Rodrigue Tremblay reçoit le Prix Richard-Arès 2018
du meilleur essai, pour son livre
du meilleur essai, pour son livre
La régression tranquille du Québec, 1980-2018
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Rodrigue Tremblay reçoit le
Prix Richard-Arès 2018 pour son livre « La régression tranquille du Québec, 1980-2018, » (Fides), Maison Ludger-Duvernay, Montréal, mardi, le 18 juin 2019,
[Notes d’acceptation du professeur Rodrigue Tremblay]
Monsieur
le président de la Ligue d’Action nationale,
Distingués
membres du jury du Prix Richard-Arès,
Chers
amis et amies qui avez au cœur l’amour du Québec.
Je
dois vous dire tout d’abord que lorsque le livre « La régression tranquille … », fut officiellement lancé, il y a de cela neuf mois,
presque jour pour jour, le 12 septembre 2018, je ne m’attendais nullement à ce
que nous nous retrouvions dans les mêmes beaux locaux de la SSJB de Montréal, à
l’occasion de la remise du Prix Richard-Arès.
Laissez
moi vous dire aussi que c’est un honneur pour moi de voir mon nom associé à
celui du père Richard Arès (1910-1989), une personne que je considère être l’un
des grands penseurs politiques québécois du vingtième siècle et un grand
humaniste. — Richard Arès a été de la trempe d’un autre grand Québécois, et j’ai
en tête le nom du Chanoine et historien Lionel Groulx (1878-1967), dont l’une
des salles de la Maison Ludger-Duvernay porte fièrement le nom.
Permettez-moi
aussi d’évoquer la mémoire du grand patriote qu’a été M. Rosaire Morin
(1923-1999), que j’ai bien connu quand il dirigeait la revue L’Action nationale,
et pour laquelle j’ai rédigé plusieurs articles. Aujourd’hui, je salue M.
Robert Laplante, le Directeur actuel de l’Action nationale.
***
Je
voudrais, bien sûr, remercier les membres du jury d’avoir choisi mon livre pour
le Prix Richard-Arès 2018, lequel récompense le meilleur essai québécois.
Je
remercie aussi la Maison Fides d’avoir soumis mon livre à l’attention du jury,
et en particulier, son éditeur en chef, M. Michel Maillé, qui a présidé à la
publication du livre.
***
Permettez-moi
maintenant de dire quelques mots, en rafales il va sans dire, sur le message
central de mon livre.
Tout
le livre, en effet, tourne autour de la date fatidique du 17 avril 1982.
[Je fais référence ici à ce que certains ont qualifié de “coup de
force“ constitutionnel contre le Québec, en 1982, de la part du gouvernement
libéral de Pierre Elliott Trudeau, et la signature de l’Acte constitutionnel de
1982 par la Reine Elizabeth II à cette date.]
— En fait, ce fut un véritable ‘coup d’État’, défini comme « une action malhonnête qui viole un système établi
et qui cause de graves dommages. »
— C’est pourquoi je considère que cette date du 17 avril 1982 est
une date d’infamie dans l’histoire des Canadiens français, en général, et du
peuple québécois en particulier.
Dans le livre, je fais une recension des mensonges par omission,
des magouilles et des irrégularités qui ont entouré ce recul constitutionnel
important des droits du Québec dans la Confédération canadienne, lesquels
droits remontaient jusqu’à l’Acte de Québec de 1774 — lequel Acte consacra l’autonomie
du Québec en matière de droits civils, en matière de religion et, par
extension, de langue — puisque le français était alors la langue d’usage
commune au Québec.
Le livre traite ensuite des conséquences présentes de ce recul
historique et des politiques néfastes du gouvernement fédéral canadien qui ont
suivi par la suite, pour le Québec, mais aussi pour l’ensemble de la
francophonie canadienne.
Comme l’a justement
dit Albert Camus (1913-1960), « l'histoire est un grand présent, et pas seulement un passé ». En
effet, qui ne connaît
pas l’histoire avance dans le présent, en aveugle.
Il faut bien
comprendre que ce qui s’est passé le 17 avril de 1982, ce fut le transfert
constitutionnel des derniers pouvoirs coloniaux de l’Empire britannique au
Canada, au seul gouvernement canadien, et cela, au mépris des droits
historiques consentis jusqu’à ce moment aux Canadiens-français, en général, et au peuple québécois en
particulier, et cela, comme je l’ai dit, depuis l’Acte de Québec de 1774.
Un premier pas dans cette direction avait été fait, en 1949, quand
les importants pouvoirs du Conseil Privé de Londres, en matière de règlements
des conflits entre les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral,
ont été transférés à la Cour suprême du Canada, dont les juges sont nommés par
le seul gouvernement fédéral et qui est, dans les faits, une extension de ce
gouvernement.
Depuis cette date, le gouvernement fédéral est de facto ‘juge et partie’, notamment en
ce qui concerne les droits et privilèges du Québec, comme on l’a bien vu quand
cette Cour charcuta des pans entiers de la Loi 101, laquelle est sensée protéger
la langue française et assurer sa pérennité au Québec.
Comme le disait le
Premier ministre Maurice Duplessis, « la
Cour suprême du Canada est comme la Tour de Pise. Elle penche toujours du même
bord ! »
Il faudra suivre avec attention ce que
cette Cour fera à la Loi 99, sanctionnée le 13 décembre de l’an 2000, et qui
proclame les droits fondamentaux du peuple du Québec et le droit du Québec à l’autodétermination,
— de même qu’à la Loi 21 récemment
adoptée, laquelle proclame la laïcité de l’État, face à toutes les religions.
Si la Cour du gouvernement fédéral allait
charcuter ces deux lois québécoises, comme elle l’a fait pour la Loi 101, ce
sera la consécration du fait que le Québec est devenu, depuis le 17 avril 1982,
(et je pèse mes mots ici !) une colonie intérieure d’un Canada anglais, de
plus en plus unitaire et centralisé.
Les rapports entre l’État et les religions
relèvent de la politique et non pas du juridique. En faire une question
juridique serait une grave atteinte à la démocratie. Si la Cour fédérale allait
se transformer en comité d’inquisition pour faire respecter la religion
politique du multiculturalisme, ce serait une énorme usurpation de pouvoir de
la part de non élus.
Dans un tel contexte où le juridique a préséance
sur le politique, on pourra dire alors, pour le Québec, que de peuple
fondateur, et habitants de l’une des quatre provinces fondatrices de là confédération
canadienne, les Québécois ont été relégués non seulement au statut de « province comme les autres » mais aussi,
dans les faits, à celui d’une « minorité
comme les autres », dans un empire canadien en expansion, dans lequel
domine la langue anglaise. — (Certains parlent même ouvertement, dans l’entourage
du Premier ministre Justin Trudeau, d’un Empire Canadian de 100 millions d’habitants,
en l’an 2100 !)
Donc,
dans une perspective constitutionnelle, ce qui s’est produit le 17 avril 1982
est très sérieux. En effet, à cette date, le gouvernement du Québec et son
Parlement, et partant la population québécoise, ont été expressément et
volontairement exclus du rapatriement de l’Acte
de l’Amérique du Nord Britannique, une loi britannique datant de 1867 — que
plusieurs ont longtemps considéré comme établissant un pacte entre les « deux peuples fondateurs » du
Canada. — En 1982, le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau a unilatéralement
remplacé l’ancienne constitution canadienne, avec l’appui de premiers ministres
provinciaux anglophones, et l’a profondément amendée avec l’Acte constitutionnel de 1982, en laissant le Québec et tous les
Canadiens-français du Canada complètement à l’écart du processus d’adoption.
Faisons
un petit retour sur l’histoire. — La Cour suprême du Canada, présidée alors par
le juge Bora Laskin, — toute fédérale qu’elle fut, et non pas une cour confédérale,
— n’en avait pas moins conclue, le 28 septembre 1981, qu’il aurait été « illégitime » pour le gouvernement fédéral
de rapatrier et d’amender unilatéralement l’AANB.
Cependant,
cette même Cour fédérale, au mépris du passé juridique britannique et des précédents,
n’en conclura pas néanmoins, et
cela paradoxalement, que si le gouvernement canadien pouvait s’associer à un
nombre “suffisant“ de gouvernements provinciaux, en pratique, à majorité
anglophone, il pouvait procéder. Et tout cela, en ignorant le Québec et sa
population de souche française et leurs droits ancestraux !
Quant
aux Canadiens-français des provinces à majorité anglophone, ils sont et
demeurent, en grande partie, laissés à la bienveillance ou à la malveillance de
gouvernements essentiellement anglophones, comme on l’a vu récemment en Ontario,
et comme on l’a souvent vu dans le passé.
Or
cette “Constitution“ de 1982, telle que consacrée dans l’Acte constitutionnel
de 1982, et laquelle est, comme on le sait, la « Loi des lois » qui
doit s’appliquer aux politiciens, n’a été l’œuvre que d’une poignée de politiciens
temporairement en place. De même, ces derniers n’avaient aucun mandat
constitutionnel digne de ce nom, et jamais ils ne la soumirent directement, ni à
la population canadienne, ni à la population québécoise, pour son approbation, —
ni lors d’un référendum, ni lors d’une élection référendaire.
Ce
fut là une énorme entorse à la règle démocratique fondamentale qu’une
constitution — étant la Loi des lois — ne peut pas être l’affaire de
politiciens temporairement en place, mais doit être approuvée directement par
la population souveraine.
Or,
l’Acte constitutionnel de 1982 a modifié en profondeur l’ancienne constitution
canadienne de 1867, (L’Acte de l’Amérique Britannique du Nord), en transférant à
des juges non élus plusieurs droits et prérogatives qui appartenaient
auparavant aux parlements élus, selon la tradition juridique britannique.
C’est
là une autre raison pour laquelle le gouvernement du Québec n’a jamais entériné l’Acte constitutionnel de 1982 et que l’Assemblée
nationale l’a plutôt répudiée, à l’unanimité, lors d’un vote tenu le 17 avril
2002.
C’est
pourquoi on peut dire que la constitution de 1982 est, en fait, la
constitution du Canada anglais et non pas celle du Québec. Il s’agit pour le Québec
d’une constitution imposée. Pour le peuple québécois, ce fut, ni plus ni moins,
une énorme supercherie constitutionnelle.
***
Mais
les conséquences de cette Constitution
sont bien réelles, bien qu’on la considère illégitime, tout en étant étroitement
“légale“. Et, ces conséquences sont menaçantes pour le Québec, le seul
territoire à prédominance francophone en Amérique du Nord.
En
effet, en plus d’enlever unilatéralement des droits au Québec, elle a encouragé
le gouvernement fédéral à adopter des politiques qui menacent, à terme, la
survie même du peuple québécois, en particulier, et des Canadiens-français en général,
sans que le gouvernement du Québec ne puisse s’y opposer.
(Je
fais référence ici, en autres, à la politique d’immigration massive du
gouvernement canadien, laquelle s’inspire directement du rapport Durham de 1839,
lequel recommandait ouvertement de « noyer » les Canadiens-français dans
une immigration massive à forte majorité anglophone.)
***
Dans
les circonstances, je recommanderais au gouvernement du Québec, en
collaboration avec d’autres gouvernements, si cela s’avère réalisable, de
contester l’Acte constitutionnel anglo-canadien de 1982 devant une cour
internationale appropriée, du fait qu’il fut adopté dans des conditions fort illégitimes
et anti-démocratiques, et, qu’il nie aux Québécois des droits historiquement
reconnus, et qu’il peut mener, à terme, à un désastre culturel et politique
pour le peuple québécois à prédominance francophone.
L’Empire
britannique a déjà commis le crime du génocide culturel historique des
Acadiens, en 1755, quand leurs terres leur furent volées à la pointe du fusil,
pour les redistribuer à des colons anglais, et qu’ils furent déportés au quatre
coins de la Planète — et cela, sans dédommagements, ni excuses, jusqu’à ce
jour.
Il
ne faudrait donc pas que les politiques du successeur de l’Empire britannique
au Canada, depuis 1982, c’est-à-dire celles du gouvernement fédéral canadien,
lequel souhaite ouvertement transformer le Canada en une sorte d’‘Empire Canadian’ de 100 millions d’habitants
— (un empire d’ailleurs que certains esprits légers prétendent être « sans frontières », « sans culture dominante » et,
partant, sans histoire !) — ne mènent,
à terme, à un génocide culturel des Canadiens-français et du peuple québécois,
en particulier. Car, le Québec est, de tous temps, l’épicentre de la
francophonie au Canada et de l’affirmation nationale des Québécois.
En
effet, cette politique ostentatoire d’un Grand remplacement de population, celle
que le fédéral poursuit présentement — et laquelle politique pourrait continuer
de s’appliquer encore pendant de nombreuses années, sinon des décennies, risque
fort de « noyer » irrémédiablement la francophonie canadienne, à
terme, dans une mer anglophone.
—
Dans une ou deux générations, il sera trop tard pour en prendre conscience et
pour réagir.
En
conclusion, permettez-moi de vous laisser sur une citation du grand philosophe
et naturaliste américain Henry David Thoreau, lequel écrivait, dans son livre
intitulé « La désobéissance civile », de 1849 :
« Je ne veux être considéré membre
d'aucune société constituée, à laquelle je n'ai pas adhéré. »
Henry David Thoreau (1817-1862)
(Et
le Québec n’a certainement pas adhéré la “Constitution“ canadienne de 1982 !)
Je
vous remercie bien sincèrement.
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Professeur
émérite de l’Université de Montréal,
Économiste
et ancien ministre