dans son discours de juin 1963, « adopter ce genre de voie à l'ère nucléaire ne serait que la preuve de la faillite de notre politique — ou souhaiter un suicide collectif pour le monde entier ». 

Les conséquences désastreuses de pays qui se préparent à des guerres nucléaires

Les programmes de dépenses nucléaires des trois plus grandes puissances nucléaires la Russie, les États-Unis et la Chine menacent de devenir une course aux armements nucléaires à trois, alors que l'architecture mondiale de contrôle des armements s'effondre. En effet, la Russie et la Chine vont accroître leurs capacités nucléaires tandis que les pressions augmentent à Washington, en particulier parmi les partisans du complexe militaro-industriel américain (CMI), pour que les États-Unis agissent de la même manière.

Le manque de confiance réciproque et l'absence d'une volonté de contrôler et de limiter la production d'arms nucléaires pourraient signifier une nouvelle ère de course aux armes nucléaires, y compris le déploiement d'armes nucléaires offensives de portée intercontinentale.

Il y aurait peu d'obstacles à ce que  les principales puissances nucléaires se lancent dans le développement du nouvelles armes nucléaires, alors que les tensions géopolitiques continuent de s'accroître. Cela ne pourrait que mettre en péril la sécurité de tous les pays.

L'Horloge de l'Apocalypse de l'humanité se rapproche de plus en plus de minuit

Selon le 'Bulletin of the Atomic Scientists', la métaphore ou le symbole de l'Horloge de l'Apocalypse, créée en 1947, a été réglée à 90 secondes avant minuit en janvier 2023, et a été maintenue à ce niveau élevé en janvier 2024.

En effet, l'humanité continue d'être confrontée à un haut niveau de danger dans trois domaines principaux, à savoir le risque accru d'une guerre nucléaire ; s'ajoutent les problèmes associés aux changements climatiques et ceux pouvant découler des applications de l'Intelligence Artificielle.

En juillet 1991, à la fin de la Guerre froide, les États-Unis (Pres. George H. W. Bush) et l'Union soviétique/Russie (Pres. Mikhaïl S. Gorbatchev) signèrent le Traité bilateral de réduction des armes stratégiques (START I), conçu pour obliger les deux parties à réduire leurs arsenaux d'armes nucléaires offensives stratégiques. À cette époque, l'Horloge de l'Apocalypse des Scientifiques Atomiques fut alors fixée à 17 minutes avant minuit. (N.B. : START I fut un succès. Il eut pour effet de supprimer environ 80% de toutes les armes nucléaires stratégiques alors en existence, lorsque sa mise en oeuvre finale arriva à terme, à la fin de 2001.)

Cependant, aujourd'hui, alors que le monde est à nouveau plongé dans une Guerre froide II, avec la montée des tensions géopolitiques entre les États-Unis, l'Union européenne et l'OTAN, d'un côté, et la Russie, la Chine, la Corée du Nord et l'Iran, de l'autre, les risques d'un cataclysme nucléaire mondial majeur se sont accrus.

La plupart des autres tentatives pour réduire les armes nucléaires offensives ont échoué

En effet, suite au succès du traité START I, les États-Unis et la Russie conclurent deux traités bilatéraux additionnels afin de réduire encore davantage les stocks d'armements nucléaires. Ces deux traités ont cependant échoué.

Tout d'abord, bien que le président américain George H. W. Bush et le président russe Boris Eltsine eurent signé, en janvier 1993, un nouveau traité de réduction des armes stratégiques appelé START II pour hausser les objectifs du traité START I, ce nouveau traité n'est jamais entré en vigueur.

Cela s'explique par la décision du gouvernement étasunien du président George W. Bush, en juin 2002, de se retirer du traité Antimissiles Balistiques (ABM), lequel existait entre les États-Unis et l'URSS depuis 1972, et lequel faisait partie des conditions pour que START II soit mis en marche.

Plusieurs observateurs considèrent ce retrait américain comme le premier pas vers l'abandon d'une recherche de contraintes juridiques efficaces à la prolifération nucléaire.

Deuxièmement, le président Barack Obama a bien tenté de relancer la réduction mutuelle des armes nucléaires offensives pour créer un monde plus stable, lorsqu'il signa un traité qualifié de New Start, en avril 2010, avec le président de la Fédération russe d'alors, Dimitri Medvedev. Cependant, il régnait un certain scepticisme à l'égard des réductions des armes nucléaires chez un certain nombre de sénateurs républicains américains et dans certains centres de recherche de Washington, tels celui de la Heritage Foundation.

Ce traité New Start devait durer dix ans, avec une option de renouvellement jusqu'à cinq ans, avec l'accord des deux parties.

Cependant, le président étasunien Donald Trump informa le président russe Vladimir Poutine, en février 2017, qu'il se retirait du traité, parce que celui-ci, à son avis, était trop favorable à la Russie et qu'il s'agissait en fait d'une « mauvaise entente négociée par l'administration Obama ».

Toutes les tentatives entre Trump et Poutine pour rédiger un remplaçant au traité New Start, avant son expiration en 2021, échouèrent. Le gouvernement russe a même accusé le gouvernement républicain de D. Trump de saboter « délibérément et intentionnellement » les accords internationaux de contrôle des armements et a souligné son « approche contreproductive et ouvertement agressive au cours des négociations ».

Néanmoins, en janvier 2021, le gouvernement étasunien du président démocrate Joe Biden, nouvellement élu, accepta une proposition russe de prolonger le traité New Start de réduction des armes nucléaires pour une période de cinq ans, soit jusqu'en 2026.

Il s'agit de la dernière tentative des États-Unis et de la Fédération russe d'accroître leur sécurité nucléaire mutuelle par le biais de négociations bilatérales.

Rappel historique

Les relations entre les États-Unis et la Russie ont continué à se gâter, surtout après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, en février 2022.

Le gouvernement russe a invoqué deux raisons principales pour justifier sa décision : protéger la minorité russophone ukrainienne des exactions du gouvernement de Kiev et empêcher le pays voisin de l'Ukraine d'adhérer à l'OTAN, ce qui aurait signifier le déploiement de missiles nucléaires américains aux frontières de la Russie.

On doit regretter l'éclatement d'une guerre qui a entraîné d'énormes destructions, des souffrances et de nombreux morts, alors qu'elle aurait pu être évitée avec un minimum de bonne foi, de diplomatie et quelques concessions.

Cela n'est pas sans rappeler la crise des missiles de Cuba en 1962, après que l'Union soviétique eut déployé des missiles nucléaires à Cuba, à 150 kms des côtes américaines, en réponse aux déploiements américains de missiles nucléaires en Italie et en Turquie. Un compromis fut finalement trouvé entre le président Kennedy et le président Khrouchtchev : le gouvernement soviétique démantela ses armes offensives à Cuba et le gouvernement américain accepta, en secret, de démanteler les armes offensives qu'il avait déployées en Turquie.

Conclusions

Le monde est de nos jours au bord du chaos et est en danger. Cela a beaucoup à voir avec l'absence d'accords de dissuasion nucléaire entre les principales puissances nucléaires. Si un seul pays doté d'armes nucléaires devait lancer une attaque nucléaire dans un climat de méfiance réciproque, il s'en suivrait une menace existentielle pour des centaines de millions d'habitants de la planète.

Une guerre nucléaire dévastatrice aurait non seulement des conséquences tragiques sur le plan humain, mais aussi sur le plan économique. En plus d'être un énorme gaspillage de ressources, une telle guerre pourrait aussi provoquer un hiver nucléaire avec des retombées négatives sur les cultures et pourrait causer des famines. Une guerre nucléaire serait aussi une source majeure de pollution atmosphérique.

Ce type de guerre atomique pourrait certes profiter à l'industrie nucléaire miliaire de certains pays, mais elle serait source de chaos dans l'économie mondiale, provoquerait de l'inflation dans les pays concernés et créerait une stagflation dans le secteur privé de plusieurs économies nationales.

Si les dirigeants de États dotés d'armes nucléaires continuent de banaliser la menace d'une guerre nucléaire à grande échelle et de fantasmer sur l'idée démente qu'ils peuvent « gagner » une guerre nucléaire, le monde pourrait se diriger tout droit vers une catastrophe existentielle.

C'est pourquoi, il incombe à tous, dirigeants et citoyens, de militer pour l'abolition des guerre, lesquelles ne font pas progresser l'humanité, mais la font plutôt régresser.

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Le Prof. Rodrigue Tremblay est professeur émérite d'économie à l'Université de Montréal et lauréat du Prix Richard-Arès pour le meilleur essai en 2018, La régression tranquille du Québec, 1980-2018, (Fides). Il est titulaire d'un doctorat en finance internationale de l'Université Stanford.



On peut le contacter à l'adresse suivante : rodrigue.tremblay1@gmail.com

Il est l'auteur du livre de géopolitique  Le nouvel empire américain et du livre de moralité Le Code pour une éthique globale, de même que de son dernier livre publié par les Éditions Fides et intitulé La régression tranquille du Québec, 1980-2018.

Site internet de l'auteur : http://rodriguetremblay.blogspot.com

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© 2024 Prof. Rodrigue Tremblay

 

La montée du protectionnisme chez les politiciens américains

Le mercredi 26 juin 2024

Prof. Rodrigue TremblayProfesseur émérite de sciences économiques, Université de Montréal

« Dans un système de commerce parfaitement libre, chaque pays consacre naturellement son capital et son travail aux emplois qui sont les plus bénéfiques pour chacun... En augmentant la masse générale des productions, il diffuse le bénéfice général et lie ensemble... la société universelle des nations à  travers le monde civilisé. » David Ricardo (1772-1823), économiste politique britannique, (dans son traité, 'On the Principles of Political Economy and Taxation', 1817).  

« Les guerres commerciales sont bonnes et faciles à gagner. »  Donald Trump (1946- ), 45e président américain (2017-2021), (commentaire sur Twitter (X), le 2 mars, 2024.)

« [Donald] Trump ne comprend pas les éléments de l'économie. Il pense que les tarifs qu'il propose vont être payés par la Chine. N'importe quel étudiant de première année en économie pourrait vous dire que c'est le peuple américain qui paie ses tarifs. » Joe Biden (1942- ), politicien américain et 46e président des États-Unis (2021- ), (déclaration de Joe Biden, alors candidat présidentiel, sur Twitter, le 11 juin, 2019).

« Lorsque chaque pays mit l'accent sur la protection de ses propres intérêts particuliers, l'intérêt public mondial s'est effondré, et avec lui les intérêts particuliers de tous. » Charles Kindleberger (1910-2003). Historien économique américain, dans son livre 'The World Depression 1929-1939', 1973. 

Des politiciens au pouvoir, mais en grand manque de popularité, laissent présentement flotter de vieilles idées économiques, lesquelles se sont avérées désastreuses, dans le  passé, pour leurs propres économies et pour l'économie mondiale.

En effet, la principale cause de la Grande Dépression de 1929-1939 a été la mise en oeuvre de politiques commerciales protectionnistes importantes dans les économies industrialisées, lesquelles ont transformé la crise financière et la récession économique du début des années 1930 en une dépression économique majeure. C'est ainsi, par exemple, que les membres protectionnistes du Congrès américain d'alors adoptèrent la loi Smoot-Hawley du 17 juin 1930.

Cette loi visait à hausser les droits américains à l'importation d'environ 20% pour une foule de produits importés. L'objectif initial était de venir en aide aux producteurs agricoles, mais d'autres industries demandèrent la même protection pour leurs produits, en taxant les produits importés des autres pays.

Cette mesure provoqua des mesures de rétorsion de la part des autres pays. Ces derniers adoptèrent des politiques protectionnistes similaires pour protéger leurs industries, ce qui fit chuter le commerce international de tous les pays. Par exemple, les importations et les exportations américaines vers l'Europe chutèrent des deux tiers, entre 1929 et 1932. L'ensemble du commerce mondial se contracta, précipitant l'ensemble de l'économie mondiale dans une spirale vers le bas.

En haussant les barrières tarifaires, les gouvernements du temps se sont ainsi trouvés à jeter de l'huile sur le feu. Ils aggravèrent la situation financière et économique initiale et, en contractant les échanges commerciaux, ils nuisirent à toute l'économie mondiale. Est-ce que l'histoire pourrait se répéter de nos jours ?

Les guerre commerciales sont susceptibles d'entraîner des pertes économiques nettes pour tous les pays impliqués

Les guerres commerciales consistent à imposer de lourdes taxes sur les importations de biens et de services en provenance d'autres pays, taxes qui sont en fin de compte payées par les consommateurs nationaux et les entreprises locales. Ces dernières ont besoin de pièces détachées et des matières premières importées à moindres coûts, afin d'être efficaces et compétitives, tant sur les marchés intérieurs que mondiaux. Il s'agit d'un processus économique rentable sur une base nette pour une économie parce qu'il en résulte une hausse des niveaux de vie. On parle alors d'une division internationale complexe du travail.

Les industries exportatrices nationales déjà efficaces souffrent également de cette augmentation artificielle des coûts de leurs importations et sont pénalisées par les représailles des autres pays à l'endroit de leurs exportations, de sorte qu'elles voient leurs productions, leur niveaux d'emplois et leurs revenus diminuer.

La question de l'emploi est importante. C'est que des tarifs douaniers élevés et autres mesures protectionnistes peuvent augmenter artificiellement l'emploi dans certains secteurs moins compétitifs, mais ce n'est pas la fin de l'histoire. On doit aussi s'attendre à voir apparaître des effets économiques contraires dans d'autres industries, notamment dans le secteur hautement productif des industries exportatrices.

Dans le cas des États-Unis, par exemple, la hausse des coûts des importations par l'application de taxes élevées à l'importation et les représailles des autres pays contre les exportations américaines de biens et de services nuisent à la production et à l'emploi dans les industries nationales les plus efficaces. Cela a pour effet de réduire leur avantage comparatif en matières de production et d'exportation de biens technologiques et d'autres services.

Par conséquent, lorsque le commerce mondial se contracte, voire puisse s'effondrer, l'effet de ces guerres commerciales risque fort d'être net négatif pour toutes les économies en cause et pour les travailleurs en général, à mesure que la productivité du travail et celle des capitaux ralentit dans l'ensemble de l'économie. Une guerre commerciale en vient finalement à nuire à toutes les économies impliquées dans le conflit, sur une base économique nette.

Avantages et ajustements aux échanges internationaux

Dans la réalité de tous les jours, des pertes d'emplois sont inévitables dans certains secteurs économiques et dans certaines régions, dues soit à la concurrence des importations, soit à l'évolution technologique.

Il est important alors que les gouvernements aident activement les travailleurs et les économies régionales touchées à partager les bénéfices globaux découlant du commerce international et des progrès technologiques, et cela préférablement à l'intérieur d'une stratégie industrielle nationale globale.

On parle ici de programmes publics spéciaux, tels qu'une augmentation ciblée des allocations d'assurance-chômage, des programmes de formation spéciaux pour les travailleurs déplacés et des subventions publiques spéciales à l'investissement et à l'emploi au niveau régional.

La place particulière du dollar américain dans le système monétaire international

Une préoccupation majeure aujourd'hui vient du fait que, tout comme dans les années 1930, le dollar américain avait remplacé la livre sterling comme principale monnaie internationale, le rôle du dollar américain dans les transactions internationales est remis en question.

La domination internationale du dollar étasunien fut consacrée lors de la conférence de Bretton Woods de juillet 1944, laquelle plaça le dollar américain, en conjonction avec l'or, comme fondement du système monétaire international d'après-guerre. En effet, dès lors, les monnaies de nombreux pays furent arrimées au dollar américain, et ce dernier était officiellement convertible en or, à raison de 35 dollars l'once.

Cependant, le rôle international du dollar fut substantiellement renforcé le 15 août 1971, lorsque le gouvernement étasunien de Richard Nixon mit fin unilatéralement à la convertibilité internationale dollar-or, faisant ainsi de la monnaie américaine un moyen de paiement entièrement fiduciaire.

Depuis quelques années, pour diverses raisons, un certain nombre de pays importants, les pays du BRICS, remettent en question le rôle central du dollar américain en tant que moyen de paiement pour un grand nombre de transactions internationales. Si un tel processus de dédollarisation devait prendre de l'ampleur, d'importantes tensions géopolitiques, financières et économiques entre les pays pourraient en résulter.

Les États-Unis jouissent d'importants avantages économiques et financiers lorsque d'autres pays détiennent des dollars dans les réserves de leurs banques centrales ou l'utilisent comme principale monnaie d'échange dans leurs transactions commerciales ou financières internationales. Tout cela se traduit par des prêts à taux d'intérêt nul ou faible consentis à l'économie américaine par les autres pays, générant de ce fait d'importants gains de seigneuriage pour les USA.

Ainsi, en raison d'un afflux institutionnel de capitaux étrangers vers l'économie américaine, primo, cela aide la banque centrale américaine, la Fed, à soutenir le dollar américain sur le marché des changes. secundo, cela aide au financement des déficits fiscaux du gouvernement étasunien et des déficits commerciaux américains. Et, tertio, cela accroît la liquidité et la profitabilité des marchés monétaires et financiers américains. Certains considèrent de tels avantages comme un immense privilège consenti aux États-Unis par les pays qui utilisent le dollar américain.

Un gouvernement Biden de plus en plus protectionniste

Signe des temps, lorsque Joe Biden était candidat présidentiel en 2020, il critiquait vivement les barrières commerciales imposées par le gouvernement Trump à l'endroit de la Chine. Néanmoins, une fois élu, il a maintenu en force les tarifs douaniers précédemment imposés par Trump.

Et le vendredi 14 mai de cette année, le président Biden est allé plus loin. En pleine campagne présidentielle et devant préparer un débat télévisé sur la chaîne CNN avec son principal adversaire, Donald Trump, ce jeudi 27 juin, il a annoncé l'imposition d'une série de nouveaux tarifs sur plusieurs importations américaines en provenance de la Chine.

Ces nouveaux tarifs douaniers américains vont de 100 pour cent sur les importations de véhicules électriques (VE) à 25 pour cent pour les importations de pièces de véhicules électriques. Des droits de douane de 50 pour cent seront également imposés sur l'importation de modules ou de cellules solaires fabriqués en Chine, ainsi que sur les importations de semi-conducteurs. Des droits de douane de 25 pour cent seront également prélevés sur les importations d'acier et d'aluminium en provenance du pays asiatique.

De telles taxes additionnelles à l'importation vont gonfler les prix américains des produits et pièces ciblés, ce qui est de nature à nourrir l'inflation intérieure. Elles risquent de non seulement hausser les coûts à l'achat pour les consommateurs américains, mais elles vont aussi frapper les industries américaines qui utilisent des pièces et des matériaux importés dans leur propre production.

En bout de ligne, le protectionnisme de Joe Biden peut stimuler l'emploi dans certains secteurs faibles de l'économie, situés dans certains états électoralement importants pour sa réélection, mais ce faisant, il court le risque de nuire à l'emploi dans plusieurs autres secteurs parmi les plus productifs, dans d'autres états américains.

Des droits de douane aussi élevés que 100% risquent à coup sûr d'intensifier la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, dans la mesure où les représailles chinoises viseront des exportations américaines vers ce dernier pays. On peut se demander si ces nouvelles taxes à l'importation de la part du gouvernement Biden ne relèvent pas avantage d'un calcul politique partisan que d'une politique industrielle bien articulée.

Il reste à voir comment cette orientation américaine accrue vers le protectionnisme respecte ou non les règles commerciales de l'Organisation mondiale du commerce avec ses 166 pays-membres.

Une administration Trump probablement encore plus protectionniste

Si l'ancien président Donald Trump est élu le 5 novembre prochain, on peut s'attendre à ce que son gouvernement poursuive une politique commerciale extérieure très protectionniste.

En effet, le 13 juin de cette année, le candidat Trump a même déclaré aux membres républicains du Congrès qu'il jonglait avec l'idée de remplacer l'impôt fédéral sur le revenu ($2 176 milliards pour l'exercice 2023) par de lourds tariffs douaniers (importations américaines en 2023 : $3 112 milliards). Une telle politique réduirait considérablement les importations américaines en plus de nécessiter des taxes à l'importation très élevées.

Lors de son premier mandat à la Maison-Blanche (2017-2021), le président républicain Donald Trump a imposé des droits de douane élevés sur des produits valant des milliards de dollars en provenance de pays voisins comme le Canada et le Mexique, mais également en provenance de l'Union européenne (UE) et de la Chine. Tous ont riposté en imposant leurs propres droits de douane sur les importations de biens et services américains.

De même, au cours de son premier mandat, le gouvernement Trump a considérablement modifié l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), lequel est entré en vigueur le 1er janvier 1994, entre les États-Unis, le Mexique et le Canada.

Ce traité commercial historique a été remplacé, à l'insistance de Donald Trump et de ses conseillers protectionnistes, par l'Accord États-Unis-Mexique-Canada (AEUMC), tel que révisé dans sa version ratifiée de 2020, le tout largement à l'avantage des États-Unis. De plus, il est important de souligner que ce traité USMCA de 2020 peut faire l'objet de renégociations tous les six ans, et qu'il pourrait expirer après seulement 16 ans, s'il n'est pas renouvelé (en fonction de la clause dite d'extinction de 16 ans).

Conclusion

Si les barrières unilatérales au commerce international devaient continuer à s'accroître au cours des années à venir, cela pourrait miner l'influence de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), la seule organisation fondée pour réglementer et faciliter les échanges internationaux.

Il est possible que l'OMC, en tant qu'organisation inter-étatique, suive les traces de l'ONU et devienne moins à même de prévenir les guerres commerciales. Cela pourrait avoir des conséquences économiques et politiques désastreuses pour les niveaux de vie dans plusieurs régions du monde. Poussé à l'extrême, un protectionnisme à outrance pourrait précipiter l'économie mondiale dans une dépression économique.

En effet, les guerres destructrices répétées, qu'elles soient de nature militaire ou commerciale, font en sorte de rendre l'économie mondiale moins stable et moins pacifique et, en fin de compte, moins prospère pour la grande majorité des populations.

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Le Prof. Rodrigue Tremblay est professeur émérite d'économie à l'Université de Montréal et lauréat du Prix Richard-Arès pour le meilleur essai en 2018, La régression tranquille du Québec, 1980-2018, (Fides). Il est titulaire d'un doctorat en finance internationale de l'Université Stanford.



On peut le contacter à l'adresse suivante : rodrigue.tremblay1@gmail.com

Il est l'auteur du livre de géopolitique  Le nouvel empire américain et du livre de moralité Le Code pour une éthique globale, de même que de son dernier livre publié par les Éditions Fides et intitulé La régression tranquille du Québec, 1980-2018.

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Mis en ligne le mercredi, 26 juin 2024/édité le jeudi 27 juin 2024.

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© 2024 Prof. Rodrigue Tremblay


 

Deux périodes économiques et financières avec des similitudes, mais sous des régimes monétaires internationaux différents : 1920-1929 et 2008-2014

Le jeudi 16 mai 2024

Par Rodrigue Tremblayprofesseur émérite de sciences économiques, Université de Montréal

« Il n'y a pas de moyen plus subtil et plus certain de renverser les fondements d'une société que de débaucher la monnaie. Le processus engage toutes les forces cachées des lois de l'économie du côté de la destruction, et le fait de telle sorte que pas un homme sur un million n'est en mesure de le diagnostiquer. » John Maynard Keynes (1883-1946). Économiste britannique, (dans 'Les conséquences économiques de la Paix', 1919).  

« Tout changement est une menace pour la stabilité. C'est une autre raison pour laquelle nous sommes si réticents à appliquer de nouvelles inventions. Toute découverte de la science pure est subversive en puissance ; toute science doit parfois être traitée comme un ennemi possible. Oui, même la science. » Aldous Huxley (1894-1963), écrivain britannique, auteur du roman futuriste de 1932, intitulé Le meilleur des mondes, ch. 16.

« Les personnes qui ont survécues et qui faisaient partie de la génération en âge de participer à une guerre gardent une aversion à la guerre pour le reste de leur vie, et elles ne veulent pas répéter une telle expérience tragique, ni pour elles-mêmes, ni pour leurs enfants, et, par conséquent... une telle résistance psychologique aux guerres persiste aussi longtemps qu'une nouvelle génération... a le temps de grandir et de parvenir au pouvoir. » Arnold J. Toynbee  (1889-1975). Historien britannique, (dans 'A Study of History', 1947).

« Lorsque chaque pays mit l'accent sur la protection de ses propres intérêts particuliers, l'intérêt public mondial s'est effondré, et avec lui les intérêts particuliers de tous. » Charles Kindleberger (1910-2003). Historien économique américain, dans son livre 'The World Depression 1929-1939', 1973. 

L'année 2025 marquera le 80e anniversaire de la fin de la Deuxième guerre mondiale (1939-1945). Il est donc possible que le monde soit en train de vivre la fin de la longue période de l'après-guerre, laquelle a couvert trois générations.

De même, dans seulement quelques années, ce sera le 100e du grand krach boursier de 1929, lequel précéda l'avènement de la Grande Dépression (1929-1939).

Même si l'histoire économique ne se répète pas nécessairement dans tous les détails, il existe des cycles économiques longs dans les économie capitalistes, qui ont tendance à se répéter à des intervalles variables, à condition que les déséquilibres économiques et les excès financiers qui les activent soient suffisamment forts. En effet, il existe aujourd'hui des circonstances économiques, financières et géopolitiques qui présentent une certaine similitude avec celles qui prévalaient dans le passé, notamment au cours de la décennie des Années folles, soit au cours des années 1920-1929, et même plus tard lors des années 1930.

I- La situation économique et financière des États-Unis dans la décennie des années 1920-1929

La fin de la Première Guerre mondiale en 1918 a été suivie par la pandémie de grippe espagnole de 1918-1919, (appelée pandémie de grippe espagnole parce que les médias de ce dernier pays avaient été les premiers à en parler.) Il s'agissait d'une maladie virale contagieuse grave qui créa de nombreux problèmes sociaux et économiques dans le monde entier. Les écoles ont été fermées, les rassemblements publics interdits et les taux de mortalité ont grimpé.

Cependant, après la pandémie et la brève mais sérieuse récession économique qui suivit, en 1920-1921, l'économie américaine connut une période de croissance économique rapide et une grande prospérité économique. L'économie profita fortement du boom de la reconstruction d'après-guerre et de l'émergence de nombreuses innovations industrielles dans les secteurs de l'automobile, du transport aérien, du téléphone, de la radio, du cinéma, de l'électroménager, etc.

La production des biens de consommation, fortement accrue par des procédés de production de masse, profita énormément aux ménages américains. Cette production industrielle soutenue et les nouveaux besoins en infrastructures, avec la construction de routes, d'aéroports, de stations-service, etc., firent en sorte que l'économie américaine enregistra une croissance de 42 pour cent de 1922 à 1929. Le chômage était fortement en baisse et il y régnait un grand optimisme. Cependant, la forte expansion de l'économie finit par créer un surchauffe économique et conduisit à l'apparition de bulles spéculatives, notamment sur le marché boursier.

En effet, la principale raison pour laquelle la décennie des années 1920-1929 est passée à l'histoire, c'est qu'elle a mené à la Grande Dépression de 1929-1939. L'économie s'est effondrée, la déflation s'est installée et le chômage atteignit le niveau record de 24,7 pour cent, en 1933.

C'est qu'au cours des années 1920, derrière une façade de prospérité, des déséquilibres économiques majeurs et des excès financiers apparurent, pas seulement aux États-Unis, mais aussi à l'échelle mondiale. Ces défaillances conduisirent au krach boursier de 1929 et à une récession économique, laquelle s'est rapidement transformée en une dépression économique et a persisté pendant toute une décennie. En outre, une banque internationale importante, la grande banque autrichienne Credit-Anstalt fit faillite, en mai 1931. Cela provoqua d'autres faillites bancaires et créa des paniques bancaires au Royaume-Uni, aux États-Unis et dans d'autres pays.

Et lorsque plus tard les pays ont commencé à adopter des politiques commerciales protectionnistes et se replièrent sur eux-mêmes, le commerce international se contracta et l'économie mondiale dans son ensemble périclita.

• Baisse des taux d'intérêt et spéculation boursière dans les années 1920

Afin de combattre une légère récession économique en 1927, la Fed a abaissé son taux d'escompte en septembre de la même année, de 4,0 % à 3,5 %.

Cependant, même si les taux d'intérêt à court terme étaient encore peu élevés, ils étaient néanmoins supérieurs aux taux à long terme, et le demeurèrent comme tels en 1927, 1928, et en 1929. Cela se traduisait par une courbe des rendements inversée, par opposition à une situation plus normale quand les taux d'intérêt à long terme sont supérieurs à ceux du court terme, essentiellement parce que les prêts à long terme sont davantage risqués que des prêts de courte durée.

Habituellement, cela indique une situation de conditions de crédit bancaire resserrées. 

C'est l'un des indicateurs parmi les plus fiables pour prédire un futur ralentissement économique ou une récession économique, puisque presque toutes les récessions depuis les années 1920, y compris le début de la Grande Dépression en 1929, sont survenues après une telle mise en garde qu'un ralentissement économique se préparait.

Pendant plusieurs années au cours des années 1927-1929, le signal financier avant-coureur de la courbe des rendements inversée a été ignoré et la spéculation boursière n'a fait qu'empirer. À l'époque, les spéculateurs, petits ou grands, pouvaient acheter des actions d'entreprises en investissant sur marge, à hauteur de 10 pour cent seulement de la valeur, tout en empruntant le reste auprès des banques ou des courtiers. Cela conduisit, de 1923 à 1929, à une hausse des marchés boursiers pendant six ans, au cours de laquelle période le cours des actions a continué d'augmenter en moyenne de 20 pour cent, chaque année. C'était clairement un rythme insoutenable qui ne pouvait durer.

Après avoir vainement exhorté les banques et les courtiers à réduire leurs prêts aux spéculateurs, la Fed décida finalement de relever son taux d'escompte à trois occasions, (le taux auquel la Fed avance des prêts aux banques accréditées), entre janvier et juillet 1928, de 3,5 % à 5 %. Mais cela s'avéra insuffisant à freiner la spéculation boursière. La Fed haussa de nouveau son taux d'escompte, en août 1929, de 5 à 6 pour cent. C'est ce qui fit déborder le vase !

Le reste appartient à l'histoire. La récession économique débuta en août 1929, aux États-Unis, quand l'économie commença à se contracter. Le marché boursier ne culmina,  cependant, que le lendemain de la Fête du travail, soit le mardi, 3 septembre 1929, mais il chuta définitivement à compter de jeudi le 24 octobre 1929.

II- La crise des prêts hypothécaires risqués de 2007-2008 et la grande récession de 2008-2009

Nous pouvons comparer comment les choses se présentent aujourd'hui, financièrement et économiquement.

Au lendemain de la crise des prêts hypothécaires à risque de 2007-2008 et pendant la grande récession de 2008-2009, les gouvernements et les banques centrales de certains pays ont profondément modifié leurs politiques budgétaires et monétaires, notamment aux États-Unis.

En effet, durant les années fatidiques de 2007-2008, il existait une crainte réelle dans certains milieux gouvernementaux que l'ensemble du système financier américain puisse s'effondrer et fasse sombrer l'économie. Le système bancaire américain fut fortement affaibli, au départ, par l'importante faillite bancaire de la grande banque d'affaires Lehman Brothers et par la réorganisation en panique des banques d'affaires Bears Stearns et Merrill Lynch. On décida alors de recourir à des mesures spéciales d'intervention pour renflouer le système.

C'est ainsi que la Fed adopta une nouvelle forme de politique monétaire très accommodante, nommée « Quantitative Easing »  (QE) ou « Assouplissement quantitatif ». L'idée était qu'en période de difficultés financières, il ne suffisait pas d'abaisser les taux d'intérêt et d'accorder des prêts aux banques en difficulté.

Ce qu'il fallait, c'était d'inonder les marchés financiers avec d'énormes quantités de liquidités, lesquelles sont nouvellement créées lorsqu'une banque centrale achète pour son propre compte des titres publics ou privés sur le marché secondaire. Cette pratique peut, si nécessaire, pousser les taux d'intérêt nominaux à zéro ou à un niveau proche de zéro. Ce fut le cas aux États-Unis lorsque les taux des fonds fédéraux (les taux auxquels les banques commerciales empruntent entre elles, à très court terme) atteignirent un niveau proche de zéro, de 2008 à 2016, puis encore, de 2020 à 2022, suite aux interventions de la Fed.

• Les conséquences économiques de la politique du 'Quantitative Easing' pour les débiteurs

Un politique monétaire d'assouplissement quantitatif fait courir deux risques importants à l'économie. Premièrement, cela peut résulter en un gonflement des prix sur les marchés boursiers et obligataires. Deuxièmement, des taux d'intérêt maintenus artificiellement bas risquent d'inciter les consommateurs, les entreprises et les gouvernements à recourir davantage à l'endettement. Cela soulève toute la question d'aléa moral ou de risque moral, quand des politiques publiques incitent des décideurs à délaisser un comportement prudent pour prendre davantage de risques.

Il s'agit d'une considération importante de nos jours, puisque la somme de toutes les dettes (consommateurs, entreprises et gouvernements) dans le monde, c'est-à-dire la dette totale, a atteint le niveau record de 307 000 milliards de dollars en 2023, selon l'Institut de la Finance Internationale. Cela a propulsé le ratio de la dette mondiale par rapport au PIB mondial à 336 pour cent.

En effet, en cas de hausse de l'inflation, accompagnée d'une hausse des taux d'intérêt et des taux hypothécaires, les débiteurs en général qui se sont lourdement endettés alors que les taux d'intérêt étaient ultra bas peuvent se retrouver pris dans le dangereux piège de l'endettement. Les ménages et les consommateurs, en particulier, risquent de devoir renouveler leurs emprunts à des taux d'intérêt beaucoup plus élevés, se retrouvant de ce fait confrontés à la perspective peu attrayante de verser mensuellement des paiements gonflés par rapport à leurs revenus.

III- Les grandes différences entre la période 1920-1929 et la période 2008-2024

La principale différence entre la décennie économique de 1920-1929 et la période économique et financière actuelle, depuis 2008, vient du fait que les systèmes monétaires internationaux n'étaient pas les mêmes au cours de ces deux périodes.

Le régime monétaire de l'étalon-or (1879-1933) avait été suspendu au début de la Première Guerre mondiale, en 1914, mais il avait été rétabli dans la plupart des grandes économies, y compris aux États-Unis, en 1925. Il s'agissait d'un système monétaire international dans lequel la valeur officielle d'une unité de monnaie reposait sur une quantité fixe d'or. Par exemple, si le prix officiel d'une once d'or était fixé à 20 dollars américains, cela signifiait qu'un dollar américain valait 1/20 d'once d'or et pouvait s'échanger à ce prix.

Le régime de l'étalon-or avait comme avantage d'imposer une stricte discipline aux gouvernements en matière de dépenses et d'emprunts et de prévenir l'inflation. Avec un tel système, chaque gouvernement était moins en mesure d'encourir d'importants déficits budgétaires, car la banque centrale ne pouvait pas imprimer de la monnaie à volonté afin de répondre à ses besoins de trésorerie. Un gouvernement en situation de déficit fiscal devait emprunter en vendant des obligations au grand public, afin de couvrir ses dépenses excédentaires eu égard à ses rentrées fiscales.

Par exemple, les pays enregistrant un déficit extérieur dans leur balance des paiements se trouvaient à perdre de l'or, tandis que les pays ayant un excédent extérieur se trouvaient à en gagner. La conséquence était que les banques centrales ne pouvaient pas augmenter la masse monétaire de leur pays à volonté, de peur de créer un déficit extérieur et de perdre de l'or. De plus, dans ce cas, la masse monétaire intérieure se contracterait, ce qui imposerait un fardeau déflationniste à l'économie. Le régime de l'étalon-or, en effet, avait tendance à imposer une pression déflationniste aux économies.

• Le système monétaire de Bretton Woods de 1944

Après la Seconde Guerre mondiale, le système monétaire de l'étalon-or, suspendu en 1933, fut remplacé par le système monétaire de Breton Woods. Il s'agissait d'un système appelé 'étalon-de-change-or', ce qui signifiait que seul le dollar américain restait librement convertible en or, au prix officiel de 35 dollars l'once, tandis que les monnaies des autres pays avaient un taux de change rattaché au dollar américain.

Cependant, le dollar américain est devenu officiellement une véritable monnaie fiduciaire le 15 août 1971, lorsque le gouvernement étasunien de Richard Nixon a annulé la convertibilité officielle du dollar en or. Cela signifia la fin du système des taux de change fixes. En fait, peu de temps après, la plupart des autres pays ont adopté un système de taux de change flottants pour leurs monnaies fiduciaires. Il s'agit du système international de paiements et d'échange qui existe aujourd'hui. Contrairement à l'étalon-or, le système de taux de change flottants pour les monnaies fiduciaires a tendance à être inflationniste.

• Cryptomonnaies numériques et risques géopolitiques

Pour ajouter au caractère spéculatif de notre époque, il faut également souligner la montée du phénomène des cryptomonnaies numériques qui opère avec l'aide de l'Internet. Ce sytème de monnaies digitales privées est apparu en 2009, avec la création du Bitcoin. Il s'agit d'un système d'avoirs numériques dont les prix varient considérablement. Cela rappelle quelque peu la bulle des tulipes qui se produisit en Hollande, dans la première partie du XVIIe siècle.

Il est également important de noter que notre époque vit des tensions géopolitiques importantes entre les grandes puissances, lesquelles sont beaucoup plus prononcées aujourd'hui qu'elles ne l'étaient dans les années 1920. En réalité, la situation internationale actuelle ressemble davantage à celle qui prévalait dans le monde à la fin des années 1930.

La Société des Nations était alors incapable de prévenir ou de mettre fin aux conflits militaires régionaux, tout comme les Nations Unies sont aujourd'hui incapables de maintenir la paix dans le monde. Par conséquent, on ne peut guère écarter le déclenchement de graves affrontements militaires entre grandes puissances, dans les années à venir, ce qui serait un cause supplémentaire de perturbations financières et économiques, pouvant entraîner une hausse des prix du pétrole et créer de l'inflation.

Conclusions

Il existe des similitudes mais aussi des différences importantes entre la situation économique et financière qui prévalait au cours des années 1920, et celle de la période 2008-2024 actuelle.

En effet, les deux périodes ont vécu des bouleversements économiques, caractérisés par des déséquilibres économiques majeurs et des excès spéculatifs sur les marchés financiers.

La principale similitude financière entre les deux périodes réside dans la prévalence d'une courbe des rendements inversée dans les deux cas, laquelle pouvait laisser entrevoir des troubles financiers et économiques à venir. Il reste à voir si des difficultés financières et économiques se manifesteront, au cours des prochains mois ou années, comme ce fut le cas en 1929.

En revanche, le système monétaire international en vigueur pendant chaque période était complètement différent. Dans le premier cas, c'était le système de l'étalon-or qui prévalait. De nos jours, l'économie mondiale évolue sous un système de taux de change flexibles, pour les monnaies fiduciaires nationales. Le dollar américain sert de principale monnaie de paiement et sert de libellé pour une part importante des réserves officielles des banques centrales.

Cependant, il s'agit d'un système qui est fortement contesté par un certain nombre de pays, notamment par ceux des pays du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud et autres). Ceux-ci souhaitent se libérer des sanctions financières arbitraires que le gouvernement américain leur impose, de temps à autres, à des fins politiques. C'est ce qui explique pourquoi ces derniers pays déploient des efforts afin de développer d'autres méthodes de paiement pour leurs transactions commerciales et financières internationales.

Si et quand une crise financière ou un grave ralentissement économique devait se produire dans un proche avenir, déclenché par un événement imprévu, il est probable que les gouvernements et les banques centrales réagiraient en adoptant les mêmes politiques que celles qu'ils adoptèrent au début de la crise économique provoquée par la pandémie de Covid 19, en 2020.

Dans un premier temps, les gouvernements des principales économies avancées augmenteraient leurs déficits budgétaires, déjà élevés. En deuxième lieu, les banques centrales essayeraient d'accommoder les gouvernements et les marchés financiers et elles injecteraient des quantités importantes de liquidités dans l'économie, par le biais d'une politique d' « assouplissement quantitatif ».

Cependant, de telles interventions inhabituelles ne sont pas sans risque. En effet, après le choc déflationniste initial d'une crise financière, laquelle serait suivie d'une récession économique, des politiques budgétaires et monétaires trop expansionnistes, associées éventuellement à des politiques commerciales protectionnistes, similaires à celles adoptées dans les années 1930, pourraient engendrer une période de stagflation généralisée, c'est-à-dire une période de croissance économique lente et d'inflation persistante.

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Le Prof. Rodrigue Tremblay est professeur émérite d'économie à l'Université de Montréal et lauréat du Prix Richard-Arès pour le meilleur essai en 2018, La régression tranquille du Québec, 1980-2018, (Fides). Il est titulaire d'un doctorat en finance internationale de l'Université Stanford.



On peut le contacter à l'adresse suivante : rodrigue.tremblay1@gmail.com

Il est l'auteur du livre de géopolitique  Le nouvel empire américain et du livre de moralité Le Code pour une éthique globale, de même que de son dernier livre publié par les Éditions Fides et intitulé La régression tranquille du Québec, 1980-2018.

Site internet de l'auteur : http://rodriguetremblay.blogspot.com

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Mis en ligne le jeudi, 16 mai 2024.

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