Les démocraties occidentales face à la désintégration sociale

Le mardi 29 octobre 2024

Prof. Rodrigue TremblayProfesseur émérite de l'Université de Montréal, ancien ministre et auteur du livre 'Le Code pour une éthique globale', Liber, 2009

« Un jour, des millions d'hommes quitteront l'hémisphère sud pour aller dans l'hémisphère nord, et ils n'iront pas là-bas en tant qu'amis. Parce qu'ils iront là-bas pour le conquérir. Et ils le conquerront avec leurs fils. Le ventre de nos femmes nous donnera la victoire. » Houari Boumédiène (1932-1978), militaire algérien et président de l'Algérie, (dans un discours aux Nations Unies, en septembre 1974, prônant la Oumma, c'est-à-dire une communauté islamique mondiale.)

« Les mosquées [dans les pays occidentaux] sont nos casernes, les dômes sont nos casques, les minarets sont nos épées, et les fidèles sont notre armée. »  Recep Tayyip Erdogan (1954- ) Premier ministre turc, (commentaire prononcé en décembre 1997, alors qu'il était maire de la ville d'Istanbul.)

« Chercher des preuves [sur la religionrevient à passer à côté de l'essence même d'une religion. C'est ce qu'elle fait qui compte. » Hilary Putnam (1926-2016), philosophe américaine (1926-2016), (citée dans The Economist, le 26 mars, 2016).

« Des mouvements islamistes, soutenus par les tribunaux occidentaux, tentent d'empêcher toute critique à l'égard de l'islam. Il faut savoir résister à ce vent d'inquisition dans l'intérêt même de l'humanité. Les juges occidentaux qui soutiennent cette inquisition sont de véritables idiots utiles qui exposent leurs propres pays aux pires dangers..."  » Sami Aldeeb  (1949- ), juriste européen d'origine palestinienne et de nationalité suisse, 2014

« Notre pays (la G.-B.) est encore, en théorie, un pays libre mais les attaques culpabilisantes de la rectitude politique sont telles que beaucoup d'entre nous tremblons à la pensée de donner libre cours à des vues parfaitement acceptables par crainte d'une condamnation. La liberté d'expression est ainsi mise en péril, de grandes questions ne sont pas débattues et de gros mensonges sont reçus, sans équivoque, comme de grandes vérités. » Simon Heffer (1960- ), journaliste britannique, auteur et commentateur politique, 2000). 

Les religions établies ont, de tout temps, eu de la difficulté à coexister avec les gouvernements et surtout, dans les temps modernes, avec la démocratie et la sécularisation des sociétés. En Occident, en effet, il s'est produit, au cours du temps, une séparation plus ou moins hermétique entre les religions et le pouvoir politique démocratiquement élu.

C'est que les religions sont des forces sociales et des organisations concurrentes de pouvoir sur les personnes et sur la société, avec des systèmes structurés de croyances, de mystères, de vérités 'révélées', de doctrines, de dogmes, de règles et de lois, de symboles, de textes et d'images, de rites et de pratiques, en plus d'entretenir des lieux de culte. Des autorités religieuses fondent souvent leur pouvoir sur les personnes, à partir de concepts de la suprématie de puissances divines abstraites.

Si certaines religions établies sont très centralisées, d'autres le sont beaucoup moins et elles présentent en leur sein une pluralité de vues et de types de gestion.

I- Les religions politiquement structurées et les religions spirituelles et personnelles, dans une démocratie

Bien des gens ont l'impression que toute les religions se valent.

Ce n'est qu'en partie vraie, car il existe, d'une part, des religions très politisées, reposant sur des principes sacrés. Elles sont très institutionnalisées, centralisées et omniprésentes au niveau du pouvoir politique sur le territoire où elles s'exercent. D'autre part, il existe des religions davantage philosophiques et spirituelles, axées sur le destin de l'âme individuelle et de la transcendance de l'existence humaine, et principalement fondées sur des pratiques de vie personnelles.

Dans le premier groupe, on peut identifier une religion de type abrahamique, comme le christianisme et la chrétienté, de même que celle de l'islam et de l'islamisme, cette dernière datant du 7e siècle, lesquelles sont des religions que l'on peut classifier comme politiques. Dans un deuxième groupe, on retrouve des religions davantage philosophiques et dont la source historique est l'Asie, tel le bouddhisme, le taoïsme, l'hindouisme, etc.

Il existe bien sûr des religions politiques exclusivement laïques et séculières et qui n'ont rien de religieux, d'un point de vue transcendental, telles le communisme ou le fascisme, et qui sont des idéologies totalitaires, à la recherche d'un pouvoir absolu sur une population donnée.

II- Les religions politisées et la démocratie

Cependant, le christianisme et la chrétienté ont subi des transformations et des réformes depuis les temps où il s'agissait d'une religion politique dominante, dans certaines parties du monde. Ils étaient même source de guerres saintes.

Au cours des derniers siècles, cependant, le christianisme est devenu davantage une religion individuelle et personnelle plutôt qu'une religion fondamentalement politique. Il s'est graduellement adapté à l'avènement de la démocratie dans la plupart des sociétés occidentales et à une sécularisation des États démocratiques.

Dans ce contexte, le pouvoir ultime et légitime dans une société démocratique émane directement ou indirectement du peuple, et non pas d'une divinité abstraite et de ses porte-paroles. Dans la formule du président américain Abraham Lincoln, la démocratie « c'est le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». C'est aussi, dans de nombreux cas, le principe de la laïcité de l'État face aux religions.

Le cas spécial de l'islam politique en Occident

En contre-partie, l'islam (le mot signifie 'soumission' ou 'capitulation' en arabe) et l'islamisme, c. à d. l'islam politique en action, sont demeurés plus ou moins figés dans leur dogmatisme fondateur du 7e siècle, c'est-à-dire une religion éminemment politique et sociale. Dans les pays où elle est majoritaire, elle s'impose souvent comme seule religion d'état obligatoire, excluant toutes les autres. Ces pays se déclarent alors des « républiques islamiques », certaines étant ouvertement des théocraties, avec très peu de séparation entre le religieux et le politique.

Les plus connues sont l'Arabie saoudite (branche sunnite) et la république islamique de l'Iran (branche chiite), pays où des religieux, en tant que « guides suprêmes » de la société, jouent un rôle déterminant dans le comportement individuel des citoyens, dans les événements politiques, sociaux et culturels, et dans l'orientation globale de la société.

Parfois, certaines religions se dotent même d'une police religieuse afin de s'assurer que les préceptes religieux révélés sont bien observés par leurs membres et même par la population toute entière.

C'est pourquoi, parmi toutes les religions établies, le cas de l'islam est particulier.

Ses principes reposent sur quatre composantes principales :

- la Oumma, c. à d. la communauté ou la nation islamique mondiale à laquelle tout croyant doit appartenir, avec un objectif commun de promouvoir la cause de l'islam ;

- le djihad ou 'effort' peut référer, entre autres, à une obligation de 'guerre sainte' afin de propager et, au besoin, imposer les principes islamiques par 'le coeur, par la langue, par la main et par l'épée' contre les infidèles ;

- le Coran est le livre sacré de l'islam, un peu comme l'est la Bible pour le judaïsme et le christianisme. Il est sensé regrouper des révélations d'Allah transmises oralement par l'archange Gabriel et compilées par des auteurs différents, avant d'être transmises au prophète Mahomet, au 7e siècle.

- la Charia (loi de l'islam), tout comme le djihad, est tirée du Coran. La Charia représente les diverses lois, normes et règles doctrinales, sociales, culturelles et relationnelles qui s'adressent aux croyants.

La lecture traditionnelle du Coran divise la Terre et l'humanité en deux : la Maison de l'islam, Dar al-Islam ou « monde de la soumission à Allah » où s'applique la charia et où vivent les musulmans, et le Dar al-Harb, « monde de la guerre » contre les non musulmans.

III- L'immigration non sélectionnée et le choc des civilisations entre les gouvernements occidentaux démocratiquement élus et l'islamisme politique

Par son histoire, ses lois et ses règles, l'islam et l'islamisme constituent une religion éminemment politique, prosélyte et conquérante. C'est une erreur grave de les confondre avec des religions réformées comme le christianisme et d'autres religions essentiellement personnelles et individuelles comme le bouddhisme.

S'il y a des heurts entre une religion politique et le politique, c'est non seulement parce qu'il y a concurrence de pouvoir mais aussi parce que les fondements d'une religion politique entrent souvent dans un conflit subversif avec la pratique de la démocratie.

En effet, quand une religion politique porte en elle-même un projet politique global, on peut parler alors d'une 'civilisation' avec une idéologie commune, ce qui crée, par extension, une opposition prévisible entre des civilisations différentes — voire un Choc des Civilisations, selon les termes d'un livre sur le sujet de Samuel Huntington (1927-3008), et publié en 1996.

Il s'agit d'une expression suggérée par l'auteur pour montrer comment des conflits de civilisation peuvent surgir quand des visions politiques ou des cultures différentes se retrouvent en juxtaposition sur un même territoire. Ce n'est pas seulement un choc de religions, mais aussi celui entre des cultures, auquel Huntington se réfère.

IV- Les facteurs de désintégration sociale et politique dans les démocraties occidentales

Il n'est nullement inéluctable que les démocraties occidentales se désintègrent sous la pression de cultures religieuses politisées, d'autant plus si elles sont importées d'ailleurs. Déjà, en France depuis 1905, en Italie depuis 1947 et en Espagne depuis 1978, mais aussi dans les pays nordiques comme la Norvège, la Suède, le Danemark, et aussi en Suisse, entre autres, des mesures concrètes ont été prises pour adopter le principe de la laïcité de l'État.

En effet, si rien n'est fait et si les gouvernements laissent faire, ou pire, si ces derniers considèrent que leur pays est une sorte de laboratoire social expérimental et favorisent la création d'un espace diversitaire, il peut en découler de sérieux problèmes d'intégration.

On observe en France, mais aussi dans d'autres pays, l'émergence de « zones de non droit » dans certains quartiers, à l'intérieur desquels les lois ne sont guère respectées, et où les forces de l'ordre ne peuvent s'y aventurer qu'à l'aide d'un renfort exceptionnel, sous peine de faire l'objet d'attaques ou pire. Cela peut même dégénérer en une forme de terrorisme intérieur.

Il semblerait y avoir un besoin criant d'agir avant que la gangrène d'une anarchie sociale ne s'installe à demeure. Cependant, cela exigerait de la part des gouvernements, des élites politiques et de la population en général, une prise de conscience, une claire vision des choses, du courage et de la fermeté, et l'adoption de mesures concrètes afin de corriger un phénomène en hausse, avant que la situation ne se détériore davantage.

Dans le cas de la France et ailleurs en Occident, cette étape est en progression après des décennies d'insouciance, de complaisance, de laxisme, de négligence, de mollesse et d'abdication de responsabilités de la part des pouvoirs publics, lesquelles ont eu tendance à placer des intérêts politiques partisans au-dessus de l'intérêt général et laisser le communautarisme et les ghettos ethniques s'implanter.

Il n'est pas normal qu'une démocratie laisse ses institutions dépérir sous la menace d'idéologies totalitaires venues d'ailleurs (voir les propos menaçants de Boumédiène et de Erdogan dans les citations ci-haut.)

V- Il existe un certain nombre de moyens afin de prévenir et de contrer une désintégration sociale et politique face à une déferlance migratoire incontrôlée. Voici quelques exemples :

1- Une première forme d'intervention consiste à dénoncer comme inacceptable l'abandon de la sécurité des frontières nationales, face à une immigration illégale et non souhaitée. Un gouvernement qui ne fait pas respecter les frontières nationales manquent à ses devoirs primaires. —Les peuples et les nations, comme les individus, ont le droit naturel de veiller à leur survie, leurs intérêts légitimes et leurs valeurs, face à des atteintes, qu'elles viennent de l'intérieur ou de l'extérieur.

2- Une deuxième forme d'intervention consiste à adopter une politique d'immigration responsable, laquelle respecte la capacité d'accueil d'une population. —C'est le principe que l'immigration doit apporter une contribution positive nette et non négative à un pays.

3- En troisième lieu, il convient d'adapter les lois de l'instruction publique afin de protéger les enfants contre les exactions et intimidations de la part de prédateurs prosélytistes dans les écoles publiques, notamment en ce qui concerne le principe démocratique de l'égalité des hommes et des femmes.

4- Quatrièmement, on peut songer rendre l'octroie de la citoyenneté aux nouveaux immigrants conditionnel à un contrat de citoyenneté et d'intégration dans la société d'accueil. —Aucun pays et aucun gouvernement n'est dans l'obligation d'accepter la venue d'individus qui n'ont nullement l'intention de s'intégrer au pays qui les accueille.

Conclusions

L'Occident (pays européens et ceux d'Amérique du nord) est présentement confronté de l'intérieur comme de l'extérieur, à une mouvance migratoire de cultures et d'idéologies parfois fortement opposées aux valeurs démocratiques occidentales. C'est le cas de l'islamisme politique.

À moyen et à plus long terme, un tel phénomène est un frein à l'intégration sociale des nouveaux immigrants et peut représenter un danger réel pour la cohésion, la liberté, la sécurité et la prospérité des citoyens et des citoyennes du pays d'accueil.

À ce titre, il est peut-être minuit moins quart dans certains pays. Un jour, il sera trop tard pour agir.

À l'heure actuelle, un certain nombre de démocraties occidentales sont menacées dans leurs structures démocratiques. Elle se doivent d'adopter des mesures concrètes d'intégration afin de renforcer les lois et règlements intérieurs et les adapter à cette nouvelle réalité.

L'objectif primordial est ni plus ni moins de préserver le système démocratique occidental, lequel repose sur le pouvoir du peuple, contre les empiétements progressifs et corrosifs d'idéologies hostiles à la démocratie et aux libertés fondamentales.

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Le Prof. Rodrigue Tremblay est professeur émérite d'économie à l'Université de Montréal et lauréat du Prix Richard-Arès pour le meilleur essai en 2018, La régression tranquille du Québec, 1980-2018, (Fides). Il est titulaire d'un doctorat en finance internationale de l'Université Stanford.

On peut le contacter à l'adresse suivante : rodrigue.tremblay1@gmail.com

Il est l'auteur du livre de géopolitique  Le nouvel empire américain et du livre de moralité Le Code pour une éthique globale, de même que de son dernier livre publié par les Éditions Fides et intitulé La régression tranquille du Québec, 1980-2018.

Site internet de l'auteur : http://rodriguetremblay.blogspot.com

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Mis en ligne jeudi, le 29 octobre 2024.

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