Auteur du nouveau livre « La régression tranquille du Québec (1980-2018) »
« Nous
devons nous efforcer de favoriser la croissance du commerce international, et
ne pas essayer de dresser des barrages au commerce, mais plutôt d'ouvrir les
marchés étrangers et de ne pas fermer les nôtres ».
Le président
Ronald Reagan (1911-2004), dans une allocution radiodiffusée à la
Nation sur le commerce libre et équitable et le déficit budgétaire, le 16 mai
1987.
« Les
véritables partisans du libre-échange considèrent le libre marché et le
commerce, intérieur comme international, du point de vue du consommateur
(c'est-à-dire de nous tous), tandis les mercantilistes du 16ème siècle ou ceux
d'aujourd'hui, voient le commerce du point de vue de l'élite au pouvoir,
c’est-à-dire une alliance entre le monde des affaires et le gouvernement ».
Murray Rothbard
(1926-1995), économiste américain, (dans un article de 1983, «The NAFTA Myth»,
Mises Daily, 30 novembre 2013)
« ... Je
pense que nous sommes aujourd’hui beaucoup plus en sécurité et j'espère qu’on
ne verra pas [une autre crise financière] de notre vie, et je ne crois pas que ce sera le cas. »
Janet Yellen
(1946-), Présidente de la Réserve fédérale américaine, (déclaration faite le
mardi 27 juin 2017, à Londres, Royaume-Uni)
Des
changements soudains dans les politiques commerciales et fiscales, comme ceux
que contemple le gouvernement étasunien de Donald Trump, sont de nature à
perturber l'équilibre macroéconomique, surtout si de tels changements
entraînent une poussée soudaine de l'inflation et une hausse rapide des taux
d'intérêt. En effet, hausser les taxes à l’importation, rapatrier de l’étranger
les profits des sociétés américaines et accroître simultanément le déficit
budgétaire, lorsque l'économie tourne déjà à plein régime, est de nature à
créer une inflation accrue, que ce soit du côté de la demande ou du côté de
l'offre. Cela pourrait arriver beaucoup plus rapidement que ce que la plupart
des gens anticipent, si toutes ces mesures étaient finalement adoptées par le
Congrès américain.
Après 35 ans
d’abaissement des taux d'inflation et de baisse des taux d'intérêt nominaux et
réels depuis 1982, le vent est en train de tourner, en partie à cause des
politiques populistes et protectionnistes proposées par le gouvernement Trump.
Dans un contexte où des taux d’inflation accrus et des taux d’intérêt plus
élevés ne sont pas pleinement anticipés, une politique de hausse des taxes à
l’importation et des déficits budgétaires gonflés, au moment même où la banque
centrale américaine s’apprête à hausser son taux directeur, peuvent avoir un
effet net de ralentissement sur l’économie. De plus, comme la récession de
2008-2009 s’est terminée en juin 2009, l'influence du cycle économique de 9,2 ans
sur l’économie américaine ne peut être sous-estimée.
Voyons voir
pourquoi.
1. La politique protectionniste de Donald Trump sera
inflationniste
Pour Trump et ses
conseillers, le commerce international est une sorte de jeu à somme nulle.
C'est, à leurs yeux, une proposition de gagnant/perdant. Lorsque les pays
concluent des accords de commerce international, certains pays sortent
« gagnants » et d'autres sortent « perdants ». C'est
cependant là une théorie du commerce international qui a été complètement discréditée.
En effet, rien ne peut être plus loin de la vérité parce que le commerce
international, dans la plupart des cas, est plutôt une proposition de
gagnant/gagnant, laquelle fait en sorte que les travailleurs, les
investisseurs et les consommateurs des pays gagnent à commercer.
Le commerce
international est ce qui fait la prospérité des économies et tous les pays
tirent profit du commerce international, à des degrés divers. La plupart des
économistes s'accordent à dire que, dans le contexte actuel, le protectionnisme
est une voie
sans issue, laquelle peut s’avérer dangereuse pour l'économie
américaine et pour des partenaires commerciaux, tel que le Canada.
Cependant, le
président américain Donald Trump semble vouloir implanter — à en juger par ses
déclarations à tout le moins — un système de « commerce international administré »
et d'une planification gouvernementale, de préférence bilatérale, et cela, non
pas pour un secteur économique particulier pour des raisons sociales et
économiques, mais dans tous les secteurs. Un tel système a été essayé dans
l'ancienne Union
Soviétique, et ce système économique s'est effondré en 1991. En fait,
Donald Trump semble vouloir répudier soixante ans de coopération économique
multilatérale accrue entre les pays, basée sur les lois économiques et la
comptabilité macroéconomique. Il souhaite adopter une approche mercantiliste et
protectionniste dans les relations économiques internationales, à
savoir la recherche d’un solde positif dans les échanges extérieurs — semblable
à celle qui prévalait aux XVIIe et XVIIIe siècles en Europe. En d'autres
termes, cela a été essayé plusieurs fois dans le passé.
Si le
gouvernement de Donald Trump réussit à persuader le Congrès américain de jouer
à l'apprenti sorcier avec le commerce international et l'investissement
international, il en résulterait une contraction dans les flux de commerce
international, la productivité du travail diminuerait et les coûts de production
augmenteraient, des emplois seraient perdus, les revenus réels diminueraient
même si certains salaires nominaux augmenteraient, l'inflation reprendrait et
il en irait de même des taux d'intérêt nominaux. Ce ne serait qu'une question
de temps avant que les économies nationales ne reviennent à une situation de stagflation
semblable à celle qui prévalait dans les années 1970.
2. La
situation commerciale des États-Unis.
En 2016, le déficit commercial total des Etats-Unis,
en biens et services, s'élevait à 502 milliards de dollars. En effet, au cours
de cette année, les États-Unis ont importé pour 2,711 milliards de dollars US
de biens et de services, tout en exportant 2,209 milliards de dollars US.
La même année, les États-Unis accusaient un déficit de
750 milliards de dollars dans leur commerce de marchandises, mais
enregistraient un excédent commercial de 248 milliards de dollars pour leur
commerce de services (services financiers, assurances et services bancaires,
redevances et droits de licence, transports et services aux entreprises, etc.).
Cela montre que le secteur américain des services est très compétitif sur le
marché mondial et qu’il est une source importante d'emplois. L’excédent dans le
commerce des services couvre en partie le déficit du commerce de marchandises.
3.
L’ajustement de la balance globale des paiements américains
Bien sûr, il faut aussi tenir compte des mouvements de
capitaux. En réalité, la source des déficits commerciaux américains se trouve
dans l’endettement extérieur des Etats-Unis. C’est un pays qui souffre d’un
déficit chronique d’épargnes intérieures et qui doit, en conséquence, emprunter
des capitaux des autres pays, sur une base nette, année après année. Ce sont
ces emprunts nets auprès de prêteurs étrangers qui financent son déficit dans
sa balance courante. Par le fait même, de tels emprunts permettent de maintenir
élevé les dépenses de consommation américaines. En particulier, ces emprunts
financent une part importantes des énormes déficits budgétaires enregistrés
année après année par le gouvernement américain. En 2016, par exemple, le
déficit budgétaire gouvernement américain s'élevait à 552 milliards de dollars.
Ainsi donc, la
raison principale pour laquelle les États-Unis, en tant que pays, enregistrent
des déficits commerciaux, vient du fait qu'ils dépensent trop et n'épargnent
pas assez. C’est le cas tout particulièrement du gouvernement central
étasunien, dont les multiples guerres à l'étranger sont en grande partie
financées à crédit. (Le coût de ces guerres depuis 2001 atteint, directement et
indirectement, une somme astronomique qui dépasse $ 5000
milliards de dollars US).
Les États-Unis,
dans leur ensemble, dépensent davantage que ce qu'ils gagnent, ce qui signifie
qu’ils doivent, en tant que pays, emprunter auprès de prêteurs étrangers pour
financer leur déficit extérieur. En d'autres termes, les États-Unis vivent
au-dessus de leurs moyens. Or, les politiciens américains veulent baisser les
impôts d’un montant égal à 1500
milliards de dollars US, au cours des dix prochaines années, et
accroître le déficit fiscal du gouvernement américain. Ils ne semblent pas voir
le lien qui existe entre leur désépargne, d’une part, et leur endettement
extérieur et leur déficit extérieur, d’autre part.
Le président
Trump prétend vouloir corriger les déficits commerciaux en biens et en services
de son pays en réduisant unilatéralement les importations américaines et en
augmentant les exportations. Mais le commerce international est une voie à
double sens : les pays paient pour leurs importations avec leurs
exportations. Une telle approche du protectionniste pourrait facilement mener à
des représailles et à même à des guerres
commerciales, et le résultat pourrait être catastrophique. Si cela se
produisait, en effet, tout le système commercial international se contracterait
et cela entraînerait un ralentissement économique mondial auquel aucun pays ne
pourrait échapper.
Le gouvernement
de Donald Trump devrait éviter de prendre des décisions irréfléchies concernant
l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA),
un traité commercial historique qui a pris des années à négocier et à mettre en
œuvre. L'idée même de mettre
fin unilatéralement à un accord commercial qui fonctionne bien, avec
l’idée de repartir à zéro, est une proposition dangereuse. Cela pourrait avoir
de graves conséquences économiques et politiques. C’est une voie qui comporte
de nombreuses embûches imprévisibles et ce n’est certes pas une approche
sensée.
À la base, si un
pays veut vraiment réduire son déficit commercial avec d'autres pays, il
devrait cesser de s’endetter en empruntant à l’étranger et il devrait se mettre
à épargner davantage. Imposer des taxes d'accise à la frontière et jouer avec
d'autres politiques protectionnistes ne modifierait guère la cause sous-jacente
des déficits extérieurs.
4. Le rôle du dollar américain dans les échanges
internationaux pourrait être remis en cause
Un part du
déficit commercial annuel des États-Unis avec le reste du monde résulte du fait
qu'une grande partie du commerce international multilatéral est financée en
dollars américains et que cette monnaie sert de monnaie de réserve pour de
nombreux pays. Les autres pays paient les États-Unis pour l'utilisation de
services bancaires en dollars américains. Ces revenus externes sont appelés seigneuriage.
Cela permet aux États-Unis d'importer plus de marchandises qu'ils n'en exportent
au cours d’une année donnée en empruntant des capitaux à meilleur taux.
En effet, les
États-Unis, en raison de la taille de leurs marchés monétaires et financiers,
sont les détenteurs d'une monnaie de réserve mondiale, le dollar américain.
Cela garantit une forte demande pour les dollars américains et pour les
instruments de dette américains. Imaginez quel serait le coût des marchandises
importées aux États-Unis s'il y avait une baisse de la demande pour le dollar
américain ?
Certains pays
tentent depuis quelque temps de recourir à d'autres devises pour financer leur
commerce international. Par exemple, la Chine a demandé à l'Arabie saoudite
d'accepter sa monnaie, le yuan,
comme moyen de paiement pour ses importations de pétrole. De plus, le Fonds
Monétaire international reconnaît aujourd’hui la monnaie chinoise comme monnaie
de réserve internationale. Si les États-Unis devaient mettent fin à leur
politique de coopération économique internationale, leur influence économique
et financière diminuerait et un autre pays pourrait probablement prendre le
relais.
5. Les
politiques fiscales peuvent être inflationnistes si elles stimulent davantage
une économie qui roule déjà à plein régime
Le gouvernement
de Donald Trump et ses allies républicains du Congrès souhaitent réduire
substantiellement les impôts personnels et ceux des sociétés, et sont prêts à
accepter une augmentation substantielle des déficits budgétaires annuels et de
la dette
publique américaine. Et ironie, si cette politique budgétaire devait
conduire à davantage d'emprunts à l'étranger, cela contredirait en partie les
objectifs poursuivis par la politique commerciale protectionniste. En effet,
une telle augmentation des emprunts américains à l'étranger renforcerait la
valeur de la devise étasunienne, ce qui serait de nature à encourager les
importations tout en nuisant aux exportations. Un déficit budgétaire plus
important exercerait également des pressions sur les taux d'intérêt. Les
marchés financiers (obligations et actions) en souffriraient et cela aussi
aurait un effet récessioniste sur l'économie.
Tout cela se
produirait alors que les inégalités
de revenu et de richesse aux États-Unis sont les plus fortes depuis un
siècle et qu’une bulle
spéculative sur les marchés financiers peut éclater à tout moment.
Conclusion
Il serait dans
l’ordre des choses que le gouvernement de Donald Trump coordonne ses politiques
commerciale et fiscale. Il devrait y penser à deux fois avant de bouleverser de
fond en comble le système actuel de commerce international et d'investissement
internationaux, et il devrait veiller à ne pas surchauffer une économie qui
fonctionne déjà à presque plein régime. Sinon, cela pourrait déclencher la prochaine
récession économique.
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Rodrigue Tremblay est professeur émérite d’économie et de finance internationale à l’Université de Montréal.
On peut le
contacter à l’adresse suivante : rodrigue_tremblay@yahoo.com.
Il est l'auteur du nouveau livre « La régression tranquille du Québec (1980-2018) »
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Mis en ligne, le
vendredi 17 novembre 2017.
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Rodrigue Tremblay
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