LA LOI 21



Dimanche, le 10 novembre, 2019
La Loi 21 sur la laïcité : Le Québec contre le ROC
(Auteur du livre « Le nouvel empire américain »du livre « Le Code pour une éthique globale » et de son récent livre « La régression tranquille du Québec, 1980-2018 »)

« La laïcité est… une tentative de résoudre le long et destructeur combat de l'Église et de l'État. La séparation, adoptée par les révolutions américaine et française et par d’autres pays par la suite, vise à éviter deux choses: l'utilisation de la religion par l'État pour renforcer et étendre son autorité; et l'utilisation du pouvoir de l'État par le clergé pour imposer ses doctrines et ses règles aux autres. »
Bernard Lewis (1916-2018), historien américano-britannique à l’Université de Princeton, (2003).

Récemment, le journal le Devoir rapportait une attaque répétée du premier ministre du Manitoba, Brian Pallister, contre la Loi 21 sur la laïcité du gouvernement québécois. (Voir : Le Devoir, 8 novembre 2019)

Pourrait-on suggérer à M. Pallister de cesser de se faire du capital politique sur le dos du Québec et lui dire que son temps serait mieux employé s’il s’occupait un peu plus du sort que réserve sa province aux Métis. On pourrait aussi lui rappeler que sa province n’a pas de leçons à donner au Québec en matière de droits humains, quand on sait que le Manitoba a suspendu les droits des francophones d’avoir des écoles françaises, en 1890 et en 1896.

Nombreux, en effet, sont ceux au Canada anglais qui semblent ignorer que le Québec a un système légal différent du reste du Canada, et cela depuis 1774. Aussi, qu’en 1998, le Québec a obtenu un amendement à la loi constitutionnelle canadienne, suite auquel le gouvernement québécois a mis en place des commissions scolaires linguistiques, donc laïques, en remplacement des commissions scolaires confessionnelles.

Le Québec n’est pas une province comme les autres

Le Québec est une des provinces fondatrices de la Confédération de 1867, et la seule à majorité francophone, et il n’est pas une province comme les autres, (n’en déplaise à certains!), ayant des droits linguistiques et légaux différents des provinces à majorité anglophone depuis plusieurs siècles. À ce sujet, il est possible que l’histoire soit mal enseignée dans certaines écoles et que les immigrants ne connaissent pas suffisamment la réalité historique particulière du Canada et du Québec.

Par exemple, il ne faut pas oublier que les provinces anglophones sont sous le régime légal britannique de la Common Law, alors que le Québec est sous le régime du Code civil français.

Or, et cela remonte à la Révolution française de 1789, la séparation de l’église et de l’État est un principe démocratique fondamental dans le Code civil français. Dans la Common Law, parce que la Reine ou le Roi anglais est aussi le chef de l’Église anglicane, ce principe démocratique de séparer la politique de la religion n’est pas aussi fort. Certains s’y accommodent peut-être un peu trop et acceptent l’idée rétrograde que le pouvoir dans un pays relève de Dieu et de la Reine et de sa religion d’État, mais non pas du peuple souverain. Un anachronisme s’il en est un !

Le Canada : une démocratie ou une monarchie constitutionnelle !

Sur ce point, nous croyons que le système français est plus démocratique et plus moderne que le système britannique archaïque qui conserve la monarchie en tant que dépositaire du pouvoir politique, et dont le principe repose sur l’idée que ce pouvoir ne relève pas du peuple souverain mais d’une déité abstraite. Ce n’est donc pas le Québec — dont le régime du droit civil français remonte à l’Acte de Québec de 1774 — qui est en retard en matière de démocratie, mais bien le reste du Canada, encore empêtré avec une royauté étrangère en tant que chef de l’État, (en plus d’avoir un Sénat non élu!).

Comparé à d’autres pays de l’Occident, le Canada pourrait sembler un peu moins démocratique. Par exemple, l’Acte constitutionnel de 1982 ne fut jamais adopté directement par la population par référendum. Il a été plutôt l’œuvre d’une poignée de politiciens, temporairement en poste, et il ne se réfère qu’à la seule conception anglo-canadienne des droits individuels, au détriment des droits collectifs.

En effet, en période de crise, le Canada est dans les faits une monarchie constitutionnelle. Elliott Trudeau, en 1982, a pris bien soin d’inscrire dans sa constitution imposée au Québec, sans référendum, que le pouvoir politique relevait de Dieu et de son représentant sur la Terre, la royauté britannique.

Plusieurs au Canada ignorent que l’autorité principale au Canada n’est pas le Conseil des ministres, mais bien le Conseil Privé de la Reine, un organisme formé de dignitaires présents et passés, dont la fonction est de conseiller la Reine ou son représentant, le Gouverneur général, lequel n’est pas élu et n’est pas redevable à la population. Qui est en retard ici ? Le Québec avec son gouvernement laïc qui respecte les croyances de tous, ou le ROC avec son Conseil Privé redevable à la Reine d’Angleterre ?

La laïcité est gage de démocratie et de liberté

La laïcité de l’État moderne est une grande valeur démocratique. Elle met tous les citoyens sur le même pied. Elle garantit aux croyants et aux non-croyants le même droit à la liberté d'expression de leurs convictions. Elle assure aussi bien le droit d’avoir ou de ne pas avoir de religion, d’en changer ou de ne plus en avoir.

Il y a plusieurs pays européens, membres ou non de l’Union européenne, qui ont une loi semblable à celle du Québec afin de proclamer la laïcité de l’État et sa neutralité envers les croyances de chacun. C’est ce que garantit le principe de la séparation de l’Église et de l’État, et la laïcité de l’État dans ses rapports avec les citoyens.

1- En France, par exemple, la "loi de 1905" garanti la séparation entre les Églises et lÉtat. Ce principe est représenté par la formule : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».
2- Aux États-Unis, Le premier amendement de la Constitution de 1787 proclame la séparation de lÉglise et de l'État et garantit la liberté de culte. Dans la Constitution américaine et dans la Déclaration des Droits, il nest jamais fait référence à Dieu. La devise originelle des États-Unis est "E pluribus unum" ("De plusieurs, nous faisons un").
3- En Italie, le catholicisme n’est plus religion d’État depuis 1948 d'après la Constitution, même si le pays est largement catholique.
4- Au Portugal, la Constitution affirme que l’État est laïc. Même si le pays est signataire d’un concordat avec le Vatican où est garanti "le caractère exceptionnel des relations entre le Portugal et l’Église catholique".
5- En Espagne, depuis la Constitution de 1978 et labrogation du catholicisme comme religion officielle, lEspagne est un État laïc séparé de lÉglise.
6- En Suisse, la séparation de lÉglise et de lÉtat existe au niveau fédéral depuis 1848, même si certains cantons peuvent accorder un statut de droit public à certains cultes.
Etc.

La propagande contre le Québec doit cesser

Tout cela pour dire qu’il y a une propagande malicieuse, lancée essentiellement par des médias de Toronto contre le Québec et contre le gouvernement du Québec, concernant la laïcité de l’État québécois. Cette fronde est menée par le Globe & Mail, un journal anti francophone depuis son fondateur George Brown, et par le National Post, (voir l’éditorial du Globe & Mail, 28 octobre 2019 et un article de Chris Selley dans le National Post du 6 novembre 2019).

En réalité, la Loi 21 est très modérée et elle s’applique à tous. Elle respecte les droits acquis et elle ne s’applique qu’aux seuls employés de l’État en position d’autorité (juges, policiers, enseignants) et qui sont en contact direct avec les usagers. Ces derniers ont un droit inaliénable de ne pas être soumis à de la propagande politique ou religieuse de la part d’employés de l’État, lorsqu’ils reçoivent des services publics. Une très grande majorité de la population québécoise appuie cette loi démocratique. Plusieurs au Canada anglais l’appuient aussi, mais les médias n’en font pas mention.

L'immigration massive est, en partie, une politique visant à noyer les Canadiens français

Il faut rajouter que le Québec et les Canadiens français en général sont aussi visés par la politique du PLC de J. Trudeau d’une immigration massive, laquelle est, au prorata, le double de celle des États-Unis. En plus de vouloir ‘noyer’ les francophones dans une mer anglophone, avec des immigrants qui vont massivement vers l’anglais, cela amène des milliers d’islamistes nouvellement arrivés à exiger des droits et des accommodements religieux comme s’ils vivaient au Canada depuis des siècles.

À titre d’exemple, dans plusieurs pays islamiques, tels l’Égypte, la Tunisie ou la Malaisie, le voile islamique est totalement ou partiellement défendu. Mais arrivées au Canada, certaines femmes islamiques, largement financées par des pays comme l’Arabie saoudite et le Qatar, se servent des tribunaux et de la Charte fédérale pour imposer leurs mœurs au Québec. Cela peut être une importante source de désintégration sociale et de conflits politiques et sociaux.


Il y aurait beaucoup d’autres choses à dire, mais ce qui précède illustre combien certains médias anglophones sont mal renseignés, et possiblement aussi sont de mauvaise foi, sur la question de la laïcité de l’État québécois. Le Québec est la seule société à majorité francophone en Amérique du Nord et elle a un droit inaliénable de prendre les mesures nécessaires à sa survivance.

Conclusion

Certains, à Toronto, devraient abandonner l’idée de faire du Québec une colonie du Canada anglais. Ils devraient aussi s’interroger si cela est une si bonne idée de faire du Canada une copie carbone des États-Unis !

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Rodrigue Tremblay, professeur émérite de sciences économiques de l’Université de Montréal et ancien ministre de l’Industrie et du Commerce dans le gouvernement québécois. Son dernier ouvrage s'intitule « La régression tranquille du Québec, 1980-2018 », Fides, 2018, 343 p.
Site Internet de l’auteur : http://rodriguetremblay.blogspot.com/


Donald Trump : Une tragédie américaine




Mercredi, le 23 octobre, 2019
Donald Trump: Une tragédie américaine qui ne concerne pas seulement les États-Unis, mais le monde entier
(Auteur du livre « Le nouvel empire américain », du livre « Le Code pour une éthique globale » et de son récent livre « La régression tranquille du Québec, 1980-2018 »)

« Si ce gouvernement [américain] devenait une tyrannie, si un dictateur s’imposait un jour dans ce pays, l’avance technologique conférée aux services du renseignement du gouvernement pourrait lui permettre d'imposer une tyrannie totale, et il n'y aurait aucun moyen de se défendre parce que les efforts les plus prudents pour organiser la résistance contre le gouvernement, même faits en privé, par les citoyens eux-mêmes, seraient connus du gouvernement. »
Frank Church (1924-1984), avocat et sénateur américain, président d’un comité sénatorial, (dans une interview avec l'émission télévisée 'Meet The Press', le 17 août, 1975)

« J'ai été Directeur de la CIA. — Nous avons menti, nous avons triché et nous avons volé. … nous suivions des cours avancés de formation. Cela vous rappelle la gloire de l'expérience américaine. »
Mike Pompeo (1963- ), ancien directeur de la CIA et présentement secrétaire d'État dans le gouvernement de Donald Trump, (enregistré en avril 2019, alors qu'il parlait à l’Université de Texas A & M)

« Vous devez savoir que j’ai l’appui de la police, de l’armée, des « Motards pour Trump ». —j’ai des gens très durs derrière moi, mais ils ont été gentils jusqu’à maintenant, — mais seulement jusqu’à ce qu’on les pousse au-delà d’un certain point, et, dans un tel cas, ce sera très mauvais, très mauvais. »
Donald Trump (1946-), 45ème président américain et propriétaire américain d'hôtels et de casinos, (déclaration faite au cours d'une interview exclusive avec l’agence Breitbart News, à la Maison Blanche, et publiée le mercredi 13 mars, 2019)

L’élection de Donald Trump, un homme d’affaires d’extrême droite de New York, en novembre 2016, s’est révélée être une tragédie pour les États-Unis et pour le monde entier, alors que les bévues, les gaffes et les désastres se multiplient sous sa gouvernance inexpérimentée, impétueuse et incompétente.

Au plan politique, jamais dans toute son histoire, les États-Unis n’ont eu un président qui rejette si cavalièrement les principes de base de la Constitution américaine, à savoir la séparation des pouvoirs et le système de paliers gouvernementaux égaux, et qui rejette le principe fondamental de la démocratie, qui stipule qu’aucun citoyen n’est au dessus de la loi. Il s’agit là d’un précédent dangereux, lequel peut conduire aux pires excès. Depuis l’arrivée au pouvoir de M. Trump, le vendredi 20 janvier 2017, il tient un langage et il se comporte comme s’il se croyait au-dessus de toutes les lois.

Ainsi, on a pu assister, de sa part, à une longue série de politiques chaotiques, impulsives, improvisées et incohérentes, — du jamais vu auparavant. Cela a été le cas, non seulement en matière de politiques économiques, de finances publiques et de commerce international, mais aussi dans le domaine de la politique étrangère. On peut dire que cette dernière s’est révélée incroyablement mauvaise et elle a terni l’image des États-Unis à travers le monde. C’est également le cas dans le domaine des politiques sociales, certaines plus néfastes que d’autres, lesquelles ont eu des conséquences négatives pour la cohésion sociale. Les politiques de Trump ont aussi intensifié les disparités de revenus et de richesses aux États-Unis, un retour à la décennie des années ’20.

Considérons quelques-unes de ces politiques :

1-            La dangereuse obsession de Trump pour le marché boursier

Le marché boursier n’est pas l’économie. En fait, la plupart des récessions et des dépressions économiques ont commencé, dans le passé, lorsque le marché boursier était à son plus haut ou se trouvait en situation de bulle financière, même si il était sur le point de s’effondrer. Les krachs boursiers sont très souvent le résultat de mauvaises politiques économiques, réglementaires ou monétaires, lesquelles encouragent une spéculation effrénée et conduisent à des crises et paniques financières.

Ceci s’est produit, par exemple, avant la longue dépression de 1873-1879, avant la crise financière de 1920-1921 et avant la Grande Dépression des années ‘30, et avant d’autres récessions économiques importantes, semblables à la récente Grande Récession de 2007-2009.


Ce n’est pas une mince affaire. Tout dirigeant imbécile peut pousser le marché boursier à des niveaux insoutenables. Il suffit simplement d’imprimer beaucoup de monnaie et/ou de s’endetter à fonds perdus. Certains pays du tiers monde le font encore, même de nos jours. — Mais, lorsque le reste de l’économie change de direction, il s’en suit de graves conséquences économiques. Et cela ne nuira pas seulement à l’économie américaine ; l’économie mondiale sera elle aussi sévèrement touchée.

2-            Un problème américain qui s’avère aussi être un problème mondial

Si le ‘cas Trump’ n’était qu’un problème interne aux États-Unis, l’espoir serait que les systèmes politique et juridique des États-Unis puissent être en mesure de le gérer. Cependant, non seulement l'homme prétend être au-dessus des lois américaines, mais il parle et agit comme s’il n’y avait pas de droit international. C’est pourquoi il s’agit d’un problème international, et pas seulement américain.

M. Trump semble se croire une sorte de « roi du monde » auto-proclamé. Un jour, il menace de « détruire totalement » et d’anéantir un pays étranger, comme il l’a fait pour la Corée du Nord et pour l’Afghanistan. Un autre jour, il se déclare prêt à « détruire l'économie » d’un autre pays étranger, comme il l’a fait récemment en parlant de l’économie turque… etc. —Il faut être cinglé pour parler de la sorte.

Qu’un tel individu en position d’autorité, mais avec si peu de capacités mentales et de jugement, surgisse sur la scène politique internationale, au XXIe siècle, est tout à fait étonnant et même incroyable.

Ce qui suscite la crainte dans le cas de Trump, c’est le fait qu’il s’entoure de ‘faire-valoir’ professionnels, de ‘yes-men’ et de clones de lui-même. Le résultat est qu’il n'y a pas de filtre et de garde-fou autour de lui, de manière à modérer ses décisions impulsives et dangereuses. Il pense et il agit comme s’il était, en lui-même, tout le gouvernement.

3-            Les conséquences économiques de M. Trump

Le secteur privé de l’économie américaine est l’un des plus résilients et des plus productifs au monde. Cependant, il faut s’attendre à ce que l’approche chaotique de M. Trump quant aux politiques gouvernementales, en général, et ses politiques économiques, en particulier, débouche, tôt ou tard, sur des résultats négatifs pour l’économie.

Présentement, le secteur manufacturier américain est déjà entré en récession et se contracte. Les secteurs public et militaire sont quant à eux tributaires des lourds déficits budgétaires, insoutenables à moyen et long terme. Les consommateurs, de leur côté, continuent de s’endetter à un rythme alarmant, et leurs dépenses soutiennent, pour le moment, le secteur des services. Entre-temps, le secteur du commerce extérieur a été placé dans un fouillis, résultats des guerres commerciales à répétition que le gouvernement Trump a déclenchées.

Un jour, cette structure économique fragile, construite sur des dettes et des flux commerciaux en contraction, va s’effondrer. Et, ce ne sera pas beau. Et si l’on prend en compte les importants changements technologiques sur le point de s’imposer dans les années à venir, à mesure que le secteur des transports devra se réorganiser, on est en droit de craindre que la prochaine récession économique sera sévère, surtout si l’économie mondiale et les marchés financiers devaient dérailler à l’unisson.

4-            Les conséquences politiques et sociales de M. Trump

On reconnaît, aujourd’hui, que Donald Trump a été un important facteur de division dans la population étasunienne. L’antipathie entre républicains et démocrates, par exemple, n’a fait que croître depuis son élection. Celle-ci est aussi intense et plus personnelle qu’elle ne l’a jamais été, si on considère les temps modernes. De plus, les études et les enquêtes du Centre de recherche Pew révèlent qu’il y a une montée de la polarisation partisane et des clivages sociaux aux États-Unis, notamment au cours des trois dernières années.

Il n’est guère nécessaire d’insister. Les dégâts causés par M. Trump sont déjà considérables.

Espérons seulement que cela n’ira pas de mal en pis !

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Le Prof. Rodrigue Tremblay est professeur émérite d’économie à l’Université de Montréal et lauréat du Prix Richard-Arès pour le meilleur essai en 2018 « La régression tranquille du Québec, 1980-2018 », (Fides).

On peut le contacter à l’adresse suivante : rodrigue.tremblay1@gmail.com.


Site Internet de l'auteur : http://rodriguetremblay.blogspot.com/

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Mis en ligne, Mercredi, le 23 octobre, 2019.

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© 2019 Prof. Rodrigue Tremblay



Le capitalisme financier déréglé


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Jeudi, le 1er août, 2019
Le capitalisme financier déréglé : taux d'intérêt extrêmement bas et bulles des prix
(Auteur du livre « Le nouvel empire américain », du livre « Le Code pour une éthique globale » et de son récent livre « La régression tranquille du Québec, 1980-2018 »)

« La première panacée pour une nation mal dirigée est l'inflation  monétaire; la seconde est la guerre. Les deux apportent une prospérité temporaire; les deux apportent une destruction permanente. Et les deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques. » Ernest Hemingway (1899-1961), (septembre 1932)

« Les armées, les dettes et les taxes sont des instruments prouvés pour placer le plus grand nombre sous la domination du petit nombre. » James Madison (1751-1836), 4ème Président des États-Unis, (20 avril 1795)

« Si le peuple américain autorise un jour les banques privées à contrôler l'émission de la monnaie, d'abord par l'inflation, puis par la déflation, les banques et les entreprises qui se développeront autour d’elles spolieront les citoyens de leurs biens jusqu'à ce que leurs enfants  se réveilleront sans-abri sur le continent que leurs pères ont conquis. » Thomas Jefferson, (1743-1826), 3ème président des États-Unis, 1802)

"Nous savons tous aujourd’hui que lorsque le gouvernement est dirigé par les forces organisées de l'argent, c’est  la même chose que s’il était dirigé par la mafia." Franklin D. Roosevelt (1882-1945), 32ème président américain, 1933-1945, (lors d’un discours prononcé au Madison Square Garden, le 31 octobre 1936)

Ne prenez pas panique tout de suite, mais une nouvelle lubie monétaire fait présentement des ravages dans certains pays. C’est la nouvelle doctrine monétaire dite ‘non conventionnelle’ qu’une poignée de banques centrales ont adoptée dans le but d’abaisser les taux d’intérêt à des niveaux extrêmement bas, et même de les pousser en territoire négatif.

En effet, on observe depuis quelque temps qu’un petit groupe de banques centrales et leurs gouvernements ont tellement abaissé les taux d’intérêt à court terme qu’aujourd'hui, certains pays font face à des taux d'intérêt nominaux négatifs et, lorsque l’inflation est prise en compte, avec des taux d'intérêt réels encore plus négatifs. Pourquoi une telle politique monétaire non conventionnelle ? les raisons invoquées visent, disent-elles, à éviter que leur économie ne soit autrement confrontée à une monnaie surévaluée et à un fardeau de la dette trop lourd, ce qui pourrait nuire à la croissance économique.

Comment une telle chose est-elle possible? Comment une banque centrale peut-elle ramener les taux d’intérêt à zéro ou même en dessous de zéro, et quelles en seront les conséquences ? Pour ce faire, une banque centrale peut décider d’offrir des rendements nuls ou négatifs aux banques commerciales qui déposent leurs réserves excédentaires chez elle, dans le cadre de son programme de facilités de dépôts. C'est une question complexe, mais cela se produit essentiellement lorsque les banques commerciales disposent de liquidités qu’elles ont du mal à prêter de manière rentable à des emprunteurs privés. Elles se voient alors dans l’obligation de chercher d’autres avenues de placement, comme celle  d’acheter des obligations d’État et d’autres titres sur le marché public. Ceci fait hausser le prix de ces titres et abaisser les taux d’intérêt.

On peut se demander pourquoi les banques commerciales sont confrontées à des excédents de trésorerie, au-delà de ce qui est requis pour satisfaire la demande privée de crédit. Pour répondre à cette question, il faut remonter à la crise financière internationale de 2007 et des années suivantes.

Tout débuta avec la crise dite des ‘subprimes’, laquelle fit son apparition à la fin de l’été 2007, lorsqu’un certain nombre de grandes banques, tant aux États-Unis que dans d’autres centres financiers, se retrouvèrent au bord de la faillite. Elles furent victimes d’une nouvelle pratique bancaire, laquelle consistait à titriser des créances risquées, mais fort rentables, telles les créances hypothécaires et d’autres créances du même genre, en les regroupant dans de nouveaux titres ésotériques. Mais lorsque le marché de l’immobilier s'effondra, et avec lui les créances hypothécaires, les titres titrisés perdirent beaucoup de leur valeur et les banques se retrouvèrent en difficulté.

Afin d’empêcher les grandes banques de faire faillite, la banque centrale américaine, c’est-à-dire la Fed, se mit à imprimer de la nouvelle monnaie à hauteur de plus de trois milles milliards de dollars pour les rescaper. La Fed qualifia sa grande générosité d’« Assouplissement Quantitatif » [ou en anglais, de «Quantitative Easing» (QE)], une expression en apparence anodine et inoffensive de manière à couvrir la plus grande expansion de la base monétaire jamais enregistrée aux États-Unis. La base monétaire, en effet, est en grande partie le reflet du bilan de la Fed  (c.-à-d. la contrepartie des avoirs monétaires détenus par les banques commerciales auprès de la banque centrale), et de la monnaie papier et métallique en circulation.

— La Fed s’est servi de la nouvelle monnaie pour acheter des obligations du Trésor américain, mais elle s’en est surtout servie pour acheter de grandes quantités de créances douteuses qui pesaient lourd sur le bilan des grandes banques commerciales. Et elle le fit pendant six ans, de 2008 jusqu’à la fin de 2014, en trois cycles successifs d’impression de nouvel argent.

— Vu dans une perspective historique, ce fut vraiment une orgie de création monétaire. — Ceci fut toutefois fait à partir du principe que les banques commerciales laisseraient la plupart de leurs réserves excédentaires nouvellement créées dans les coffres de la banque centrale. Néanmoins, les liquidités excédentaires dans le système firent quand même grimper le prix des obligations et ceux des autres titres, en faisant baisser toute la panoplie des taux d’intérêt. en effet, c’est un fait que les taux d’intérêt ont continuellement baissé depuis. — La Fed a déclaré qu’elle poursuivait une politique de « relance » de l’économie. En réalité, on pourrait dire plus exactement que ce qu’elle cherchait surtout à faire, c’était de « renflouer » les bilans amochés des grandes banques commerciales.

— Au cours de cette période, le bilan total de la Fed a explosé, passant d’environ 1 000 milliards de dollars en 2008, [N. B. : Il est habituellement constitué principalement de titres du Trésor et son revenu net d’intérêts est reversé au Trésor public], à environ 4 500 milliards de dollars en 2017, un grossissement de 350 pourcent.

Le bilan total de la Fed est constitué aujourd’hui de titres du Trésor à hauteur de 55 pourcent, tandis que les titres adossés à des créances hypothécaires et à d’autres créances qu’elle a rachetés des banques commerciales représentent environ 40 pourcent — les avoirs en or et d’autres avoirs expliquent le reste. Un point important est le fait que le bilan de la Fed avant 2008 représentait environ 6 pourcent de la production annuelle américaine (PIB), mais il a atteint 25 pourcent en 2014. Il a depuis légèrement reculé à 20 pourcent du PIB, et la Fed a déjà annoncé qu’elle souhaiterait « normaliser » son bilan, c’est-à-dire qu’elle vise à le ramener à un volume réduit, afin d’éviter une inflation future et surtout, afin d’être en mesure de faire face à toute éventualité.

Faisons maintenant une rétrospection rapide sur l’état actuel de la situation économique.

Arrivée de Donald Trump à la Maison blanche en 2017 et sa politique d’une forte augmentation de la dette publique et ses pressions sur la Fed pour faire baisser les taux d’intérêt, possiblement jusqu’au niveau zéro

La dernière récession économique aux États-Unis, (surnommée la Grande Récession), a été la pire que l’on ait observé depuis la Grande Dépression des années ‘30. Elle a commencé en décembre 2007, et elle a pris fin en juin 2009. La présente reprise économique est toutefois la plus longue de l’histoire américaine, avec une croissance soutenue de plus de 10 ans, à ce jour.

La politique économique de l’administration Trump s’est distinguée par son protectionnisme commercial, par ses mesures anti immigration, par des baisses importantes d’impôts, surtout au profit des grandes entreprises et des grandes banques, par des déficits publics annuels qui dépassent mille milliards de dollars, par une politique monétaire expansionniste et par une hausse de 13 pourcent de la dette publique.
[N. B.: Pour information, la dette du gouvernement américain s’élevait à 19,95 milles milliards de dollars au 20 janvier 2017, quand Donald Trump entra à la Maison Blanche. Au 31 juillet, 2019, le niveau de la dette publique étasunienne atteignait 22.54 milles milliards de dollars.

Avec un tel niveau d’endettement, on peut craindre que le service de la dette devienne insupportable, surtout si les taux d’intérêts allaient augmenter. Face à pareille éventualité, les gouvernements et les banques centrales peuvent être tentés d’abaisser artificiellement les taux d’intérêt afin d’alléger le fardeau du service de la dette (essentiellement les paiements d’intérêts sur les obligations d’État). Cela équivaut à prélever une taxe d’inflation sur les avoirs des épargnants et des créanciers.

En effet, c'est effectivement ce que la Fed a fait. En abaissant artificiellement les taux d’intérêt au-dessous du taux d’inflation et de la prime de risque, elle a fait en sorte que le Trésor américain a pu payer des taux d’intérêt réels négatifs sur la dette publique. Quand le taux d’inflation est supérieur au taux d’intérêt nominal payé, le gouvernement des États-Unis se trouve à jouir d’un avantage budgétaire aux dépens de ses créanciers.

Si les taux d’intérêt devaient tomber à zéro, par exemple, ou même au-dessous de zéro, (comme c’est actuellement le cas au Japon, un pays qui est aux prises depuis vingt ans avec des taux d’intérêt négatifs, et dans certains pays européens aujourd’hui, tels que la Suisse, l’Allemagne, les Pays-Bas, la France, la Suède, etc.), les épargnants, les retraités, les fonds de pension, les compagnies d’assurance et les prêteurs en général sortent grands perdants.

Ainsi, dans les pays où les obligations d’État à dix ans, par exemple, génèrent un rendement nul ou négatif, cela signifie que le principe de l’intérêt composé a de facto été aboli pour les investisseurs. Cela pourrait avoir de graves conséquences pour les épargnants, les retraités et les fonds de pension.

Cependant, lorsque c’est la banque centrale qui achète des obligations d’État, en émettant de la nouvelle monnaie, on parle alors d’une opération de « monétisation de la dette ». Si cela se fait à grande échelle, cela peut éventuellement conduire à une inflation galopante, voire à une hyperinflation.

Il convient également de noter que lorsque les banques centrales abaissent les taux d’intérêt à des niveaux extrêmement bas ou à des niveaux négatifs, les investisseurs n’ont d’autre choix que d’acheter des actifs offrant des rendements positifs, tels que des actions de sociétés ou des titres de propriété immobilière. On doit alors s’attendre à ce que des bulles de prix se forment sur les marchés boursier et immobilier. De tels investissements deviennent un refuge et une protection contre les rendements négatifs sur les titres à revenu fixe. Au cours de l’histoire, lorsque cela s’est produit, des Krachs boursiers et des paniques financières ont suivi.

Un retour aux années ’20 ?

La situation économique d’aujourd’hui rappelle, sous certains aspects, celle de l’économie américaine dans les années ‘20, la période qui précéda la Grande Dépression des années ‘30. En effet, l’économie américaine avait progressé au rythme annuel de 2,7 pourcent, entre 1920 et 1929. Le plein emploi régnait, tandis que l’inflation était stable.

En outre, on avait prolongé la période de croissance économique en adoptant des mesures protectionnistes telles que le tarif Fordney-McCumber de 1922. Lors de la campagne présidentielle de 1928, de même, le candidat républicain à la présidence, Herbert Hoover (1874-1964), proposa des hausses tarifaires sur les importations. Une fois élu, il réalisa sa promesse et il fit adopter le très critiqué tarif Smoot-Hawley de 1930, que l’on soupçonne d’avoir accélérée la dépression économique mondiale. L’économie bénéficia d’un accroissement des dépenses en travaux publics et par des réductions d’impôts à trois occasions, soit en 1921, en 1924 et en 1925.

De plus, le président Calvin Coolidge (1872-1933) parapha  une loi anti immigration appelée la Loi de 1924 sur l'immigration, (également appelée la loi Johnson-Reed), dont le but principal était d’empêcher l’immigration aux États-Unis de personnes venant d’Asie. Il y avait aussi de l’hostilité envers les Américains catholiques, plusieurs d’origine italienne, envers les Juifs et envers les Noirs.
— C’étaient les "années folles".

Lorsque l’on considère les nombreuses similitudes qui existent entre les deux périodes, au plan politique, social et économique, cela soulève quelques questions : Est-ce que l’histoire est en train de se répéter ? Est-ce que les excès que l’on observe aujourd’hui pourraient conduire à une reddition des comptes ? Est-ce que les banques centrales et les gouvernements du jour pourraient précipiter l’économie américaine et l’économie mondiale dans un grand marasme économique et financier ? — Protectionnisme commercial, réductions massives d’impôts, fortes augmentations de la dette publique, des mesures anti immigration, une déréglementation touts azimuts… etc.
— C’est du « déjà vu » !

Conclusion

les États-Unis sont sur le bord d’une trappe de taux d’intérêt artificiellement bas. En effet, le président de la Fed, Jerome Powell, semble avoir été fortement influencé par les tactiques d’intimidation de Donald Trump pour faire abaisser les taux d’intérêt. Par conséquent, même si l’économie américaine opère présentement à plein régime, en ce qui concerne l’emploi — en partie la conséquence démographique du départ à la retraite, en masse, des ‘baby boomers’ les politiques budgétaires et monétaires n’en sont pas moins fortement pro cycliques et elles sont très expansionnistes.

Ceci est fort inhabituel en pareilles circonstances, et c’est là le fruit d’une gouvernance qui viole les principes de base d’une bonne gestion économique. En effet, on doit se méfier de telles pratiques financières imprudentes, lesquelles sont susceptibles de créer des bulles financières qui sont condamnées, tôt ou tard, à éclater.

En réalité, de telles politiques pro cycliques, dans le présent contexte, sont un signe que le gouvernement en place cherche avant tout à engranger des gains économiques et politiques à court terme, au prix de difficultés à venir, à moyen et à long terme.

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Le Prof. Rodrigue Tremblay est professeur émérite d’économie à l’Université de Montréal et lauréat du Prix Richard-Arès pour le meilleur essai en 2018 « La régression tranquille du Québec, 1980-2018 », (Fides).

On peut le contacter à l’adresse suivante : rodrigue.tremblay1@gmail.com.


Site Internet de l'auteur : http://rodriguetremblay.blogspot.com/

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Mis en ligne, jeudi, le 1er août, 2019.

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