_______________________________
Jeudi, le
1er août, 2019
Le capitalisme financier déréglé : taux d'intérêt extrêmement
bas et bulles des prix
(Auteur du livre « Le
nouvel empire américain », du
livre « Le
Code pour une éthique globale » et de son récent livre « La
régression tranquille du Québec, 1980-2018 »)
« La
première panacée pour une nation mal dirigée est l'inflation monétaire; la seconde est la guerre.
Les deux apportent une prospérité temporaire; les deux apportent une
destruction permanente. Et les deux sont le refuge des opportunistes politiques
et économiques. » Ernest
Hemingway (1899-1961), (septembre 1932)
« Les
armées, les dettes et les taxes sont des instruments prouvés pour placer le
plus grand nombre sous la domination du petit nombre. » James Madison (1751-1836), 4ème Président
des États-Unis, (20 avril 1795)
« Si le peuple américain autorise un
jour les banques privées à contrôler l'émission de la monnaie, d'abord par
l'inflation, puis par la déflation, les banques et les entreprises qui se développeront
autour d’elles spolieront les citoyens de leurs biens jusqu'à ce que leurs
enfants se réveilleront sans-abri
sur le continent que leurs pères ont conquis. » Thomas Jefferson,
(1743-1826), 3ème président des États-Unis, 1802)
"Nous
savons tous aujourd’hui que lorsque le gouvernement
est dirigé par les forces organisées de l'argent, c’est la même chose que s’il était dirigé par
la mafia." Franklin
D. Roosevelt (1882-1945), 32ème président américain, 1933-1945, (lors d’un
discours prononcé au Madison Square Garden, le 31 octobre 1936)
Ne prenez pas panique tout de suite,
mais une nouvelle lubie monétaire fait présentement des ravages dans certains
pays. C’est la nouvelle doctrine monétaire dite ‘non
conventionnelle’ qu’une poignée de banques centrales
ont adoptée dans le but d’abaisser les taux d’intérêt à des niveaux extrêmement
bas, et même de les pousser en territoire négatif.
En effet, on observe depuis quelque
temps qu’un petit groupe de banques centrales et leurs gouvernements ont
tellement abaissé les taux d’intérêt à court terme qu’aujourd'hui, certains
pays font face à des taux d'intérêt nominaux négatifs et, lorsque l’inflation
est prise en compte, avec des taux
d'intérêt réels encore plus négatifs.
Pourquoi une telle politique monétaire non
conventionnelle ? les
raisons invoquées visent, disent-elles, à éviter que leur économie ne soit
autrement confrontée à une monnaie surévaluée et à un fardeau de la dette trop
lourd, ce qui pourrait nuire à la croissance économique.
Comment une telle chose est-elle
possible? Comment une banque centrale peut-elle ramener les taux d’intérêt à zéro
ou même en dessous de zéro, et quelles en seront les conséquences ? Pour
ce faire, une banque centrale peut décider d’offrir des rendements nuls ou négatifs
aux banques commerciales qui déposent leurs réserves excédentaires chez elle, dans
le cadre de son programme de facilités de dépôts. C'est une question complexe,
mais cela se produit essentiellement lorsque les banques commerciales disposent
de liquidités qu’elles ont du mal à prêter de manière rentable à des
emprunteurs privés. Elles se voient alors dans l’obligation de chercher d’autres
avenues de placement, comme celle d’acheter des obligations d’État et d’autres titres sur le
marché public. Ceci fait hausser le prix de ces titres et abaisser les taux d’intérêt.
On
peut se demander pourquoi les banques commerciales sont confrontées à des excédents
de trésorerie, au-delà de ce qui est requis pour satisfaire la demande privée
de crédit. Pour répondre à cette question, il faut remonter à la crise
financière internationale de 2007 et des années suivantes.
Tout
débuta avec la crise dite des ‘subprimes’, laquelle fit son apparition à la fin de l’été 2007, lorsqu’un
certain nombre de grandes banques, tant aux États-Unis que dans d’autres
centres financiers, se retrouvèrent au bord de la faillite. Elles furent victimes
d’une nouvelle pratique bancaire, laquelle consistait à titriser des créances risquées, mais
fort rentables, telles les créances hypothécaires et d’autres créances du même
genre, en les regroupant dans de nouveaux titres ésotériques. Mais
lorsque le marché de l’immobilier s'effondra, et avec lui les créances
hypothécaires, les titres titrisés perdirent beaucoup de leur valeur et les
banques se retrouvèrent en difficulté.
Afin
d’empêcher les grandes banques de faire faillite, la banque centrale américaine,
c’est-à-dire la Fed, se mit à imprimer de la nouvelle monnaie à hauteur de plus
de trois milles milliards de dollars pour les rescaper. La Fed qualifia sa grande
générosité d’« Assouplissement
Quantitatif » [ou en anglais, de «Quantitative Easing»
(QE)], une expression en apparence anodine et inoffensive de manière à
couvrir la plus grande expansion de la base monétaire jamais enregistrée aux États-Unis. La base monétaire, en effet, est
en grande partie le reflet du bilan
de la Fed (c.-à-d. la contrepartie des avoirs monétaires détenus par les banques
commerciales auprès de la banque centrale), et
de la monnaie papier et métallique en circulation.
— La
Fed s’est servi de la nouvelle monnaie pour acheter des obligations du Trésor
américain, mais elle s’en est surtout servie pour acheter de grandes quantités
de créances douteuses qui pesaient lourd sur le bilan des grandes banques commerciales.
Et elle le fit pendant six ans, de 2008 jusqu’à la fin de 2014, en trois cycles
successifs d’impression de nouvel argent.
—
Vu dans une perspective historique, ce fut vraiment une orgie de création monétaire. — Ceci
fut toutefois fait à partir du principe que les banques commerciales
laisseraient la plupart de leurs réserves excédentaires nouvellement créées dans
les coffres de la banque centrale. Néanmoins, les liquidités excédentaires dans
le système firent quand même grimper le prix des obligations et ceux des autres
titres, en faisant baisser toute la panoplie des taux d’intérêt. en effet, c’est un fait que les taux d’intérêt
ont continuellement baissé depuis. — La Fed a déclaré qu’elle poursuivait une
politique de « relance » de l’économie. En réalité, on pourrait dire
plus exactement que ce qu’elle cherchait surtout à faire, c’était de « renflouer » les bilans amochés des grandes
banques commerciales.
—
Au cours de cette période, le bilan total de la Fed a explosé, passant d’environ
1 000 milliards de dollars en 2008, [N. B. : Il est habituellement
constitué principalement de titres du Trésor et son revenu net d’intérêts est
reversé au Trésor public], à environ 4 500 milliards de dollars en 2017, un
grossissement de 350 pourcent.
Le bilan total de la Fed est constitué aujourd’hui de titres du Trésor
à hauteur de 55 pourcent, tandis que les titres adossés à des créances hypothécaires
et à d’autres créances qu’elle a rachetés des banques commerciales représentent
environ 40 pourcent — les avoirs en or et d’autres avoirs expliquent le reste.
Un point important est le fait que le bilan de la Fed avant 2008 représentait
environ 6 pourcent de la production annuelle américaine (PIB), mais il a
atteint 25 pourcent en 2014. Il a depuis légèrement reculé à 20 pourcent du
PIB, et la Fed a déjà annoncé qu’elle souhaiterait « normaliser » son bilan, c’est-à-dire qu’elle vise à le ramener à un volume réduit,
afin d’éviter une inflation future et surtout, afin d’être en mesure de faire
face à toute éventualité.
Faisons maintenant une rétrospection
rapide sur l’état actuel de la situation économique.
Arrivée de Donald Trump à la Maison blanche en 2017 et sa
politique d’une forte augmentation de la dette publique et ses pressions sur la
Fed pour faire baisser les taux d’intérêt, possiblement jusqu’au niveau zéro
La dernière récession
économique aux États-Unis,
(surnommée la Grande Récession), a été la pire que l’on ait observé depuis la
Grande Dépression des années ‘30. Elle a commencé en décembre 2007, et elle a
pris fin en juin 2009. La présente reprise économique est toutefois la plus
longue de l’histoire américaine, avec une croissance soutenue de plus de 10
ans, à ce jour.
La politique économique
de l’administration Trump s’est distinguée par son protectionnisme commercial, par
ses mesures anti immigration, par des baisses importantes d’impôts, surtout au
profit des grandes entreprises et des grandes banques, par des déficits publics
annuels qui dépassent mille milliards de dollars, par une politique monétaire expansionniste
et par une hausse de 13 pourcent de la dette
publique.
[N. B.: Pour
information, la dette du gouvernement américain s’élevait à 19,95 milles milliards
de dollars au 20 janvier 2017, quand Donald Trump entra à la Maison Blanche. Au 31 juillet, 2019, le niveau de la dette
publique étasunienne atteignait 22.54 milles milliards de dollars.
Avec un tel niveau d’endettement,
on peut craindre que le service de la dette devienne insupportable, surtout si
les taux d’intérêts allaient augmenter. Face à pareille éventualité, les
gouvernements et les banques centrales peuvent être tentés d’abaisser artificiellement
les taux d’intérêt afin d’alléger le fardeau du service de la dette
(essentiellement les paiements d’intérêts sur les obligations d’État). Cela équivaut
à prélever une taxe
d’inflation sur
les avoirs des épargnants et des créanciers.
En effet, c'est effectivement ce que
la Fed a fait. En abaissant artificiellement les taux d’intérêt au-dessous du
taux d’inflation et de la prime de risque, elle a fait en sorte que le Trésor
américain a pu payer des taux
d’intérêt réels négatifs sur la dette publique. Quand le
taux d’inflation est supérieur au taux d’intérêt nominal payé, le gouvernement
des États-Unis se trouve à jouir d’un avantage budgétaire aux dépens de ses créanciers.
Si les taux d’intérêt devaient tomber
à zéro, par exemple, ou même au-dessous de zéro, (comme c’est actuellement le
cas au Japon, un pays qui est aux prises depuis vingt ans avec des taux d’intérêt
négatifs, et dans certains pays européens aujourd’hui, tels que la Suisse, l’Allemagne, les
Pays-Bas, la France, la Suède, etc.), les épargnants, les retraités, les fonds
de pension, les compagnies d’assurance et les prêteurs en général sortent
grands perdants.
Ainsi, dans les pays où
les obligations d’État à dix ans, par exemple, génèrent un rendement nul ou négatif,
cela signifie que le principe
de l’intérêt composé a de facto été aboli
pour les investisseurs. Cela pourrait avoir de graves conséquences pour les épargnants,
les retraités et les fonds de pension.
Cependant,
lorsque c’est la banque centrale qui achète des obligations d’État, en émettant
de la nouvelle monnaie, on parle alors d’une opération de « monétisation
de la dette ». Si cela se
fait à grande échelle, cela peut éventuellement conduire à une inflation
galopante, voire à une hyperinflation.
Il
convient également de noter que lorsque les banques centrales abaissent les
taux d’intérêt à des niveaux extrêmement bas ou à des niveaux négatifs, les
investisseurs n’ont d’autre choix que d’acheter des actifs offrant des
rendements positifs, tels que des actions de sociétés ou des titres de propriété
immobilière. On doit alors s’attendre à ce que des bulles de prix se forment
sur les marchés boursier et immobilier. De tels investissements deviennent un
refuge et une protection contre les rendements négatifs sur les titres à revenu
fixe. Au cours de l’histoire, lorsque cela s’est produit, des Krachs
boursiers et des paniques
financières ont suivi.
Un retour aux années ’20 ?
La situation économique
d’aujourd’hui rappelle, sous certains aspects, celle de l’économie
américaine dans les années ‘20, la période qui précéda la Grande Dépression des années ‘30. En effet, l’économie américaine
avait progressé au rythme
annuel de 2,7 pourcent, entre 1920
et 1929. Le plein emploi régnait, tandis que l’inflation était stable.
En outre, on avait
prolongé la période de croissance économique en adoptant des mesures
protectionnistes telles que le tarif
Fordney-McCumber de
1922. Lors de la campagne présidentielle de 1928, de même, le candidat républicain
à la présidence, Herbert Hoover (1874-1964), proposa des hausses tarifaires sur
les importations. Une fois élu, il réalisa sa promesse et il fit adopter le très
critiqué tarif
Smoot-Hawley de
1930, que l’on soupçonne d’avoir accélérée la dépression économique mondiale. L’économie
bénéficia d’un accroissement des dépenses en travaux publics et par des réductions
d’impôts à trois occasions, soit en 1921, en 1924 et en 1925.
De plus, le président Calvin Coolidge
(1872-1933) parapha une loi anti immigration appelée la Loi de
1924 sur l'immigration, (également appelée la loi
Johnson-Reed), dont le but principal était d’empêcher l’immigration aux États-Unis
de personnes venant d’Asie. Il y avait aussi de l’hostilité envers les Américains
catholiques, plusieurs d’origine italienne, envers les Juifs et envers les
Noirs.
— C’étaient les "années
folles".
Lorsque l’on considère les nombreuses
similitudes qui existent entre les deux périodes, au plan politique, social et économique,
cela soulève quelques questions : Est-ce que l’histoire est en train de se
répéter ? Est-ce que les excès que l’on observe aujourd’hui pourraient
conduire à une reddition des comptes ? Est-ce que les banques centrales et les gouvernements
du jour pourraient précipiter l’économie américaine et l’économie mondiale dans
un grand marasme économique et financier ? — Protectionnisme commercial, réductions
massives d’impôts, fortes augmentations de la dette publique, des mesures anti immigration,
une déréglementation touts azimuts… etc.
— C’est du « déjà vu » !
Conclusion
les États-Unis sont sur le bord d’une trappe de taux d’intérêt
artificiellement bas. En effet, le président de la Fed, Jerome Powell, semble
avoir été fortement influencé par les tactiques d’intimidation de Donald Trump
pour faire abaisser les taux d’intérêt. Par conséquent, même si l’économie américaine
opère présentement à plein régime, en ce qui concerne l’emploi — en partie la conséquence démographique du départ à la retraite, en
masse, des ‘baby boomers’ — les politiques budgétaires et monétaires n’en sont pas moins
fortement pro cycliques et elles sont très expansionnistes.
Ceci est fort inhabituel
en pareilles circonstances, et c’est là le fruit d’une gouvernance qui viole les
principes de base d’une bonne gestion économique. En effet, on doit se méfier
de telles pratiques
financières imprudentes,
lesquelles sont susceptibles de créer des bulles financières qui sont condamnées,
tôt ou tard, à éclater.
En réalité, de telles
politiques pro cycliques, dans le présent contexte, sont un signe que le gouvernement
en place cherche avant tout à engranger des gains économiques et politiques à
court terme, au prix de difficultés à venir, à moyen et à long terme.
___________________________________________________________
Le Prof. Rodrigue Tremblay est professeur émérite
d’économie à l’Université de Montréal et lauréat du Prix Richard-Arès pour le meilleur
essai en 2018 « La régression tranquille du Québec, 1980-2018 », (Fides).
On peut le contacter à l’adresse suivante : rodrigue.tremblay1@gmail.com.
Il est l’auteur du livre du livre « Le nouvel empire américain » et du livre « Le Code pour une éthique globale »,
de même que de son dernier livre publié par les Éditions Fides et intitulé « La régression tranquille du Québec, 1980-2018 ».
Site Internet de l'auteur : http://rodriguetremblay.blogspot.com/
Pour s’enregistrer et recevoir les articles par courriel, écrire « souscrire » à :
Pour se désinscrire, écrire « désinscrire »
à :
Prière de faire suivre l’article :
Mis en ligne, jeudi, le 1er août, 2019.
______________________________________________________________
© 2019 Prof. Rodrigue Tremblay