ARTICLES BLOGUE 2014




ARTICLES du BLOGUE 2014

(Veuillez lire les articles suivants, à commencer par le plus récent.)

Le 7 novembre 2014
Diviser pour régner : le gouvernement étatsunien a allumé une guerre politico-religieuse entre les Sunnites et les Chiites, en Irak et en Syrie

Le 19 septembre 2014
Un bourbier semblable à celui du Vietnam en Irak et en Syrie, autour d'enjeux énergétiques ?

Le 15 août 2014
Trois décisions cruciales de Bill Clinton d’inspiration néoconservatrice qui ont conduit aujourd’hui à trois crises majeures

Le 15 juillet 2014
Le « Grand dessein » des néocons américains : il explique les gaffes et les incohérences apparentes de Barack Obama en politique étrangère

Le 1 avril 2014
Le chef du PLQ M. Philippe Couillard fait peur

Le 21 mars 2014
Lettre ouverte à Madame Pauline Marois, Première ministre du Québec

Le 19 mars 2014
La Charte des valeurs est nécessaire et raisonnable et il faut un gouvernement Marois majoritaire pour l’adopter

Le 9 mars 2014
Ukraine: une opération de « faux pavillon » de manière à provoquer un coup d'état ?

Le 3 avril 2014
La politique extérieure néoconservatrice d'Obama d'isoler la Russie est un échec

Le 14 janvier 2014
La Neutralité et la Laïcité de l'État Québécois : Agir pour l’avenir

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Vendredi, le 7 novembre 2014
Diviser pour régner : le gouvernement étatsunien a allumé une guerre politico-religieuse entre les Sunnites et les Chiites, en Irak et en Syrie
par Rodrigue Tremblay


« Un projet circule [au Pentagone] selon lequel nous [les USA] allons envahir sept pays au cours des cinq prochaines années, en commençant par l'Irak, puis après la Syrie, le Liban, la Libye, la Somalie, le Soudan et pour finir, l’Iran. »
Wesley Clark, ancien commandant suprême des forces alliées de l'OTAN (1997-2000), (entrevue du 2 mars 2007)

« Je ne veux pas seulement en finir avec la guerre [en Irak] ; je veux mettre fin à l'état d'esprit qui nous a conduit dans cette guerre en premier lieu. »
Barack Obama, alors qu'il était candidat à la présidence américaine, (le 31 janvier, 2008)

« Presque tous les hommes peuvent soutenir l'adversité, mais si vous voulez tester le caractère d'un homme, donner lui le pouvoir. »
Abraham Lincoln (1809-1865), 16e président des États-Unis (1861-1865)

Lorsque le gouvernement américain de George W. Bush (2001-2009) se mit en tête d'envahir illégalement l'Irak et de renverser le gouvernement sunnite de Saddam Hussein en 2003, contre l'avis de plusieurs, il ouvrit une "boîte de Pandore" pleine de malheurs, laquelle est toujours présente aujourd'hui, et le sera probablement pour de nombreuses années à venir. Là est la première et principale cause du bourbier actuel qui prévaut présentement en Irak et en Syrie.

En 2009, le gouvernement de Barack Obama pensa qu'il pouvait se laver les mains et se sortir de la "plus grande erreur dans l'histoire militaire américaine" et laisser les politiciens irakiens arranger les choses sur place en formant un gouvernement de "réconciliation nationale" à Bagdad. Voici ce que disait le président Obama le 27 Février 2009 :
« Permettez-moi de dire ceci aussi clairement que possible : le 31 août 2010, notre mission militaire en Irak va prendre fin... Pendant cette période de transition, nous allons procéder à d'autres redéploiements. Et selon les termes de l'Entente du statut de nos forces armées avec le gouvernement irakien [négociée par l'administration précédente de George W. Bush en 2008 ], j'ai la ferme intention de retirer toutes les troupes américaines de l'Irak d'ici la fin de 2011. »

Eh bien, comme on aurait dû s'y attendre, compte tenu de l'histoire cahoteuse de cette région, l'Irak était alors bien loin d'être une « démocratie » florissante. Au contraire, le gouvernement chiite de al-Malaki, tout à fait paranoïaque, a été tout sauf « ouvert » à la minorité sunnite. En effet, les chiites en charge du gouvernement en profitèrent pour se venger des sunnites pour les sévices subis sous la dictature de Saddam Hussein. Disposant de l'équipement militaire sophistiqué que les Etats-Unis lui avaient fourni, il s'en est servi pour traquer l'opposition sunnite et les dissidents au régime, dont certains furent tués, et il évinça du gouvernement des personnalités politiques sunnites de premier plan.

C’est là une deuxième cause de la révolte sunnite qui a cours présentement et qui est à l'origine de l'organisation djihadiste de l'État Islamique (EI) [aussi connue sous le nom de l'État Islamique en Irak et au Levant (EIIL)]. Ses combattants, du moins en Syrie, sont souvent des volontaires étrangers. Certains sont d'origine tchétchène, et beaucoup viennent de pays occidentaux comme du Royaume-Uni ou de la France. —Lorsque l'on sème le terrorisme, il faut s'attendre à récolter le terrorisme. Et c'est précisément ce que le gouvernement des États-Unis et ceux d'autres pays occidentaux ont obtenu en Irak et en Syrie. Dans le cas des États-Unis, le chaos est le résultat de son invasion militaire en l'Irak et son refus d'assumer ses obligations de puissance occupante selon le droit international.

En plus de la politique américaine improvisée et contre-productive en Irak, il faut y ajouter la politique américaine de déstabilisation systématique de la Syrie, le pays voisin de l’Irak, dont l’incohérence et la futilité n’échappent à personne. En effet, armer des milices farouchement islamistes pour les aider à renverser le gouvernement syrien laïc de Bashar al-Assad, alors que le gouvernement américain prétend combattre le terrorisme islamiste, représentait un pari des plus risqué, en plus d’être illégal. Certains pays sunnites, tels le Qatar, l’Arabie Saoudite et la Turquie ont des raisons politiques et économiques propres de s’opposer au gouvernement syrien de Bashar al-Assad. Cela n’est pas nécessairement le cas des Etats-Unis. Le résultat a été que plusieurs organisations islamistes dites « modérées » que les Etats-Unis ont soutenues ont depuis été absorbées par l'organisation terroriste la plus radicale, soit celle de l’EI. On peut difficilement imaginer une politique aussi incohérente.

L'année dernière, alors que le terrorisme totalitaire de l’EI fanatiquement religieux gagnait du terrain et étendait son recrutement, à la fois en Irak et en Syrie, et alors que les ambassadeurs des Etats-Unis dans ces pays sonnaient l'alarme, l'administration Obama concentrait ses efforts à renverser le gouvernement élu en Ukraine et à renverser le régime d'Assad en Syrie. Aujourd'hui, les milices de l’EI sont bien installées dans de nombreuses villes irakiennes et syriennes et elles sont bien armées, grâce aux armes sophistiquées d’origine américaine qu’elles ont confisquées à leurs victimes. Et, elles n’ont aucun scrupule à s’en servir pour terroriser, torturer et massacrer des milliers de personnes qui s’opposent à leurs visées lunatiques. C’est tout un désastre.

Et, qu’elle a été la réaction de l'administration Obama ? Faisant face à une des plus grave crise humanitaire et militaire en Irak et en Syrie, résultat en grande partie des politiques américaines, le président Obama, et ses conseillers néo-conservateurs (dont l'allégeance réelle est plus que douteuse), sont apparus hésitants, confus, dépassés, désemparés, incohérents, passifs et réactifs.

Le vieux dicton « mieux vaut prévenir que guérir » semblerait s’appliquer ici. En effet, les problèmes ont tendance à s’accumuler lorsqu’on reporte ou retarde l’adoption de solutions. Le monstre de l'EI en Irak et en Syrie s’est organisé et a pris de l’ampleur en partie à cause de l'indifférence du gouvernement américain face à ce qui se passait en Irak et en partie à cause des politiques américaines en Ukraine et en Syrie. La source du bourbier dans ces pays remonte donc jusqu’à Washington DC. Il n’est nullement exagéré de dire que le gouvernement américain a du sang sur les mains face au carnage sauvage de l’EI dans ces pays.

Comment le monde pourrait-il rester indifférent quand des bouchers fanatiques, délirants et barbares du septième siècle massacrent des gens sans vergogne, pour leur appartenance ethnique, leur religion ou leurs idées ? Il y a un mot pour qualifier ce comportement sauvage, et c’est de « l’épuration ethnique ». On doit parler ici de génocide.

La triste vérité c’est que depuis une vingtaine d’années, il prévaut à Washington DC un certain vide intellectuel, et ce dans les plus hautes sphères. Il en est résulté des guerres ruineuses et des crises financières coûteuses.

Dans l'avenir, on qualifiera probablement les années Clinton-Bush-Obama (1993-2017) comme des « années vides », en raison du fait que le gouvernement des États-Unis aura abusé et détruit dans les faits le système de droit international construit au cours des années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, tout en se montrant incapable de fournir une alternative efficace et socialement et politiquement responsable. En fait, le gouvernement américain d'inspiration néo-conservatrice du dernier quart de siècle n’a pas été en mesure d’appuyer ses ambitions impérialistes mondiales sur des solutions concrètes et des institutions opérantes. Ce n’est pas une grande réussite, loin de là.

Le 4 novembre dernier, les électeurs américains ont été en mesure de porter jugement sur un certain nombre de politiciens responsables du chaos et de la désolation prévalant en Irak et en Syrie, (et aussi en Libye). En effet, on a qualifié les élections législatives de mi-mandat de novembre 2014 de « référendum sur le président Barack Obama », et elles ont porté en partie sur sa compétence et sur la cohérence et la pertinence de ses politiques, mais aussi sur les faiblesses relatives de l'économie américaine. Plusieurs candidats du parti démocrate ont payé cher les échecs de leur président.

Avec la Chambre des représentants et le Sénat américain maintenant sous contrôle républicain, il est évident que les deux dernières années de la présidence de Barack Obama seront difficiles et remplies d’embûches.

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Vendredi, le 19 septembre 2014
Un bourbier semblable à celui du Vietnam en Irak et en Syrie, autour d'enjeux énergétiques ?
Rodrigue Tremblay, économiste et


La règle du magasin de poterie: « Si vous cassez un morceau, vous en êtes le propriétaire ».
Colin Powell (1937), ministre des affaires étrangères de George W. Bush, (2001-2004) quand il mit en garde le président George W. Bush, à l'été de 2002, des conséquences d'une invasion militaire de l'Irak, (cité dans le livre Plan d'attaque, 2004, du journaliste américain Bob Woodward).

[Le projet secret des États-Unis d'armer les combattants islamistes moudjahidin en Afghanistan] « a été une excellente idée. Cela a eu pour effet d'attirer les Russes en Afghanistan. Le jour où les Soviétiques ont officiellement franchi la frontière, j'ai écrit au président [Jimmy] Carter: Nous avons maintenant l'occasion de faire en sorte que l'URSS ait sa propre guerre du Vietnam. En effet, pendant près de 10 ans, le gouvernement de Moscou dût mener une guerre insupportable, un conflit qui a entraîné la démoralisation et finalement l'éclatement de l'empire soviétique ».
Zbigniew Brzezinski (1928), conseiller à la sécurité nationale du président Jimmy Carter de 1977 à 1981 et l'un des principaux conseillers du président Barack Obama sur la politique étrangère, (entretien du 15 Janvier 1998, avec Le Nouvel Observateur, Paris).

« Le recours à la force n'est légal [au plan international] seulement quand il s'agit d'un cas de légitime défense [contre une attaque armée] ou avec l'autorisation [formelle]  du Conseil de sécurité de l'ONU. »
Ban Ki-Moon (1944-), Secrétaire général des Nations Unies, 2013.

Si la situation politique et militaire dans un Moyen-Orient riche en pétrole apparaît chaotique, complexe et confuse, c'est parce qu'elle l'est. Comment pourrait-il en être autrement quand il y a une vingtaine de gouvernements étrangers qui jouent d'influence, chacun essayant de mettre la main sur les robinets de pétrole et de gaz, et qu'ils n'ont aucun scrupule à s'impliquer, si nécessaire, dans les affaires des autres pour atteindre leurs fins. En effet, il n'y a aucun endroit au monde où l'intervention étrangère dans les affaires intérieures des autres pays par une toute une panoplie de gouvernements est aussi répandue et est même devenue monnaie courante.

En tête de liste des puissances interventionnistes, nous retrouvons les Etats-Unis d'Amérique et leur arsenal militaire déployé à travers le monde. Rappelons qu'en mars 2003, c'est le gouvernement américain de George W. Bush, avec l'appui du gouvernement britannique de Tony Blair, et aiguillé en cela par le gouvernement israélien, qui partit le bal de l'interventionnisme au Moyen Orient avec une invasion militaire de l'Irak. Ce faisant, il ouvrit une véritable « boîte de Pandore » pleine de malheurs pour cette région. Le but ultime du gouvernement de Bush et de Cheney était de renverser le gouvernement sunnite de Saddam Hussein et de le remplacer par un gouvernement chiite plus malléable. Cette invasion a été le principal élément déclencheur d'instabilité pour l'ensemble du Moyen-Orient, en ravivant les vieux antagonismes entre sunnites et chiites, ce qui s'est traduit par une série de guerres civiles et de guerres par adversaires interposés dans de nombreux pays de la région. Bien sûr, de telles guerres opposent des populations sunnites et des populations chiites dans un conflit politico-religieux, mais elles mettent aussi en cause de nombreuses loyautés ethniques et tribales.

En 2011, l'administration américaine du président Barack Obama croyait que les États-Unis pourraient se retirer en douceur d'un Irak dévasté et se laver les mains de tout le désordre qu'ils laissaient derrière eux. Et bien, cela ne s'est pas passé de cette façon. L'insurrection des musulmans sunnites à la fois en Syrie et en Irak est une retombée directe de l'invasion américaine de l'Irak en 2003.

La guerre civile faisant rage en Syrie a été un terrain fertile pour des Sunnis désenchantés de créer l'organisation djihadiste de l'État Islamique (EI) [aussi connue sous le nom de l'État Islamique en Irak et au Levant (EIIL). Leur but est de se tailler un territoire qui chevauche la Syrie et l'Irak et qu'ils appellent un Califat islamique pour montrer l'imbrication entre la politique et la religion.

Après avoir laissé derrière un pays gouverné par un gouvernement irakien chiite et sectaire en décembre 2011, le gouvernement Obama a très peu d'options pour contrer la montée des milices barbares de l'EI dans cette partie du monde. Cependant, pour des raisons de politique intérieure, M. Obama se doit de montrer qu'il est prêt à relancer la guerre au Moyen-Orient. (Il pourrait y avoir une raison plus logique pour laquelle Obama veut bombarder la Syrie, comme cela est expliqué ci-dessous).

Ainsi donc, le 10 septembre dernier, le président Obama a annoncé que son gouvernement avait décidé de renvoyer des centaines de "conseillers" militaires en Irak et d'intensifier la campagne de frappes aériennes contre les milices de l'État islamique (EI), en Irak mais aussi en Syrie, avec l'aide d'un certain nombre d'autres pays appelés à fournir des troupes au sol pour occuper les territoires « libérés » de l'organisation djihadiste de l'EI.

Une telle stratégie soulève quelques questions fondamentales.

Tout d'abord, il y a la question juridique. Comment le gouvernement des États-Unis peut-il ouvertement dire qu'il a l'intention de violer l'espace aérien de la Syrie pour attaquer les djihadistes de l'EI sans un accord formel avec le gouvernement syrien de Bashar al-Assad et/ou sans une résolution de soutien en bonne et due forme du Conseil de sécurité des Nations Unies ?

Deuxièmement, il y a la question du succès anticipé d'une opération militaire terrestre en Irak et en Syrie lorsque les trois gouvernements les plus directement impliqués dans la région, à savoir le gouvernement syrien de Bashar al-Assad, le gouvernement turc sunnite et le gouvernement iranien chiite ne participent pas à l'opération.

Si on considère que plusieurs pays du Moyen-Orient ont des intérêts contradictoires, leur implication militaire directe en Syrie apparaît discutable, ... à moins que le véritable objectif de l'opération Obama de bombarder la Syrie soit de compléter le renversement du régime Assad à Damas. Dans ce cas, l'objectif de combattre l'organisation de l'EI ne serait qu'un prétexte commode pour atteindre un objectif encore plus important, soit le renversement du gouvernement syrien Assad.

Il est vrai que les milices de l'EI (ou tout autre instance manipulatrice qui se cache derrière elles) ont délibérément provoqué les médias américains et la conscience américaine avec la mise en scène de décapitations sauvages de prisonniers. Il ne faut pas oublier qu'en septembre 2013, des groupes rebelles syriens avaient organisé une opération sous fausse bannière et avaient utilisé des armes chimiques contre des civils, dans le but de provoquer une riposte américaine. Cette fois-ci, un an plus tard, ils semblent avoir réussi.

Plus fondamentalement, quels sont au juste les véritables objectifs politiques et militaires en Syrie ? Est-ce que le Département d'État des États-Unis veut toujours renverser le gouvernement Assad ? Si oui, pourquoi? Qu'a fait le gouvernement syrien aux Etats-Unis ? Et, si ce gouvernement était renversé, qui lui succéderait ?

Ce serait une "stratégie" bien curieuse, en effet, si les États-Unis combattaient à la fois les milices de l’État islamique (EI) et le gouvernement syrien laïc de Bachar al-Assad, et finissaient par créer un vide politique comme celui qu’ils ont créé en Libye. La politique ne s’accommode guère d’un vide de pouvoir. Dans un pays où 60 pour cent de la population est sunnite, comparativement à seulement 20 pour cent en Irak, le remplaçant probable au gouvernement Assad en Syrie serait un gouvernement islamiste sunnite et sectaire, que son nom soit EI ou qu’il porte tout autre nom . Il s’en suivrait également un désordre complet tel que celui qui prévaut aujourd'hui en Libye, où différentes factions armées se battent entre elles pour s’accaparer une part du pouvoir.

À qui profiterait un tel état de choses ? On peut se faire une idée si on a recours à l’analyse économique. En effet, la toile de fond de tous ces conflits a trait à la géopolitique des différents gazoducs proposés pour écouler le gaz naturel du Moyen-Orient. De tels pipelines serviraient à acheminer le gaz naturel du golfe Persique vers l'Europe afin que cette dernière diversifie et réduise sa dépendance énergétique par rapport au gaz russe.

Il existe deux projets principaux de pipeline pour acheminer le gaz naturel du Moyen Orient vers une Europe affamée d'énergie, laquelle est de surcroit en conflit plus ou moins ouvert avec la Russie et souhaiterait diversifier ses sources d’approvisionnements en gaz naturel et réduire la domination russe sur ses marchés :
- Premièrement, Il y a ce qui a été surnommé le « pipeline islamique », (également appelé ‘Pipeline de l’Amitié’ par les gouvernements concernés), parce qu’il s’agit d’un gazoduc est-ouest de 5570 kilomètres de long allant de l’Iran vers l’Irak, en traversant la Syrie, pour expédier le gaz liquéfié vers l'Europe à partir des ports de la côte méditerranéenne de la Syrie et du Liban.
- Deuxièmement, Il y a un autre projet de pipeline pour acheminer du gaz naturel vers l'Europe et c’est le gazoduc Qatar-Turquie, lequel prendrait plutôt une direction sud-nord et irait du Qatar (premier exportateur mondial de gaz naturel liquéfié), en passant par l'Arabie saoudite via la Syrie pour aboutir en Turquie, où il serait raccordé au gazoduc Nabucco et servirait à approvisionner les clients européens à travers l'Autriche, ainsi qu’une Turquie en manque de sources énergétiques.

Ce dernier projet a reçu l’approbation de nombreux pays européens de même que des Etats-Unis, et d’Israël, ce dernier pouvant bénéficier d'un raccordement au pipeline proposé. Il ne faudrait pas se surprendre si plusieurs pays essaient de s’immiscer dans la guerre civile syrienne à cause de l’intérêt qu’ils portent à ce deuxième tracé de gazoduc.

Cependant, le gouvernement Assad de la Syrie a rejeté ce deuxième tracé, lui préférant le premier tracé. C'est une raison importante pour laquelle la Syrie se retrouve au centre des décisions concernant la construction d’un pipeline pour acheminer le gaz naturel vers l'Europe. C'est aussi une source importante de frictions politiques et de conflits dans cette partie du monde. Cela nous aide à comprendre pourquoi les gouvernements du Qatar, de l'Arabie saoudite, de la Turquie, d’Israël et de l’Union européenne (UE) font tout en leur possible pour renverser le gouvernement syrien de Bachar al-Assad et ont financé divers groupes rebelles, y compris l'organisation djihadiste de l’EI.

Conclusion

La production de pétrole et de gaz, la construction d’un oléoduc et les approvisionnements en gaz vers l’Europe sont des facteurs importants qui peuvent en partie expliquer les frictions politiques et les conflits actuels au Moyen-Orient. Cela nous aide à comprendre pourquoi tant de gouvernements veulent renverser le gouvernement syrien de Bachar al-Assad. Toutes ces intentions, ouvertement déclarées ou camouflées, n'e feront qu’accroître le chaos au Moyen-Orient.

Pour que la paix règne au Moyen-Orient, il faudrait, plutôt que des guerres ruineuses qui s’étendent sur des décennies, un esprit de compromis et de concession, et des négociations politiques sérieuses sur des projets économiques communs. En effet, des solutions politiques seraient de beaucoup préférables à des affrontements militaires permanents, surtout quand on considère le cortège de carnages que ces guerres imposent aux populations.
Le plus tôt on en arrivera à cette conclusion, le mieux ce sera pour tous les peuples du Moyen Orient et pour le monde.

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Le 12 août 2014


Trois décisions cruciales de Bill Clinton d’inspiration néoconservatrice qui ont conduit aujourd’hui à trois crises majeures
Vendredi, le 15 août 2014

« J'ai dit, en 1936, que ce n'était pas le pacte de la Société des Nations qui faisait problème, mais que c’était avant tout une question de moralité internationale ... La Charte des Nations Unies exprime bien les aspirations les plus nobles chez l'homme: rejet du recours à la force pour régler les différends entre les États; préservation des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion; sauvegarde de la paix et de la sécurité dans le monde. »
Hailé Sélassié (1892-1975), discours aux Nations Unies, le 6 octobre 1963.

"La beauté de la loi Glass-Steagall, après tout, était assez simple: les banques ne devraient pas spéculer avec les dépôts bancaires assurés par l’État. Même un enfant de six ans peut comprendre cela... "
Luigi Zingales (1963- ), (‘A Capitalism for the People’, 2014).

"Aujourd'hui, le Congrès américain vient de voter une loi qui rajeunira les règles qui ont régi les services financiers depuis la Grande Dépression, et les remplacer par un système digne du 21e siècle ... Cette loi historique permettra aux entreprises américaines de participer pleinement à la nouvelle économie."
Lawrence H. Summers (1954- ), Secrétaire au Trésor américain,  le 12 novembre 1999.

« Nous sommes conscients que l'adhésion d’une Allemagne unifiée à l'OTAN soulève des questions complexes. Pour nous, cependant, une chose est certaine: L'OTAN ne devrait pas s'étendre à l'Est. »
Hans-Dietrich Genscher (1927- ), ministre allemand des affaires étrangères, (le 10 février 1990, confirmant une promesse faite à la Russie que  l'OTAN n’allait pas s’étendre en Europe de l’Est.)

« Je pense que c'est le début d'une nouvelle guerre froide. Je pense que les Russes vont petit à petit réagir très négativement et cela aura une incidence sur leurs politiques. Je pense que c'est une grave erreur. Il n'y avait aucune raison pour que cela se produise ... Cela dénote un manque flagrant de compréhension de l'histoire russe et de l'histoire soviétique. Bien sûr, il va y avoir une réaction négative de la part de la Russie, et [les partisans d’une expansion de l'OTAN] vont dire qu’on vous l’avait bien dit que c’est comme cela que sont les Russes—mais c'est tout simplement faux. »
George F. Kennan, (1904-2005), diplomate américain et spécialiste de la Russie, (en 1998, après que le Sénat américain eut voté l’expansion de l'OTAN en englobant la Pologne, la Hongrie et la République tchèque.)

Un nouveau livre américain allègue que les bureaux du président Bill Clinton furent mis sous écoute électronique, au profit du gouvernement israélien du premier ministre Benjamin Netanyahou. Le livre dévoile aussi comment le premier ministre israélien a pu se servir d’enregistrements de conversations de Bill Clinton reliées à son scandale sexuel dans les années ’90 pour le persuader de libérer un espion israélien arrêté en 1985 et condamné pour espionnage aux Etats-Unis, Jonathan Pollard. En fait, tout indique que de telles activités israéliennes de renseignement sont monnaie courante aux États-Unis (et sans doute dans d’autres pays).

Peut-on supposer que le fait qu’un président américain (et d’autres ministres du gouvernement américain) soient placés sous surveillance électronique et soumis à un possible chantage de la part d'un pays étranger ne sera guère prisé par l’Américain moyen, si cela allait être davantage connu. À cela s’ajoute la découverte récente que la CIA, laquelle opère en étroite conjonction avec le Mossad israélien, a espionné les sénateurs américains, en violation des lois et de la constitution américaines.

Tout cela nous amène à regarder de plus près certaines décisions cruciales prises par l'administration Clinton, il y a une quinzaine d’années, parce que les conséquences de ces décisions sont toujours présentes avec nous aujourd'hui.

En effet, il y a trois grandes crises qui ont cours présentement et dont on peut retracer l’origine jusqu’au gouvernement américain de Bill Clinton (1992-2000), surtout celles prises durant le second mandat de Clinton (1996-2000). Les gens ont tendance à oublier de telles questions préférant se concentrer uniquement sur l’actualité courante. Cependant, il arrive souvent que ce qui se passe sous nos yeux aujourd’hui a pris des années à se préparer, et éclôt longtemps après que les initiateurs ont quitté la scène politique. En réalité, ce que le gouvernement de George W. Bush a fait et ce que celui de Barack Obama fait présentement n’est que la suite de politiques que l'administration de Bill Clinton a mises de l’avant.

Quelles sont donc ces trois crises dont nous pouvons retracer les origines à partir de décisions cruciales, prises par le gouvernement de Bill Clinton, à la fin des années ’90 ?


1- Premièrement, il y a le précédent de Kosovo invoqué par Clinton pour lancer les États Unis en guerre contre la Serbie, en invoquant des raisons humanitaires.

On peut dire que le chaos qui découle des nombreuses guerres qui ont cours aujourd’hui à travers le monde, en violation directe de la Charte des Nations Unies, est dû en grande partie au précédent de Kosovo mis de l’avant par Bill Clinton.

Le Préambule proclame solennellement le principal objectif de la Charte des Nations Unies de 1945 : « Nous, peuples des Nations Unies, résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre … » et à cette fin « qu'il ne sera pas fait usage de la force des armes, sauf dans l'intérêt commun… »

Comme l'actuel Secrétaire général des Nations Unies, M. Ban Ki-Moon l’a bien rappelé au monde l'année dernière, si on s’en remet à la Charte des Nations Unies, adoptée par tous les pays membres, "l'utilisation de la force est légal seulement si elle est faite dans un cas de légitime défense [contre une attaque armée] ou avec une autorisation [officielle] du Conseil de sécurité de l'ONU ".

—C'est ce que dit le droit international, et la Charte des Nations Unies est la base même du droit international.

En effet, le chapitre VII de la Charte des Nations Unies interdit formellement toute guerre qui n'est pas entreprise pour maintenir ou rétablir la paix internationale (article 42) ou qui n'est pas faite dans un cas de légitime défense, soit individuelle, soit collective (article 51). Il n'y a pas d'exceptions pour les « guerres préventives », les « soi-disant guerres humanitaires » ou tout autre type de guerre d'agression.

Néanmoins, en 1998 et en 1999, le gouvernement démocrate de Bill Clinton décida unilatéralement de s’impliquer dans la guerre du Kosovo, alors en cours en Yougoslavie, et cela sans un mandat explicite du Conseil de sécurité de l'ONU, remplaçant pour la première fois la stricte légalité par l’argument arbitraire et extra judiciaire d’une légitimité politique pour des raisons « humanitaires » et pour la sauvegarde des « droits humains ».

Cela fut fait sans même une résolution d’autorisation de la part du Congrès américain, le gouvernement Clinton jugeant qu’un recours à l'OTAN suffisait pour justifier l'intervention militaire. (Dans ce cas, il s’est agi d’opérations aériennes de l'OTAN.) La guerre du Kosovo a été décrite comme « la première guerre fondée sur des valeurs » et elle a ouvert la boîte de Pandore des guerres facultatives, en opposition au cadre juridique international de la Charte des Nations Unies.

Depuis le précédent du Kosovo qui avalise l'intervention militaire unilatérale pour des motifs humanitaires, ce genre de guerre d'agression est devenue bien plus une question politique qu’une question légale, les grands pays pouvant intervenir militairement selon leur propre vision de ce qui est de leurs « intérêts nationaux ». En d'autres termes, le monde est revenu à l’époque d'avant 1945, soit avant la création de l'Organisation des Nations Unies, lorsque les pays impériaux pouvaient se lancer en guerre quand ils estimaient qu'il y allait de leur intérêt national de le faire.

La décision du gouvernement de Bill Clinton de soustraire les États Unis de la Charte des Nations Unies au profit de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) marque le début d’une marginalisation des Nations Unies en tant que cadre juridique pour empêcher les guerres. Aujourd’hui, le monde est moins sécuritaire depuis que les Nations Unies ont de facto été mis à l'écart eu égard à leur mission fondamentale de prévenir et d’empêcher les guerres.

2- En deuxième lieu, considérons l’abrogation de la loi américaine dite « Glass-Steagall », en 1999, par le gouvernement Clinton

Dans les années 90, en effet, les plus grandes banques américaines lancèrent, au coût de 300 millions de dollars, une campagne publique afin de faire abroger la loi bancaire dite Glass-Steagall, en place depuis la Grande Dépression des années 30. Cette importante loi, laquelle datait de 1933, servait de rempart contre la spéculation financière, en empêchant les grandes banques de spéculer avec l'argent des dépôts bancaires assurés par l’État. Plus précisément, elle rendait illégale toute amalgamation entre des banques d’affaires spécialisées dans les souscriptions risquées de valeurs mobilières et des banques commerciales habilitées à recevoir du public des dépôts assurés.

C’était, cependant, sans compter sur l’influence de grands banquiers, dont certains occupaient des postes stratégiques dans l'administration de Bill Clinton, tel Robert Rubin, ministre des finances (1995-1999) et un ancien co-président (1990-1992) de la grande banque d'affaires américaine Goldman Sachs. Ceux-ci prétendaient que les choses avaient beaucoup changé depuis la Grande Dépression et que les limites imposées par la loi Glass-Steagall sur leurs activités bancaires les empêchaient de créer et de vendre aux investisseurs de nouveaux produits bancaires, non seulement aux États-Unis mais partout dans le monde, et que cela nuisait à leur compétitivité à l'échelle internationale.

Au début, le gouvernement Clinton se montra réfractaire à l’idée de mettre la hache dans une loi qui avait empêché un retour aux abus bancaires d’avant la Grande Dépression et qui avait si bien servi l’économie américaine pendant si longtemps. Cependant, d’énormes pressions politiques s’exercèrent sur le gouvernement américain du temps, venant tant de l'intérieur que de l’extérieur du gouvernement, de sorte que le président Bill Clinton opposa finalement sa signature, le 12 novembre 1999, afin de modifier la loi Glass-Steagall. Il le fit en ratifiant une nouvelle loi bancaire américaine, baptisée « loi Gramm-Leach Bliley », des noms du président de la commission bancaire sénatoriale Phil Gramm (R-Texas), du président du Comité bancaire de la Chambre des Représentants James Leach (R-Iowa), et du Représentant Thomas Bliley (R) de la Virginie.

La nouvelle législation bancaire américaine permettait aux banques commerciales, aux banques d'affaires, aux sociétés de valeurs mobilières et aux compagnies d'assurance de se fusionner, mais sans accorder à l’organisme de réglementation, la ‘Security and Exchange Commission’ (SEC), ou à tout autre organisme de réglementation financière d’ailleurs, le pouvoir de réglementer les nouveaux conglomérats bancaires.

Les super grandes banques et les grandes sociétés d’assurance ne perdirent guère de temps à tirer profit de la nouvelle dérèglementation. Des « chaînes financières à la Ponzi » apparurent, comme elles étaient apparues dans le passé, et comme on était en droit de s’attendre qu’elles réapparaissent.

C’est ainsi que les nouveaux géants bancaires « innovèrent » avec de nouveaux produits financiers dits « dérivés », lesquels se sont avérés être très toxiques et sont devenus une cause sous jacente importante de la crise financière des « subprimes » de 2007-09.

Ce que nous savons, par ailleurs, c'est que la crise financière de 2007-2008 a entraîné des pertes de revenu et de patrimoine qui se sont chiffrés dans les billions de dollars pour les familles américaines, et elle a forcé le gouvernement américain à subventionner à coup de centaines de milliards de dollars les super grandes banques, afin de les empêcher de faire faillite. Il en ait résulté un énorme transfert de richesse de la population en général vers le secteur bancaire, en plus d’affaiblir l’économie américaine pour des années à venir.

3- Troisièmement, il y eut la résiliation par le gouvernement de Bill Clinton de la promesse faite par le gouvernement américain précédent au Premier ministre russe Gorbachev de ne pas agrandir l’OTAN vers l’Est

Comme la citation du ministre des Affaires étrangères allemand Genscher au début de ce texte l'indique, il est largement admis qu’après la dissolution du Pacte de Varsovie, (l'alliance militaire de Europe de l'Est), au début des années '90, et après la réunification allemande, il était bien entendu, à tout le moins en termes d'engagements implicites, que l'OTAN ne tirerait pas avantage de la situation pour encercler militairement la Russie en s’agrandissant vers Europe de l'Est. Lors d’une rencontre, le 10 Février 1990, entre le secrétaire d'Etat américain James Baker dans l'administration de George H. Bush et le ministre allemand des Affaires étrangères Genscher, par exemple, les deux hommes s’étaient mis d’accord pour qu'il n'y ait pas d’expansion de l'OTAN vers l'Est.

C’était bien l’impression que semblait avoir M. Mikhaïl Gorbatchev, le président de l'URSS du temps, quand il affirma qu'il avait reçue l’assurance que l'OTAN n’allait point s’élargir "d'un pouce vers l'Est." De même, l'ambassadeur américain à Moscou à cette époque, M. Jack Matlock, a déjà confirmé publiquement que Moscou avait reçu un "engagement clair" à cet effet. Par conséquent, l'erreur de Gorbatchev fut peut-être d'avoir pris au pied de la lettre la parole des politiciens occidentaux, au lieu d’exiger un accord plus formel.

Quoiqu’il en soit, les engagements de ne point élargir l’OTAN vers l’Est en absorbant les anciens membres du Pacte de Varsovie tinrent pendant quelques années, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’un président Bill Clinton déclare en pleine campagne électorale, le 22 octobre 1996, qu’il souhaitait voir l'OTAN s’élargir vers l’Est européen et accueillir la Pologne, la Hongrie et la Tchécoslovaquie dans son sein.

Par conséquent, c’est bien un Bill Clinton qui y voyait un avantage électoral personnel de promettre, lors des élections présidentielles américaines de 1996, de passer outre à la promesse faite par son prédécesseur de ne point élargir l’OTAN vers l’Est. On connaît la suite. L'OTAN fut par après transformée d'une alliance militaire essentiellement défensive en une alliance militaire offensive, sous contrôle américain. Et l’expansion de l’OTAN ne s’est pas arrêtée à la Pologne, à la Hongrie et à la Tchécoslovaquie, mais elle a aussi englobé des pays comme l'Albanie, la Bulgarie, la Croatie, la Lettonie et la Slovénie, entre autres, poussant ainsi son infrastructure militaire jusqu'à la frontière de la Russie. Les récentes tentatives pour faire en sorte que même l'Ukraine fasse partie de l'OTAN ne sont que la continuation d'une politique agressive d'expansion de l'OTAN et d'isoler la Russie, initialement mise de l’avant par le gouvernement de Bill Clinton, à la fin des années '90.

C’est donc Bill Clinton, sans doute sous l'influence des néo-conservateurs américains, qui mit un terme à l’espoir que plusieurs entretenaient de voir les pays occidentaux profiter d’un « dividende de la paix », suite à la fin de la Guerre froide et la disparition de la menace soviétique.

Conclusion

Le désordre planétaire en ce début mouvementé du 21ème siècle, la crise financière de 2007-2008 qui a dévasté tellement de personnes, et le retour inattendu de l'ancienne Guerre froide avec la Russie, sont trois crises majeures dont l’origine remonte aux décisions à courte vue prises par le gouvernement de Bill Clinton dans les années ’90.

Les gouvernements américains plutôt médiocres de George W. Bush et de Barack H. Obama n'ont fait que pousser plus avant, en les empirant, des politiques désastreuses initialement mises de l’avant par l’administration de Bill Clinton. C'est donc une réalité dont les historiens de l’avenir devront tenir compte s’ils veulent comprendre le fil des événements qui ont conduit au chaos actuel.

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Le 15 juillet 2014
Mondialisation.ca, 15 juillet 2014
« Je crois dans l'« exceptionnalisme » américain  de tout mon être. Mais ce qui nous rend exceptionnels, ce n'est pas tant notre capacité à faire fi des normes internationales et à bafouer la primauté du droit; c’est plutôt notre volonté de les affirmer à travers nos actions. »
Président Barack Obama
Le 29 mai 2014, discours de graduation à l’académie militaire de West Point
« La guerre est la plus tragique et la plus stupide folie de l'humanité; le fait de l’encourager ou de la provoquer délibérément est un crime honteux contre toute l’humanité. »
Président Dwight Eisenhower
Discours de graduation à l’académie militaire de West Point en 1947

« Politiquement parlant, le nationalisme tribal insiste toujours pour affirmer que son propre peuple est entouré par « un monde d'ennemis », et que c’est une situation de « un contre tous », et qu’il existe une différence fondamentale entre ce peuple et tous les autres. Il prétend que sa population est unique, particulière, incompatible avec tous les autres, et il nie même la possibilité théorique qu’il puisse exister une humanité commune à tous bien avant qu’il s’en serve pour détruire l'humanité de l’homme. »
Hannah Arendt (1906-1975)
Les origines du totalitarisme, 1951

« Un empire est un despotisme, et un empereur est un despote, soumis à aucune loi ou limitation mais seulement à sa propre volonté ; il s’agit d’une forme de tyrannie qui surpasse celle d’une monarchie absolue. En effet, bien que la volonté d'un monarque absolu fasse loi, il faut encore que ses dictats soient approuvés par un parlement. Même cette formalité n'est pas requise dans le cas d’un empire. »
John Adams (1735-1826)
Deuxième président américain

Suis-je seul à éprouver un certain malaise, en écoutant les discours de Barack Obama, et à avoir la sensation que nous avons devant nous un acteur qui joue le rôle d'un président américain et qui lit attentivement le script qu’on lui a remis ? De plus en plus, en effet, on a la nette impression que Barack Obama adopte la posture d’un George W. Bush mais cette fois-ci, démocrate. Ceux qui rédigent ses discours semblent avoir la même mentalité belliciste que ceux qui écrivaient les discours de George W. Bush ou ceux de Dick Cheney, douze ans auparavant.

Ce n'est sans doute pas un hasard car des néocons influents occupent aujourd’hui des postes clés dans l'administration de Barack Obama comme c’était le cas sous George W. Bush, alors qu’ils firent tout en leur pouvoir pour que les États-Unis se lancent dans une guerre illégale contre l’Irak, tout comme ils ont aussi essayé de pousser les États-Unis vers une confrontation militaire avec l'Iran et comme ils tentent aujourd’hui de provoquer un conflit militaire avec la Russie. C’est toute une énigme que de comprendre comment les néocons américains peuvent aussi facilement infiltrer les administrations américaines, tant républicaines que démocrates, et jouer le rôle de fomenteurs de troubles !

Nous connaissons bien le  « Grand Dessein » des néo-conservateurs américains. Il vise essentiellement à utiliser la puissance militaire américaine pour imposer un remodelage géopolitique du Moyen-Orient, en fonction des intérêts d’Israël et de ses alliés. Et, les néocons ont eu la gentillesse de le publier. En effet, il s'agit d'un plan qui a été élaboré et présenté dans de nombreux rapports, à commencer par le fameux rapport "Clean Break" de 1996 et ceux du Projet Pour Un Nouveau Siècle Américain
(PNAC), une organisation créée en 1997, et dont les  fondateurs sont devenus des membres éminents dans le gouvernement de Bush-Cheney. Personne ne peut comprendre la politique étrangère étatsunienne sans avoir lu ces rapports.

Les néocons américains se présentent aujourd’hui sous deux nouvelles enseignes, soit celle l'Initiative en Politique Étrangère (Foreign Policy Initiative) et celle de la Fondation pour la Défense des Démocraties (Foundation for the Defense of Democracies).

Fait important, les néocons ont réussi depuis quelques années, et cela malgré l’échec retentissant de leur politique de guerre contre l’Irak, à devenir très influents au sein de l'administration du président Barack Obama, en particulier au Département d'État, où ils étaient les protégés de l'ancienne Secrétaire Hillary Clinton. Ce sont ces néocons et leurs alliés politiques qui constituent la principale force intellectuelle derrière la politique étrangère des États-Unis, laquelle se traduit par les politiques américaines désastreuses et incohérentes tant au Moyen-Orient qu’en Europe de l'Est, comme celles que l’on observe depuis une quinzaine d’années.

À sa face même, il s'agit d'un projet qui a très peu à voir avec les intérêts fondamentaux des Américains ordinaires, et tout à voir avec ceux de certaines entités étrangères et intérieures, à commencer par l'État d'Israël en raison de sa grande influence sur la politique intérieure des États-Unis et par l'État sunnite de l'Arabie saoudite en raison de son rôle crucial dans la fixation du prix international du pétrole.

C’est aussi un projet qui s'intègre très bien avec les intérêts du complexe militaro-industriel américain, lequel doit pouvoir compter sur un environnement de « guerres préventives » dans un contexte d’une guerre permanente afin de justifier les énormes budgets annuels de la défense.

Le projet néocon repose sur le vieux principe de "diviser pour régner" (ou en latin, « divide ut Regnes » ou« divide et impera »). Cela nécessite parfois de créer un chaos politique là où la stabilité règne. En effet, c’est en créant le désordre que les néo-conservateurs veulent atteindre leurs objectifs. Au Moyen-Orient, ils le font en attisant les flammes du vieux conflit sectaire entre les musulmans sunnites et chiites, de manière à provoquer la chute de gouvernements hostiles et à forcer même la désintégration de pays entiers, de manière à mieux les contrôler, et cela, quelque soit les coûts humains énormes qui en résultent pour les populations locales.

À titre d’exemple, il peut sembler absurde pour le gouvernement Obama d'armer et de soutenir des groupes de rebelles islamistes fanatiques en Syrie contre le gouvernement d’Assad, pour ensuite les combattre avec des drones et des Marines lorsque qu’ils s’aventurent en Irak. Cependant, cette politique bizarre semble tout à fait rationnelle aux yeux des néo-conservateurs, si elle incite les sunnites et les chiites à s'entre-tuer et si le pays de l'Irak est morcelé en plusieurs parties. C’est pourquoi j’emploie l’expression « incohérence apparente » dans le titre de ce texte, car ce qui de toute évidence est incohérent d’un point de vue américain, ne l’est nullement d’un point de vue néocon.

En Europe, les néocons ont convaincu un président Obama plutôt naïf de relancer la vieille Guerre Froide avec la Russie, afin de profiter de la faiblesse relative de ce dernier pays. De telles tensions provoquées artificiellement permettront aux États-Unis de consolider leur influence sur l'Union européenne (UE) et faciliteront la transformation d’une OTAN élargie et recentrée en tant qu’alliance militaire offensive sous contrôle américain, de manière à court-circuiter au besoin les Nations Unies, et à justifier l'interventionnisme militaire américain à l'étranger.

Cependant, c’est parce que la stratégie néo-conservatrice entre souvent en conflit avec des intérêts américains économiques et politiques fondamentaux, tant à l’intérieur qu’à l'étranger, que le projet néo-conservateur de provoquer des guerres successives au Moyen-Orient et en Europe de l'Est fait paraître la politique étrangère d'Obama si incohérente et si contradictoire. Élaborons quelque peu sur ce dernier point.

1 – En premier lieu, considérons les situations chaotiques qui règnent présentement en Syrie, en Libye et en Irak. Grâce à l’action de milices islamiques bien armées et soutenues de l’extérieur, ces pays sont ravagés par la guerre civile, ce qui peut facilement mener à leur désintégration politique et à leur déchéance économique.

Mais à qui profite un tel désordre dans cette partie du monde riche en pétrole ? Certainement pas aux travailleurs et aux consommateurs américains obligés de payer à la pompe des prix gonflés pour l’essence et des impôts élevés pour financer toutes ces guerres. Les intérêts économiques des grandes compagnies pétrolières américaines actives dans la région peuvent aussi être menacés.

Cependant, pour les néocons américains, un tel chaos permanent est de nature à les réjouir car cela est de nature à servir certains intérêts géopolitiques, en particulier ceux d'Israël dont l'avantage géopolitique avoué est d'affaiblir les États islamiques voisins et même de les briser en de plus petites entités. Il en va de même de l’Arabie Saoudite sunnite qui profite de prix plus élevés pour son pétrole et qui voit d’un bon œil l’affaiblissement des États chiites concurrents au Moyen-Orient (Iran, Irak et leur allié la Syrie).

En effet, des prix gonflés pour le pétrole sont l'une des causes de la stagnation économique relative qui prévaut présentement aux États-Unis et en Europe, tandis que la possibilité que des milices islamiques peuvent attaquer et prendre le contrôle des champs de pétrole dans ces pays va à l'encontre des intérêts des compagnies pétrolières américaines.

Cela explique en partie pourquoi le gouvernement Obama doit composer avec des demandes contradictoires, formulées par différents intérêts politiques et économiques, et cela devient de plus en plus difficile de les satisfaire toutes, même si c’est un penchant marqué chez le président Obama de se prêter à un tel exercice.
De là, l'apparente incohérence et contradiction dans sa politique étrangère.

Parfois Barack Obama agit comme s'il faisait sienne la stratégie machiavélique des néocons américains de déstabiliser la plupart pays musulmans du Moyen-Orient au profit d'Israël et de l'Arabie saoudite. On n’a qu’à considérer tout le soutien financier et militaire que le gouvernement américain a apporté à des organisations terroristes en vue de provoquer des « changements de régime » en Iraq, en Syrie, et comme il l'a aussi fait en Libye.

Rappelons qu'en septembre dernier, le président américain Barack Obama s’était rallié à la recommandation de ses conseillers néocons et avait accepté de bombarder le pays de la Syrie, dont le gouvernement Assad était considéré trop proche de l'Iran chiite, avant de se rendre compte que toute la cabale des justifications pour une telle opération, tout à fait illégale, était une opération sous fausse bannière, autrement dit, un coup monté.
Parfois, aussi, les coûts économiques d’une telle instabilité politique toute provoquée sont considérés trop élevés et un timide Obama, au grand dam de ses conseillers néocons, hésite à appliquer pleinement le plan machiavélique de ces derniers. Le président Obama devient alors la cible des médias néocons aux États-Unis qui le présentent alors comme étant faible, "coupé de la réalité", inexpérimenté et hésitant, ce qui bien sûr contribue à son impopularité croissante.

2 - Deuxièmement, considérons maintenant la nouvelle guerre froide que les néo-conservateurs ont réussi à raviver en Europe. Il est quand même fascinant de voir les néocons tenter de revenir un quart de siècle en arrière et de reprendre leur campagne contre la Russie avec leur politique d'encerclement géopolitique et militaire de ce dernier pays, en l’entourant de missiles et en poussant ses voisins vers la confrontation. Tel est le résultat de l’investissement qu’ont fait les États-Unis pour appliquer la politique ‘neocon’ de «changement de régime» en Ukraine, renversant par la force un gouvernement légitimement élu et cela, à quelques mois d’une élection générale. La démocratie s’estompe quand les intérêts géopolitiques entrent en jeu.

À qui donc profitent ces tensions renouvelées et ce chaos orchestré ? Certainement pas à l’américain ordinaire ou l’européen ordinaire. Tous ces troubles ne peuvent que nuire à la santé économique de l’Amérique et de l’Europe. Les grands profiteurs sont plutôt les bâtisseurs d'empire et les trafiquants d'armes, et tous ceux qui aiment pêcher en eaux troubles.

Conclusion

On peut regretter que le président Barack Obama n'ait point été en mesure de formuler sa propre politique étrangère américaine, avec cohérence et crédibilité, à partir de principes clairs et avec des objectifs clairs, et qu’il ait dû s’en remettre aux mêmes néocons discrédités de l’époque Bush-Cheney pour des avis. Par conséquent, il s’est lui-même placé et son gouvernement à la merci d’influences diverses et contradictoires, lesquelles le poussent tantôt dans un sens, tantôt dans une autre direction. C'est ce qu'on appelle un manque de vision et un manque de leadership.

Il n’est peut être pas trop tard pour que le président Barack Obama reprenne les choses en mains, au cours de ce second mandat, et cesse d’émuler George W. Bush et Dick Cheney et leur vision hégémonique ruineuse. La dernière chose dont le monde a besoin aujourd’hui, c’est bien d’une troisième guerre mondiale.

Pour cela, cependant, il lui faudrait expulser tous les néo-conservateurs qui se sont hissés à des positions de pouvoir et de prise de décision dans son gouvernement. S’il n'a pas le courage de le faire, il risque de laisser la marque d'un des pires présidents américains, sur un pied d'égalité en cela avec George W. Bush.
Rodrigue Tremblay

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Le 21 mars 2014

Lettre ouverte à Madame Pauline Marois, Première ministre du Québec
de Rodrigue Tremblay, économiste
Professeur émérite de l’Université de Montréal, ancien ministre et auteur du livre « Le Code pour une éthique globale », Liber, 2009,

Réveillez-vous Madame la Première ministre.

Madame Marois, s.v.p. réveillez-vous ! Fermez la porte au plus sacrant à un référendum lors de votre prochain mandat et clouez le bec à vos adversaires.

Mais, vous n’avez pas une éternité pour le faire. Seulement un jour ou deux. De grâce, n’attendez pas de le faire à quelques jours de votre prochain débat public, jeudi le 27 mars ; il sera sans doute trop tard. Coupez l’herbe sous le pied de vos adversaires, dès maintenant.

Voici ce que je vous suggère de dire clairement :

« Comme nos adversaires ont décidé de kidnapper cette élection pour en faire malhonnêtement une élection référendaire, j’ai consulté mes collègues et nous sommes unanimes sur ce que j’ai à dire :

Voici. Je prends acte que la population n’est pas favorable à ce que nous tenions un référendum sur l’avenir constitutionnel du Québec au cours du prochain mandat que nous sollicitons. Sur ce point, en bonne démocrate, je ne conteste pas la justesse des sondages.
Par conséquent, je prends aujourd’hui l’engagement ferme qu’il n’y aura pas de référendum de cette nature au cours d’un second mandat du  gouvernement que je dirigerai.

Il est temps de passer aux choses plus immédiates et que nous décidions, 1) Primo, comment on va se débarrasser de la corruption que nous a léguée les presque dix années de gouvernement libéral de Jean Charest et comment nous allons appliquer les recommandations du rapport à venir de la Commission Charbonneau ; et 2) secundo, d’adopter dès la reprise des travaux parlementaires la Charte de la laïcité et de la neutralité religieuse de l'État, afin de consacrer une fois pour toutes le principe de l'égalité entre les femmes et les hommes et afin d’encadrer les demandes d'accommodement. »

Faites cela Madame, et vous serez Première ministre le 8 avril prochain. Ne le faites point, et vous serez au mieux encore minoritaire, sinon carrément dans l’opposition.

Bonne chance. Tout le Québec attend votre réponse.



Le 19 mars, 2014
La Charte des valeurs est nécessaire et raisonnable et il faut un gouvernement Marois majoritaire pour l’adopter
Par Rodrigue Tremblay, Professeur émérite de l’Université de Montréal, ancien ministre et auteur du livre « Le Code pour une éthique globale », Liber, 2009
« Avec un ensemble de théories, on peut fonder une école ; mais sur un ensemble de valeurs, on peut créer une culture, une civilisation, une nouvelle façon de vivre ensemble, entre nous. »
Ignazio Silone (1900-1978)
Pseudonyme de Secondino Tranquilli, homme politique et auteur Italien, (Pain et Vin, 1936)
L’état ne doit « adopter aucune loi concernant l’établissement d’une religion ou interdisant son libre exercice », créant ainsi « un mur de séparation entre l’Église et l’État ».
Thomas Jefferson (1743-1826)
Auteur de la Déclaration d’Indépendance des États-Unis, et troisième Président des États-Unis (1801-09), (réponse à un comité de la Danbury Baptist Association, 1802).
« Le voile est un outil d’oppression. ... Le hidjab, le niqab, la burqa, le tchador font partie d’un même projet de réduire la population féminine en esclavage. »
Salman Rushdie ( -1947)
auteur du livre Les Versets Sataniques, 1988

De nos jours, il y a trois nécessités absolues qui interpellent un gouvernement responsable et le poussent à agir.
1- Premièrement, il y a la nécessité de proclamer la laïcité et la neutralité de l’État envers toutes les religions, ce qui s’impose avec le pluralisme religieux et laïque croissant de la société québécoise moderne.
En effet, nous ne sommes plus au 19ème Siècle où le Québec était très majoritairement catholique, et avait une minorité presqu’exclusivement protestante.
Un premier effort de composer avec la nouvelle réalité du pluralisme religieux fut accompli, en 1997, avec une modification à la Constitution canadienne, laquelle permit de regrouper les commissions scolaires sur une base linguistique et non plus confessionnelle.
Une deuxième étape s’avère aujourd’hui nécessaire, et c’est celle de la proclamation de la laïcité et de la neutralité de l’État envers toutes les religions, afin que tous les citoyens se retrouvent sur un pied d’égalité face à l’État. L’État de tous n’a pas à se mêler des religions de certains.
Avec la « Charte des valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État » [projet de loi no 60] du gouvernement Marois, le Québec rejoindra nombre d’états modernes en adoptant ce principe fondamental. Ainsi, aux Etats-Unis, l’auteur de la Déclaration d’indépendance, Thomas Jefferson a évoqué l’impérieuse nécessité d’un « mur de séparation » entre l’État et les Églises. La Constitution américaine proclame d’ailleurs que le pouvoir politique provient du peuple souverain et non pas de déités quelconques.
C’est vraiment une anomalie, et presqu’un retour au 19ème Siècle, que le gouvernement fédéral dirigé par Pierre E. Trudeau ait inscrit dans le préambule de l’Acte constitutionnel de 1982 que « le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit ». Il est vrai que cet Acte constitutionnel n’a jamais été soumis directement à la population canadienne pour approbation et que le Parlement du Québec s’en est dissocié. On peut donc douter de sa légitimité démocratique, même son adoption fut légale d’un strict point de vue.
De même, en France, il y est proclamé que « la France est une République laïque » et une loi célèbre, datant de 1905, établit clairement le principe de séparation de l’État des institutions religieuses et « la nécessaire neutralité de l’État par rapport au fait religieux ».
2- Deuxièmement, le pluralisme croissant de la société québécoise rend nécessaire que l’État laïque et neutre apporte des ajustements raisonnables et équitables dans la façon dont les services publics d’un État laïque et neutre sont dispensés par les employés de l’État.
Ainsi, depuis 1983, les fonctionnaires québécois ne peuvent afficher des symboles politiques sur les lieux de travail. La Charte des valeurs québécoises exige que ce devoir de réserve chez les employés publics soit élargi aux symboles religieux ostentatoires, afin de respecter en apparence et dans les faits le principe de laïcité de l’État, mais aussi afin de respecter la liberté de conscience de tous les usagers des services publics dans une société pluraliste.
Cela devrait apparaître raisonnable à tous, car les employés d’un État laïque et neutre ne sont pas à la solde d’un parti politique ou d’une religion en particulier mais sont au service de l’ensemble de la population. Ici, il convient de le dire, « le client a toujours raison ».
La liberté d’expression et la liberté d’affichage religieux ne sont pas absolus et applicables en toutes circonstances, mais l’expérience montre plutôt qu’elles peuvent et doivent être balisées dans le respect des droits et des obligations de tous.
Il devrait être logiquement reconnu dans le cadre d’une société libre et démocratique, que chaque usager des services publics a droit de voir sa liberté de conscience respectée par celle ou celui qui travaille pour l’État, et cet employé a un devoir de réserve dans l’expression et l’affichage ostentatoire de ses convictions religieuses ou politiques dans le cadre de ses fonctions.
En effet, travailler pour l’État n’est pas un droit mais un privilège pour lequel il faut se qualifier, et un employé de l’État se doit de respecter les croyances et convictions diversifiées en matière de religion ou de politique des usagers des services publics. Il y a d’autres endroits où un ou une employé(e) de l’État peuvent exprimer leurs convictions religieuses ou politiques en toute liberté. Sur les lieux de travail, cependant, c’est la liberté de conscience de l’usager qui devrait primer. Il s’agit ici d’une limite tout à fait raisonnable et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.
Il est bon aussi de répéter que les droits et libertés de la personne humaine dans nos démocraties sont inséparables des droits et libertés d’autrui et du bien-être général. Selon le principe plusieurs fois séculaire selon lequel « la liberté des uns s’arrête là où la liberté des autres commence », il va de soi que les droits de certains ne peuvent servir à écraser les droits et libertés des autres. Le bien commun exige qu’un juste équilibre prévale.
Un juge en chef célèbre de la Cour Suprême américaine a bien exprimé ce principe démocratique fondamental en disant que « Le gouvernement civil ne peut pas laisser un groupe en particulier piétiner les autres simplement parce que leur conscience leur enjoint de le faire » [Robert H. Jackson, 1892-1954, représentant des Etats-Unis au Jugement de Nuremberg en 1945-46].
C’est pourquoi, s’il allait s’avérer que la Cour Suprême fédérale, dont les membres sont nommés exclusivement par le gouvernement fédéral, allait ne point reconnaître ces principes démocratiques de base et allait menacer d’annuler en tout ou en partie le projet de loi no 60, une fois son adoption proclamée, le Gouvernement du Québec ne devrait pas hésiter, à mon avis, à invoquer la clause dérogatoire [art. 33 de la Charte fédérale] pour affirmer la préséance de la légitimité démocratique des élus sur celle de juges nommés exclusivement par le gouvernement fédéral. C’était d’ailleurs l’opinion de l’ancien premier ministre de l’Alberta, Peter Lougheed, pour qui « Le pouvoir politique ne devrait pas avoir peur d’invoquer la clause dérogatoire pour affirmer la préséance des élus sur des juges nommés ».
3- Une troisième raison d’agir vient du besoin pratique et pressant d’encadrer les demandes d’accommodements pour des motifs religieux, culturels ou politiques, lesquelles se sont multipliées ces dernières années et ont conduit à une improvisation néfaste et pleine d’incohérente et d’arbitraire. Des règles claires et logiques en ce domaine sont devenues absolument nécessaires afin toutes et tous sachent à quoi s’attendre en ce domaine.
Encore là, de tels changements sont justifiés et sont nécessaires à cause du nouveau contexte social, fortement influencé par l’immigration de masse des dernières années.
Conclusion
Par conséquent, il faut conclure que pour des raisons de société, de démocratie et de justice, le principe de la laïcité de l’État et de sa neutralité et de sa séparation face aux religions est devenue une nécessité incontournable que nous nous devons d’appuyer.
En pratique, cela signifie qu’il faut faire en sorte que le gouvernement Marois soit réélu majoritairement le 7 avril prochain.


Le dimanche, le 9 mars 2014
Ukraine: une opération de « faux pavillon » de manière à provoquer un coup d'état ?
de Rodrigue Tremblay

« Tout l'art de la guerre est basé sur la duperie. »
Sun Tzu (c. 544– 496 av. J.C), "L'art de la guerre"

« Je ne sais pas comment on fera la Troisième Guerre mondiale, mais je sais comment on fera la quatrième : avec des bâtons et des pierres. »
Albert Einstein (1879-1955)

« La Troisième Guerre mondiale sera une guerre de la guérilla de l'information, sans division entre les militaires et la participation des civils. »
Marshall McLuhan (1911-1980)

Même si ce qui suit est de notoriété publique, il est quand même important de relier les points pour comprendre pleinement ce qui s'est passé récemment en Ukraine. En effet, les évènements semblent se dérouler selon un plan de politique élaboré au cours des dernières décennies par divers gouvernements américains.

La sous-secrétaire d’État pour l’Europe et l’Eurasie au Département d'État des États-Unis

Présentement, la figure de proue de la politique étrangère américaine d'intervention systématique dans les affaires internes d'autres pays est Victoria Nuland (1961- ), ci-devant sous-secrétaire d’État pour l’Europe et l’Eurasie au Département d'État des États-Unis. Elle occupe cette position depuis le mois de mai 2013, quoiqu'elle ait collaboré dans le passé avec des gouvernements tant démocrates que républicains.

Madame Nuland vient d'une famille dont le nom initial était Nudelman. Un de ses grands-parents fut Meyer Nudelman, membre d'une famille d'immigrants juifs qui quittèrent l'Empire russe pour New York.

Elle est l'épouse de l'historien Robert Cagan, lequel est membre du Council on Foreign Relations, et il est co-fondateur avec William Kristol du tristement célèbre projet intitulé « Projet pour le Nouveau Siècle américain » (ou PNCA en anglais), lequel fut lancé en 1997. C'est le PNCA, par exemple, qui suggéra, entre autres, que les États-Unis renversent le régime de Saddam Hussein en Irak dans le cadre d'une stratégie de contrôle mondial par les USA.

Le PNCA regroupe une coterie de penseurs néo-conservateurs qui ont fourni des justifications pour la décision américaine d'envahir militairement le pays de l'Irak en 2003.

Un de ses membres les plus en vue est Richard Perle, qui rédigea, en 1996, un rapport célèbre intitulé “A Clean Break: A New Strategy for Securing the Realm”dans lequel on retrouvait la recommandation de renverser le président irakien Saddam Hussein, de même que d'autres propositions similaires pour le Proche-Orient. Ce rapport fut remis en mains propres au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu.

Et, en 1998, Richard Perle et d'autres membres importants du PNAC—Paul Wolfowitz, R. James Woolsey, Elliot Abrams, et John Bolton—signèrent une lettre ouverte et adressée au Président Bill Clinton lui demandant de mettre en marche une politique pour renverser le Président Hussein de l'Irak.

En septembre de l'an 2000, le PNCA rendit public un rapport de 90 pages encore plus controversé sous le titre de “Rebuilding America's Defenses: Strategies, Forces, and Resources For a New Century.” Les présidents du projet étaient identifiés comme étant Donald Kagan et Gary Schmitt. Ils y exprimaient l'idée que « les États-Unis devaient viser à conserver et à consolider leur position dominante dans le monde en maintenant des forces militaires de premier ordre. »

La controverse du  "Nouveau Pearl Harbor"

Le chapitre V du rapport de l'an 2000 Rebuilding America's Defenses, portant le titre de « Comment créer une force militaire dominante pour l'avenir », contenait une phrase-clé qui se lisait comme suit : « En outre, le processus de transformation, même s'il apporte des changements révolutionnaires, est susceptible d'être long, en l'absence d'un événement catastrophique et catalyseur - comme un nouveau Pearl Harbor ».

Coïncidence ou non, une année jour pour jour plus tard, les auteurs du rapport recevaient tout cuit leur «  nouveau Pearl Harbor », avec les attentats du 11 septembre 2001, lesquels entraînèrent dans la mort 3000 américains et citoyens étrangers.

Leur principale proposition était à l'effet que les États-Unis se devaient de contourner les Nations Unies, et ils affirmaient que « la politique américaine ne peut pas continuer à être paralysée par une insistance fautive sur l'unanimité au sein du Conseil de sécurité des Nations unies », instance où les Etats-Unis doivent partager un droit de veto avec la Russie, la Chine, la France et le Royaume-Uni.

En lieu et place, ils proposèrent d'élargir l'alliance militaire qu'est l'OTAN et de la transformer d'une alliance militaire européenne de défense en une alliance militaire offensive mondiale, sous contrôle américain.

On se souviendra qu'en mars 2003, l'administration Bush-Cheney s'appuya sur cette doctrine pour lancer une invasion militaire de l'Irak, en violation de la Charte des Nations unies et en justifiant publiquement le geste avec la fabrication des « armes de destruction massive » devant supposément se retrouver en Irak, armes qui ne furent jamais découvertes.

La crise ukrainienne de 2014

Plusieurs indices pointent du doigt la sous-secrétaire d’État pour l’Europe et l’Eurasie au Département d'État des États-Unis, Victoria Nuland, comme l'éminence grise derrière le coup d'Etat en Ukraine.

Voici ce qu'elle disait le 13 Décembre 2013:
« Depuis l'indépendance de l'Ukraine en 1991, les États-Unis ont soutenu les Ukrainiens dans leur marche pour acquérir des compétences et des institutions démocratiques, car ils favorisent la participation citoyenne et la bonne gouvernance, qui sont des conditions préalables pour que l'Ukraine réalise ses aspirations européennes. Nous avons [le gouvernement des États-Unis ] investi plus de 5 milliards de dollars pour aider l'Ukraine à atteindre ces objectifs et d'autres qui assureront une Ukraine prospère, sécuritaire et démocratique ».

Madame Nuland s'est rendue célèbre en traitant l'Union européenne avec désinvolture lorsqu'elle proféra les mots "F*** l'UE", dans un entretien téléphonique, le 6 Février 2014, avec l'ambassadeur américain en Ukraine, Geoffrey R. Pyatt.

Néanmoins, les «investissements» politiques américains en Ukraine semblent avoir porté fruits parce les manifestations anti-gouvernementales se sont intensifiées considérablement, au début de 2014, culminant avec le renversement armé du gouvernement élu de Viktor Ianoukovitch, le 28 Février 2014. Cela s'est produit après que des tireurs d'élite eurent tiré des toits du carré Maïdan et abattu des manifestants et des policiers, un événement qui causa plus de 70 morts.

Les responsables occidentaux et les médias occidentaux, de même que de nombreux observateurs ignorants, furent naturellement très prompts à condamner le gouvernement Ianoukovitch renversé pour les coups de feu qui avaient tué des manifestants et des policiers à Kiev.


Toutefois, un appel téléphonique enregistré entre la responsable des affaires étrangères de l'UE, Catherine Ashton, et le ministre estonien des Affaires étrangères Urmas Paet, le 25 Février, semble plutôt indiquer le contraire. En effet, il a été allégué, à partir de preuves balistiques prélevées sur les victimes, que l'opposition pro-américaine était responsable de l'embauche de tireurs d'élite pour abattre des manifestants et des policiers à Kiev et non pas le gouvernement déchu de Viktor Ianoukovitch, que les responsables américains et les médias américains ont largement accusé. Par conséquent, le coup d'Etat ukrainien aurait pu reposer sur une opération classique de "false flag" ou de « faux pavillon ».

Si cette évaluation est confirmée, ce serait une autre guerre à être provoquée sous de faux prétextes, selon le modèle de la guerre en Irak, laquelle fut lancée en 2003 avec des fabrications similaires.

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Le 1e avril 2014
Le chef du PLQ M. Philippe Couillard fait peur
Par Rodrigue Tremblay, économiste
Professeur émérite de l’Université de Montréal, ancien ministre et auteur du livre « Le Code pour une éthique globale », [http://www.amazon.ca/Code-pour-une-éthique-globale/]

« Depuis 1763, nous n’avons plus d’histoire, sinon celle, par réfraction, que nos conquérants veulent bien nous laisser vivre, pour nous calmer. Cette tâche leur est d’autant plus facile que nous sécrétons nos propres bourreaux. »
Léon Dion (1922-1997)

« Le laquais, en imitant les vices de ses maîtres, a l’impression de s’approprier leur puissance. »

« Tous les colonisés du monde et de l’histoire se sont fait dire que leur affranchissement les conduirait à la ruine et au marasme social. »
André Langevin (1927-2009)

Avec son indécrottable conservatisme et son passéisme historique, le Dr. Philippe Couillard fait vraiment peur. Nous sommes en face d’un politicien dont la pensée politique en est une du 19ème Siècle et qui récuse la plupart des progrès que le Québec moderne a réalisés au cours des dernières décennies.

Essentiellement parce que les journalistes n’ont pas fait correctement leur travail au cours de cette curieuse de campagne électorale, les gens connaissent très mal l’actuel chef du PLQ et son idéologie politique, beaucoup plus rapprochée de celle d’un Stephen Harper que des chefs traditionnels du PLQ, à commencer par Georges-Émile Lapalme et Jean Lesage, ou de Robert Bourassa et Claude Ryan, qui tous avaient un amour pour le Québec et sa survie en tant que société francophone distincte en Amérique du nord.

Avec Philippe Couillard, en effet, le PLQ a un leader qui croit plutôt que le Québec a fait fausse route avec la Révolution tranquille, et même que tous les efforts pour construire une classe d’affaires francophone, le Québec Inc., n’auraient pas dû être entrepris parce que non conformes à son idéologie du « véritable libéralisme » classique.

Comment le sait-on ?

Parce que Philippe Couillard l’a lui-même expliqué dans un article radical qu’il publia dans le journal Le Devoir, le 5 décembre 2012, quand il voulut se distinguer des deux autres candidats dans la course à la chefferie libérale, les ex ministres Raymond Bachand et Pierre Moreau. Dans cet article de 2012 et intitulé « Revenir aux sources de l’idée libérale », M. Couillard se présente lui-même comme un libéral d’avant la Révolution tranquille qui a la nostalgie du bon vieux temps, soit celui des Wilfrid Laurier, Alexandre Taschereau et Adélard Godbout, tous selon lui de « véritables libéraux » partisans du laisser faire, de l’attentisme et de l’immobilisme gouvernemental.

Un refus obstiné de l’héritage nationaliste de grands leaders du PLQ

Le Dr. Couillard ne semble manifester aucune véritable admiration pour les architectes de la Révolution tranquille que furent les Georges-Émile Lapalme, Jean Lesage, René Lévesque, Paul Gérin-Lajoie, et même pas pour Robert Bourassa, et pour tous les autres leaders politiques du Québec depuis plus d’un demi-siècle. Avec lui, surtout pas de slogan de « Maîtres chez-nous », ou de celui de « Québec d’abord ! », ou même de faire sienne la déclaration du chef libéral Georges-Émile Lapalme qui affirmait qu’il « n’est pas de province, dans la Confédération canadienne, qui ait autant besoin de son autonomie pour vivre que la province de Québec ». Philippe Couillard n’a que faire d’une autonomie politique pour le Québec. Il aspire plutôt à se fondre dans le tout ‘Canadian’.

Georges-Émile Lapalme et Jean Lesage ont beau avoir été des figures de proue dans l’histoire du Québec, ils sont anathèmes aux yeux du bon docteur Couillard. Il se dit en rupture avec ces grands leaders libéraux québécois.

Il faudrait aussi demander au Dr. Couillard ce qu’il pense de la déclaration du Premier ministre Robert Bourassa, de juin 1970, quand ce dernier déclara que « quoi qu’on dise et qu’on fasse, le Québec est aujourd’hui et pour toujours une société libre de ses choix et capable d’assurer son développement… ». Je ne crois pas me tromper en pensant qu’il aurait le même mépris envers M. Bourassa que celui d’un Pierre Elliot Trudeau arrogant, quand celui-ci avait traité publiquement le Premier ministre du Québec de « mangeur de hot-dogs » !

Avec le Dr. Couillard, il n’aurait pas été question de reconquête économique et d’affirmation nationale, tel que mis de l’avant dans les années ’60 par Georges-Émile Lapalme, Jean Lesage, René Lévesque et Paul Gérin-Lajoie. Il n’aurait pas fallu surtout compter sur lui pour réaliser la nationalisation de l’électricité ou pour créer une Caisse des dépôts. Non. Le bon docteur aurait laissé faire, parce que conforme à son idéologie ultra conservatrice. Où serait le Québec moderne d’aujourd’hui si un Philippe Couillard avait dirigé le Québec ?

Est-ce que les partisans francophones du PLQ savent cela ? Permettez-moi d’en douter. Savent-ils qu’ils ont à leur tête une personne qui a des idées politiques très rapprochées de celle du chef conservateur fédéral Stephen Harper ?

Quelle différence y–a-t-il, en effet, entre Philippe Couillard et le conservateur Stephen Harper ? En réalité, ce sont deux conservateurs d’extrême droite, sauf que le premier s’exprime mieux en français que le second.

Les deux sont, en effet, des conservateurs dans l’âme, et ils sont des nostalgiques du bon vieux temps. Dans le cas de Harper, c’est la nostalgie de l’Empire britannique, tandis que pour Couillard c’est la nostalgie du Québec « province comme les autres » dans un Canada irréformable. Pour M. Couillard, son Canada c’est le Canada de Pierre Elliot Trudeau.

Les deux sont aussi des royalistes à tout crin et des admirateurs enthousiastes de l’Empire britannique et de la Reine d’Angleterre.

Les deux font partie du Conseil privé de la Reine à Ottawa à qui ils ont prêté allégeance.

Les deux sont des politiciens religieux qui se félicitent assurément que le gouvernement Trudeau ait inséré dans l’Acte constitutionnel de 1982, dénoncé à l’unanimité par l’Assemblée nationale du Québec, que le Canada reconnaît « la suprématie de Dieu », ce qui est contraire aux grandes constitutions américaine et française qui reconnaissent plutôt la « suprématie du peuple ».

Les deux sont convaincus que le Québec doit redevenir « une province comme les autres », sauf que M. Harper a eu au moins la décence de faire adopter une loi de principe déclarant les Québécois « une nation dans un Canada uni », même si ce geste symbolique ne conférait aucun pouvoir additionnel au gouvernement du Québec.

Messieurs Couillard et Harper sont tous les deux des partisans du laisser faire dans tous les domaines, économique, social, culturel et linguistique. Et si cela l’exige, ce sont des politiciens dont on peut s’attendre à ce qu’ils se rangent du côté des riches contre les pauvres.

L’indifférence que manifeste le chef actuel du PLQ pour la langue française et pour l’histoire du Québec tient aussi à sa vision ultra conservatrice des choses. La proposition qu’il a laissé échapper lors du deuxième débat des chefs le 27 mars dernier, à savoir d’instituer un « bilinguisme sur le plancher des usines » du Québec, relève de son inconscience de la précarité du français en Amérique du nord et de son refus de défendre la langue française en tant que langue officielle du Québec. On sent, en effet, chez Philippe Couillard l’impression nette que si la loi 101, laquelle dit que la langue officielle du Québec est le français, disparaissait, il en serait fort aise.

La conclusion est claire, à savoir que jamais le Québec n’a risqué autant qu’aujourd’hui d’avoir un Premier ministre en Philippe Couillard aussi inféodé aux forces qui veulent écraser le Québec et le faire reculer, et aussi associé à leur volonté de « remettre le Québec à sa place ».

Gardons à la mémoire que M. Couillard s’est dit prêt à signer la constitution de 1982, rejetée à l’unanimité par l’Assemblée nationale du Québec, en ne demandant en retour que le reste du Canada reconnaisse la « spécificité » du Québec, et cela sans consulter la population du Québec. Si ce politicien n’est pas dangereux pour la démocratie québécoise, je me demande qui peut bien l’être !

Par conséquent, si jamais Philippe Couillard était élu Premier ministre du Québec le 7 avril, ce sera comme si on venait d’élire un jumeau politique de Stephen Harper à la tête du Québec. Certains des anciens premiers ministres du Québec se retourneraient surement dans leur tombe !

Et le Québec pourra continuer de glisser vers cette « louisianisation »* que je craignais il n’y a pas si longtemps.

Oui, le chef du PLQ M. Philippe Couillard fait peur.

Au cours de cette dernière semaine de la campagne électorale, ce sera l’occasion pour les Québécoises et les Québécois de se demander s’ils veulent vraiment être dirigés, au cours des quatre prochaines années, par Philippe Couillard et un PLQ de plus en plus conservateur.

Il nous importe à tous de faire en sorte qu’un pareil désastre ne se produise point. Et surtout, n’allons pas bêtement faire le jeu de nos adversaires en émiettant nos votes entre plusieurs tiers partis, lesquels n’ont aucune chance de prendre le pouvoir.

De grâce, ayons un minimum de solidarité nationale !

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* La Louisianisation du Québec, dans Les grands enjeux politiques et économiques du Québec, chap. 5, Rodrigue Tremblay, Éd. Transcontinentales, 1999. [http://classiques.uqac.ca/contemporains/tremblay_rodrigue/grands_enjeux_pol_eco_qc/grands_enjeux_tdm.html]

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Le 2 mai 2014
La politique extérieure néoconservatrice d'Obama d'isoler la Russie est un échec
De Rodrigue Tremblay, économiste et humaniste
Auteur du livre “Le Code pour une éthique globale, vers une civilisation humaniste”, Éditions Liber, 2009

« Tout État est condamné à faire la politique de sa géographie ».
Napoléon Bonaparte (1769-1821)

[L'OTAN a pour objectif] «d’exclure les Russes, d’inclure les Américains et de tenir les Allemands sous la botte».
Lord Ismay, premier secrétaire général de l'OTAN

«De tous les ennemis des libertés publiques, la guerre est peut-être le plus redoutable parce qu'elle comprend et développe le germe de tous les autres ennemis.»
James Madison (1751-1836), quatrième président des USA


Les dangers qui découlent de la politique extérieure américaine depuis l'effondrement de l'Union Soviétique en 1991 devraient apparaître évidents, car c'est justement cette politique qui a provoqué la crise Ukrainienne avec toutes ses conséquences négatives pour les prochains mois et les prochaines années.

Le Président américain Barack Obama a déclaré, en effet, le lundi 3 mars 2014, que «le message que nous faisons passer aux Russes est que s'ils continuent sur leur trajectoire actuelle, nous examinerons un ensemble de mesures économiques et diplomatiques qui isoleront la Russie»

Or, c'est justement ce désir d'élargir l'OTAN et d'isoler la Russie en incorporant tous les pays limitrophes à la Russie dans l'OTAN, une stratégie d'encerclement géopolitique et militaire de la Russie, qui a provoqué ce pays, lequel s'est senti menacé dans sa sécurité nationale.

Cela est facile à comprendre.
Par exemple, que feraient les États-Unis si un empire russe hypothétique incorporait le Mexique et le Canada dans une alliance militaire ? Poser la question c'est y répondre. Pourquoi est-ce si difficile de comprendre que la meilleure façon d'avoir la guerre est de menacer un pays dans ses intérêts vitaux ?

La vérité est que l'OTAN aurait due être dissoute après l'effondrement de l'empire soviétique en 1991, dans le dessein de construire une Europe des nations, grande, démocratique et pacifique, dans la coopération économique et politique et dans la paix. Mais non ! Les États-Unis ont voulu profiter de la situation et ont exigé que tout tombe dans l'empire américain militaro-financier.
Là est la source de bien des problèmes.

Mon livre « Le nouvel empire américain », publié initialement en langue anglaise en 2003, annonçait déjà cette ambition impériale américaine et en expliquait les motifs. Le Moyen-Orient a souffert le premier de cet interventionnisme mondial.

Et maintenant, c'est l'Europe tout entière, malheureusement, qui fera les frais de l'ambition américaine débridée de George W. Bush à Barack Obama.

C'est pourquoi je crois que le Président Obama et ses conseillers néoconservateurs ne pensent pas plus loin que leur nez, comme c'était le cas pour le pas-trop-brillant George W. Bush, quand ils épousent l'idéologie impérialiste globale.

En 2008, j'avais publié un billet qui a été traduit en plusieurs langues et dans lequel j'avançais l'idée justement que l'Europe avait un intérêt vital à ce que cet instrument militaire d'un autre âge qu'est l'OTAN soit dissoute. En effet, il faut blâmer les dirigeants européens de ne pas avoir compris que l'intérêt fondamental de l'Europe n'était pas de se fondre dans l'empire américain mais plutôt de construire une Europe indépendante et solidaire. Pour ne pas avoir bien évalué cette réalité fondamentale, l'Europe risque à nouveau de replonger dans la division et les conflits ruineux, alors que les États-Unis essayeront de tirer les marrons du feu, avec leur allié de circonstance, la Grande-Bretagne.

Il n'est pas trop tard pour les dirigeants européens de rectifier le tir. Il faudrait, cependant, qu'ils aient la sagesse et le courage de dire aux néocons américains qu'ils ne sont pas les maîtres du monde et que l'Union européenne n'a nullement l'intention de poursuivre une politique agressive d'encerclement militaire de la Russie. Point à la ligne.
Et, qu'au contraire, comme tous les autres pays qui le désirent, la Russie pourrait s'associer à cette Europe des nations, grande, démocratique et pacifique, dans la coopération économique et dans la paix.
Mais cela exigerait un minimum de vision, de lucidité et d'esprit d'indépendance, ce qui semble faire défaut présentement dans bien des chancelleries.

Mais le laisser-aller actuel et l'abdication européenne qui consiste à laisser Washington tout décider en fonction des seuls intérêts de l'empire américain ne peuvent conduire l'Europe qu'au désastre.


Le mardi, le 14 janvier 2014

La Neutralité et la Laïcité de l'État Québécois : Agir pour l’avenir
Auteur du livre “Le Code pour une éthique globale, vers une civilisation humaniste”, Éditions Liber, 2009,

Résumé

Le principe de la neutralité de l'État et de la laïcité va de soi dans les sociétés modernes. —La laïcité dans une société ouverte et démocratique est le droit fondamental de respect envers autrui quelque soit son sexe, sa race ou sa couleur. Ceci signifie rejeter la misogynie institutionnalisée, la polygamie et les systèmes de ségrégation des femmes sous le couvert de la religion afin que le droit fondamental de l'égalité hommes-femmes ne soit pas un droit théorique mais fasse partie de la réalité quotidienne.
Au Québec, la question des valeurs est intimement liée à l’immigration de masse que le Gouvernement du Canada a adoptée depuis une vingtaine d’années. Le Québec est dans une situation particulière car une proportion croissante de ses immigrants provient de pays musulmans francophiles.
Selon le principe que « la liberté des uns s'arrête là où la liberté des autres commence », nos droits civiques et démocratiques, tels le droit d’opinion, le droit d’expression, le droit de croyance et le droit de pratiquer la religion de son choix, ne sont pas absolus et doivent plutôt s’exercer « dans des limites qui soient raisonnables… dans le cadre d’une société libre et démocratique » pour emprunter le langage de la Charte canadienne des droits et libertés ou, pour se référer aux termes de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, dans le respect « des droits et libertés d'autrui et du bien-être général. »
Le Québec est dans une situation particulière vis-à-vis la Loi constitutionnelle de 1982, car la nation québécoise a été, en grande partie, tenue à l’écart de son adoption. Ne serait-ce que pour cette raison, le Gouvernement du Québec, dans les dispositions accompagnant le projet de loi no 60, devrait faire sienne la recommandation de l'ancien premier ministre de l’Alberta Peter Lougheed pour qui « Le pouvoir politique ne devrait pas avoir peur d’invoquer la clause dérogatoire [art. 33] pour affirmer la préséance des élus sur des juges nommés ».


« Avec un ensemble de théories, on peut fonder une école; mais sur un ensemble de valeurs, on peut créer une culture, une civilisation, une nouvelle façon de vivre ensemble, entre nous. »
Ignazio Silone (1900-1978)
Pseudonyme de Secondino Tranquilli, homme politique et auteur Italien, (Pain et Vin, 1936)

« Le voile est un outil d’oppression. ... Le hidjab, le niqab, la burqa, le tchador font partie d’un même projet de réduire la population féminine en esclavage. »
Salman Rushdie, auteur du livre Les Versets Sataniques, 1988

« L’islam c’est l’islamisme au repos et l’islamisme, c’est l’islam en mouvement. C’est une seule et même affaire. »
Ferhat Mehenni (1951- ), chanteur né en Algérie


Immigration et  situation démographique du Québec

Il y a des principes et des valeurs qu’il ne faut pas avoir peur d'affirmer et de défendre à l’occasion : la démocratie, l’égalité entre les hommes et les femmes, la séparation de l’Église et de l’État, la liberté d’expression et de pensée, la liberté de pratiquer une religion ou de ne pas pratiquer, le respect de la loi, etc. Au vingtième siècle, les pays démocratiques ont dû souffrir deux guerres mondiales pour défendre ces principes et ces valeurs. Ce ne sont pas des choses que l'on peut traiter à la légère.

Présentement, force nous est de reconnaître que ces principes et ces valeurs entrent parfois en conflit avec des cultures étrangères, lesquelles ne sont pas toujours compatibles avec ceux et celles de la civilisation occidentale. C'est un phénomène qui est intimement lié, à mon avis, à l’immigration de masse au Canada des dernières vingt années, avec plus d’un million de nouveaux arrivants à tous les quatre ans. Pour le Québec, cela s'est traduit par un influx de plus de 200 000 arrivants tous les quatre ans. C'est comme si le Québec devait absorber tous les quatre ans une nouvelle ville de Trois-Rivières (133 000h. en 2013) et une nouvelle ville de Saguenay (Chicoutimi) (67 500 h. en 2013).

Par son grand nombre et par sa composition, cet afflux de nouveaux immigrants pose un problème pratique d'intégration, tant démographique que sociale et économique.

Dans le passé, quand l'immigration se faisait sur  une plus petite échelle, (par exemple, en 1961, le Canada a accueilli 71 689 immigrants alors qu'il en a accueilli 259 970 en l'an 2012; voir Tableau ci-après), l'intégration de nouveaux arrivants pouvait se faire en relative douceur. Au cours des dernières vingt années, cependant, le volume de l'immigration a presque doublé par rapport à la décennie 1982-91, et cela, paradoxalement, alors que le Canada adoptait en 1988 une politique de libre-échange commercial, rendant ipso facto l'importation de main-d'œuvre à bon marché beaucoup moins souhaitable qu'auparavant. D'un point de vue économique, il s'agit là d'une contradiction fondamentale dans les politiques qui n'a pas fait l'objet, à ma connaissance, de grands débats publics et j’ajouterais, ni de grands reportages.

Le Canada est présentement parmi les pays industrialisés du G8 celui dont la population s'accroît le plus rapidement, et cela en grande partie est dû à une immigration massive. En effet, en 2011-2012, le taux annuel de croissance de la population du Canada a été de 1,1 pourcent, ce qui est supérieur à celui des autres pays industrialisés dont les États-Unis (+0,7 pourcent), l'Italie (+0,3 pourcent) et la France (+0,5 pourcent). Le Canada est aussi, de tous les pays du G8, celui qui a la plus haute proportion de résidents nés à l'étranger. Il n'est donc pas surprenant que des problèmes d'intégration apparaissent, lesquels sont probablement appelés à s'intensifier dans les années à venir. L’accès aux services publics, dont ceux de la santé, risque de devenir plus problématiques.

D'un point de vue démographique, la politique d'immigration du Gouvernement du Canada a eu un effet dévastateur sur la population francophone et sur son poids relatif au Canada. Ainsi, la proportion des Canadiens de langue maternelle française a été coupée en deux, passant de 42 pourcent au début de la Confédération de 1867 à environ 22 pourcent en 2011, et est en baisse continuelle. En 1961, cette proportion était encore égale à 30,4 pourcent. Aujourd’hui, nous avons à Ottawa un gouvernement qui est indifférent aux besoins du Québec.


Tableau- Canada et Québec: Immigration internationale (1972-2012)

Année        Canada                                           Québec
                  Immigration                                   Immigration
1972           117,04 (milliers)                             18,59 (milliers)
1982           135,34                                            21,39
1992           244,28                                            48,84
2002           256,41                                            37,58
2012           259,97                                            55,05
1972-2012          7 775,01                                     1 341,11
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1972-1981          1 439,81                                          231,121
1982-1991          1 383,38                                          266,23
1992-2001          2 235,50                                          332,79
2002-2011          2 456,35                                          455,92
2012               259,97                                           55,05
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Source: Institut de la Statistique du Québec, 17 0ctobre 2013 et Statistique Canada
N.B.: milliers de personnes
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Parce que le Québec a orienté sa politique d'immigration vers le monde francophone ou francophile, un nombre croissant des quelques 50 000+ immigrants qu'il reçoit chaque année proviennent de pays musulmans. Il en est résulté à la longue que le Québec a substitué un problème d'intégration religieuse à celui de l'intégration linguistique qui le confrontait dans le passé. En effet, le nombre aidant, un certain nombre d'immigrants de religion islamique adoptent de plus en plus l'intégrisme comme point de référence identitaire, ce qui nuit à leur intégration dans la société québécoise en les plaçant en conflit avec plusieurs des grandes valeurs de la civilisation occidentale, soit en particulier la liberté et l'égalité des femmes et des hommes, la liberté de marier qui on veut, la liberté de pratiquer ou de ne pas pratiquer des religions, la séparation de l'État et des religions, etc. Il y a, pour emprunter l'expression de Samuel Huntington, un dangereux « choc des cultures ».

Le principe de la neutralité de l'État et de la laïcité est un rempart contre cette dérive vers des temps anciens quand l'esclavage, c'est-à-dire le contrôle d'une personne par une autre avait encore cours. —La laïcité dans une société ouverte et démocratique, en effet, est le droit fondamental de respect envers autrui quelque soit son sexe, sa race ou sa couleur. Ceci signifie rejeter la misogynie institutionnalisée, la polygamie et les systèmes de ségrégation des femmes sous le couvert de la religion afin que le droit fondamental de l'égalité hommes-femmes ne soit pas un droit théorique mais fasse partie de la réalité quotidienne.

Échec européen, valeurs et refus d'intégration

En Europe, il y a maintenant convergence chez des leaders politiques tels la Chancelière Angela Merkel en Allemagne, le Premier ministre David Cameron en Grande-Bretagne et l'ex-Président français Nicolas Sarkozy en France pour constater “l'échec cinglant” dans leur pays respectif de la politique du multiculturalisme et du communautarisme confessionnel. On parle de désintégration sociale et de formation de ghettos plus ou moins hermétiques, avec tous les problèmes sociaux et économiques que cela crée.

—«L’approche multiculturelle, selon laquelle nous vivrions simplement les uns à côté des autres et que nous nous apprécierions les uns les autres, est un échec cinglant», a déclaré la Chancelière Angela Merkel dans un discours prononcé en octobre 2010.

«Avec la doctrine du multiculturalisme d’État, nous avons encouragé différentes cultures à mener des vies séparées, à l’écart les unes des autres et en dehors du courant principal. Nous ne sommes pas parvenus à offrir une vision de la société à laquelle elles souhaitent appartenir», a déclaré pour sa part le Premier ministre britannique David Cameron en février 2011.

—«Le multiculturalisme est un échec. La vérité, c’est que dans toutes nos démocraties, on s’est trop préoccupé de l’identité de celui qui arrivait et pas assez de l’identité du pays qui accueillait», a constaté le Président français Nicolas Sarkozy à la télévision française, le 11 février 2011.

Avec un certain recul, nous avons l'avantage au Québec de pouvoir profiter de l'expérience européenne en la matière et d'en tirer les leçons. Il serait logique que nous ne voulions point répéter les mêmes erreurs, erreurs que nous pouvons éviter en posant les balises qui s'imposent.

S'il y a échec constaté dans des pays comme l'Allemagne, la Grande-Bretagne et la France en matière d'intégration sociale et économique de nouveaux arrivants, il est évident qu'il est encore plus difficile pour le Québec, seul état francophone en Amérique du nord, de conserver son identité, sa langue et ses valeurs, avec le statut de province qui est le sien, dans ce qui a été appelé à tort la 'Confédération canadienne'. Le besoin d'intégrer harmonieusement un nombre toujours croissant d'immigrants de différentes cultures n'est pas une question qui peut être balayée sous le tapis. La question centrale est celle de savoir comment préserver nos valeurs démocratiques et comment intégrer dans notre société des personnes qui viennent de pays non-démocratiques et où certaines formes d'intégrisme jouent encore un rôle central.
—Soulignons au passage que dans certains de ces pays, la liberté de religion n'existe tout simplement pas. En 2010, voici ce que le ministre norvégien des affaires extérieures, M. Jonas Støre, répondit au gouvernement de l'Arabie saoudite qui souhaitait financer la construction de mosquées en Norvège: « Une telle approbation aurait été paradoxale aussi longtemps que c'est un crime en Arabie saoudite d'y construire une communauté chrétienne. »

C'est dans ce contexte général qu'apparaît dans toute son acuité la nécessaire neutralité de l'État face aux religions ici même au Québec.

Dans la sphère privée, par exemple, afficher un vêtement qui fait ouvertement la promotion de l’asservissement des femmes aux mâles islamistes est déjà une première provocation dans une contrée où le principe fondamental de l’égalité hommes-femmes fait partie intégrante du consensus social. Il s’agit d’autant plus d'une provocation qu’on s’accorde pour dire qu’il ne s’agit point, dans la plupart des cas, d’une prescription religieuse comme telle, mais plutôt d’une manifestation culturelle qui n’a cours que dans certains pays, et seulement parmi les moins démocratiques et les moins civilisés de la Planète, tels l’Arabie saoudite et l’Iran. À titre d'exemple, le port du voile islamique dans les écoles et administrations publiques est interdit dans plusieurs pays à majorité musulmane, dont l'Indonésie et la Turquie.

Dans un pays démocratique, si on permettait un tel affichage chez les fonctionnaires du gouvernement dans la dispense de services publics desquels personne ne peut se soustraire, à cause de la situation de monopole de l'État, il en résulterait une double provocation, certainement assez sérieuse, selon les termes mêmes de la Charte québécoise des droits et libertés, pour menacer le respect « des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec ». Et, j’ajouterais, pas seulement les citoyens d’aujourd’hui mais aussi et surtout ceux de demain.

Ce préambule d’interprétation de la charte québécoise situe parfaitement les limites à l’application de certains droits individuels qui doivent être balisés par les droits de tout le monde.

Un juge en chef célèbre de la Cour Suprême américaine, le juge Robert H. Jackson (1892-1954), celui-là même qui a présidé les procès de Nuremberg en 1945-46, a bien situé la question de l’équilibre entre les droits individuels et les droits collectifs quand il a dit que « Le gouvernement civil ne peut pas laisser un groupe en particulier piétiner les autres simplement parce que leur conscience leur enjoint de le faire. » En effet, la liberté des uns s'arrête là où la liberté des autres commence.

Prosélytisme politique ou religieux sur lieux de travail

Nous reconnaissons tous, parmi nos droits civiques et démocratiques, le droit d’opinion, le droit d’expression, le droit de croyance et le droit de pratiquer la religion de son choix.
Cependant, il va de soi que ces droits ne sont pas absolus et qu’ils doivent plutôt s’exercer « dans des limites qui soient raisonnables… dans le cadre d’une société libre et démocratique » pour emprunter le langage de la Charte canadienne des droits et libertés ou, pour se référer aux termes de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, dans le respect « des droits et libertés d'autrui et du bien-être général. »

Par conséquent, personne ne doit s’attendre à être payé par un employeur privé ou public pour faire du prosélytisme politique ou religieux sur les lieux de travail et imposer ses croyances aux autres. Un tel supposé droit n’existe pas, nulle part.

Dans le cas de l’employeur public qu’est l’État, cette conclusion s’applique d’autant plus qu’étant le gouvernement de tous, il a l’obligation de non seulement d’être neutre politiquement et religieusement, en théorie, dans ses contacts avec les citoyens, mais qu’il doit projeter dans le concret et dans la pratique l’apparence d’une telle neutralité lorsqu’il dispense des services publics. Par extension, les employés de l’État ont ipso facto un devoir de réserve et de retenue, et ils ne peuvent activement exercer leur droit d’opinion et d’expression politique, ou leur droit de croyance et de pratiquer la religion de leur choix, sur les lieux de travail et durant les heures de travail.

Conclure autrement équivaudrait à faire des droits individuels de certains des droits absolus au mépris des droit d’opinion et de croyance d’autrui, en plus de violer la nécessaire neutralité de l’État.

En effet, les citoyens et les contribuables qui paient pour des services publics ont le droit de s’attendre à recevoir de tels services sans être violentés dans leurs propres opinions politiques ou dans leurs propres croyances ou non croyances religieuses par des employés payés par l’État, et l’État-employeur a, de son côté, non seulement le droit mais aussi le devoir de s’assurer qu’il en soit ainsi.

Ce sont là des limites raisonnables à l’application des droits individuels sur les lieux de travail et de production pour que les droits de tous soient respectés dans une société démocratique.

Philosophie politique des droits et des responsabilités

Le principe selon lequel « la liberté des uns s'arrête là où la liberté des autres commence » remonte loin dans la philosophie politique britannique car John Locke (1632-1704), dans son “Second Treatise of Civil Government”, de 1690, en faisait le fondement de la nécessaire recherche du bien commun dans une société civile et du besoin que les droits de certains n’écrasent pas les droits des autres, dans le cadre d’un système global de droits spécifiques et de responsabilités. Remarquons que Locke fut un des premiers défenseurs de la séparation de l'État et des églises.

Thomas Hobbes (1588-1679) dans sa théorie du Contrat Social a aussi établi que les droits individuels ne peuvent être illimités ou absolus, sauf peut-être en ce qui concerne le droit à la vie, mais doivent s’accompagner d’obligations morales, sans quoi la société se dirige vers le chaos. (Leviathan, 1651)

Deux siècles plus tard, John Stuart Mill (1806-1873), dans son livre “On Liberty de 1859 réaffirma le principe de l’équilibre dans les droits de Locke et de Hobbes en disant: « La seule liberté qui mérite ce nom, est celle qui nous permet de rechercher notre propre bien à notre façon, en autant que nous n’essayons pas de priver les autres des mêmes droits, ou de les empêcher d’en jouir. » [“The only freedom which deserves the name, is that of pursuing our own good in our own way, so long as we do not attempt to deprive others of theirs, or impede their efforts to obtain it. (On Liberty 1859, p. 18)]

C’est la raison pour laquelle, dans les conventions internationales concernant les droits humains, comme c’est le cas avec la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies de 1948, on a pris bien soin de préciser que « Dans l'exercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés, chacun n'est soumis qu'aux limitations établies par la loi exclusivement en vue d'assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d'autrui et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l'ordre public et du bien-être général dans une société démocratique. » (Art. 29)

L’idéologie selon laquelle certains droits individuels (au delà peut-être du droit à la vie) sont absolus et s’appliquent sans limites, en toutes circonstances, sans s’accompagner d’obligations morales, est extrême. Elle est devenue chez certains une sorte d’idolâtrie légaliste qui s’applique sans compromis, selon les termes qu’a utilisés Michael Ignatieff dans son livre “Human Rights as Politics and Idolatry, (2000). Elle a été récusée par la plupart des grands penseurs politiques.

Le Québec et la Charte canadienne des droits et libertés

J’en viens aux dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés que certains légalistes considèrent le nec plus ultra en matières de droits.

Primo, rappelons que l'Assemblée nationale du Québec a refusé d’entériner la Constitution de 1982, laquelle contient les dispositions de la dite Charte. Rappelons aussi que le 17 avril 2002, à l’occasion du vingtième anniversaire du coup de force constitutionnel fédéral, les 106 députés présents à l’Assemblée nationale du Québec ont réitéré à l’unanimité leur opposition à la Loi constitutionnelle de 1982.
—Secundo, il s’agit, faut-il le rappeler, d’un document sur laquelle ni la population québécoise, ni la population canadienne, n’a été appelée à se prononcer directement à l’occasion d’un référendum démocratique.

Il s’agit donc d’un document qui souffre d’un grand déficit démocratique, ce qui est ironique puisqu’on y proclame très haut que nous vivons dans « une société libre et démocratique ». En réalité, il s’agit d’un document qui a fait l’objet de tractations et de compromis entre des politiciens fédéraux et ceux des provinces anglophones du Canada, en l’absence des représentants du Gouvernement du Québec.

Le Québec est donc dans une situation toute particulière vis-à-vis la Loi constitutionnelle de 1982, car la nation québécoise a été de facto tenue à l’écart de son adoption. Ne serait-ce que pour cette raison, le Gouvernement du Québec, dans les dispositions accompagnant le projet de loi no 60, devrait faire sienne la recommandation de l'ancien premier ministre de l’Alberta Peter Lougheed pour qui « Le pouvoir politique ne devrait pas avoir peur d’invoquer la clause dérogatoire [art. 33] pour affirmer la préséance des élus sur des juges nommés ».

Si cette clause dérogatoire est bonne pour l’Alberta qui a participé à son adoption, elle l’est doublement pour le Gouvernement du Québec à qui on l’a imposée. Il n'y a rien de déshonorant à se soustraire légalement d'une charte qu'on nous a imposée.

Néanmoins et en dépit de ce qui précède et comme je l’ai mentionné plus haut, la Charte canadienne des droits et libertés qui en fait partie contient elle aussi une clause interprétative selon laquelle les droits et libertés individuels ne sont pas absolus et peuvent être restreints « dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique », (Chap. I).

J'en conclus que le Gouvernement du Québec a le droit légitime et démocratique de proclamer le principe de neutralité de l'État et de décréter que l’affichage de symboles ostentatoires par ses employés est contraire à ce principe et qu'un tel affichage ostentatoire n’est pas permis, que ce soit pour des raisons politiques, culturelles ou religieuses. Ceci est encore plus évident quand il s’agit de symboles ou de vêtements qui font ostensiblement la promotion de l’asservissement des femmes aux hommes, ce qui va, de plus, à l’encontre du principe solennel de l’égalité entre les hommes et les femmes tel que proclamé dans le Préambule de la Charte québécoise, comme un des fondements « de la justice, de la liberté et de la paix. »

Agir autrement serait certainement contraire au maintien de « la paix et l'ordre dans une société démocratique » où les droits de certains ne doivent pas prévaloir sur ceux de tous.

Un gouvernement ne peut s’en remettre uniquement au strict côté légaliste des choses. Il doit aussi, et peut-être surtout, considérer le côté social et économique des choses. Il est bien reconnu que la création de ghettos dans une société est cause de désintégration sociale et de déclin économique.

Conclusion générale

Je recommanderais donc aux membres du Gouvernement et aux membres de l’Assemblée nationale, et je le fais non seulement à titre de citoyen mais aussi à titre d’ancien membre de cette Assemblée, de ne pas se faire complices de l’intégrisme culturel ou religieux, lequel renie ouvertement et d’une façon provocante la plupart de nos principes démocratiques et nos valeurs de civilisation. Se référer à notre principe de tolérance pour miner nos propres valeurs démocratiques relèverait d’une sorte d’aveuglement volontaire. Si cela allait être le cas, ce sont nos enfants qui en payeront le prix dans les décennies à venir.

Le Premier ministre Robert Bourassa s'est bien exprimé en 1990 quand il a dit « Quoi qu'on dise, quoi qu'on fasse, le Québec est libre de son destin. »
S’il y a un temps, pour reprendre aussi les mots du Premier ministre Jean Lesage, de proclamer le “Maîtres chez-nous, c’est bien maintenant.

C’est le temps pour le Parlement du Québec, en matières de valeurs collectives, d'envoyer un message clair, non équivoque, et qui soit bien compris par tous, et cela avant que la situation ne dégénère et ne devienne ingouvernable.
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N.B.: Mémoire soumis à la Commission des Institutions de l'Assemblée nationale du Québec pour ses audiences sur le Projet de loi 60, le 14 janvier 2014, par:
Rodrigue Tremblay, Ph.D., économiste
Professeur émérite, Université de Montréal
Ancien ministre
Auteur du livre  “Le Code pour une éthique globale, vers une civilisation humaniste”, Éditions Liber, 2009