Vendredi, le 19 janvier 2018
Éléments de politique : L'influence de l'argent dans les affaires étrangères américaines. Le cas de l'Iraq, de la Libye, de la Syrie et de l'Iran
Par
le Professeur Rodrigue Tremblay
Auteur
du nouveau livre « La régression tranquille du Québec (1980-2018) »
et des livres « Le nouvel empire américain » et « Le Code pour une éthique globale ».
et des livres « Le nouvel empire américain » et « Le Code pour une éthique globale ».
« Je
suis guidé par une mission divine. Dieu m’a dit : "George, va combattre ces terroristes en
Afghanistan". Et je l’ai fait. — Et
ensuite Dieu m’a dit 'George, va et mets fin à la tyrannie en Irak'. Et je l’ai fait. »
George W. Bush (1946-), président
républicain américain, propos tenus lors d’une rencontre avec une délégation
palestinienne en juillet 2003, lors du sommet israélo-palestinien à la station
balnéaire égyptienne de Charm el-Cheikh.
« Ils [le président George
W. Bush et le vice-président Dick Cheney] ont menti … Ils ont dit qu’il y avait
des armes de destruction massive [en Irak]. Il
n’y en avait pas. Et ils savaient qu’il n’y en avait pas. Il n’y avait pas
d’armes de destruction massive.
— Nous [les États-Unis
d’Amérique]
avons dépensé $ 2000 milliards de dollars, perdu des milliers de vies. …
De toute évidence, ce fut une erreur … George W. Bush a fait une erreur. Nous
pouvons faire des erreurs. Mais celle-là fut toute une beauté. Nous n’aurions
jamais du aller en Irak. Nous avons déstabilisé le Moyen-Orient. »
Donald
Trump (1946-
), président républicain américain, propos tenus au cours d’un débat
présidentiel du parti républicain sur la chaîne CBS, le samedi 13 février,
2016.
« Je connais bien les
États-Unis d’Amérique, l’Amérique est une chose que vous pouvez déplacer très
facilement, et la déplacer dans la bonne direction. Ils ne nous gêneront
pas. »
Benyamin Nétanyahou (1949-), actuel
Premier ministre israélien, propos tenus sur vidéo, en 2001, en s’adressant à
des colons israéliens.
[Dans la foulée des attentats du 11 septembre
2001, on m’a montré] « un document
qui décrivait comment nous [États-Unis] projetions
d’envahir sept pays en cinq ans, en commençant par l’Irak, puis la Syrie, le
Liban, la Libye, la Somalie, le Soudan et, pour finir, l’Iran. »
Le général étasunien Wesley Clark (1944-),
lors d’une entrevue vidéo le mardi 2 mars 2007, avec la journaliste Amy
Goodman.
Tout comme le
président républicain George
W. Bush inventa le prétexte des « armes de destruction massive », en 2003, pour tromper les
Américains et le reste du monde pour justifier une invasion militaire de
l’Irak, Donald Trump, aujourd’hui, semble vouloir suivre ses traces. En effet,
Trump semble être à la recherche d’un prétexte pour justifier une autre
confrontation militaire au Moyen-Orient, cette fois-ci contre l’Iran. George W.
Bush avait même dit à l’époque que c’était sa religion
qui l’avait poussé à intervenir militairement en Irak
quand il avait affirmé, dans une envolée toute empreinte d’illusion
hallucinante, à l’été 2003, que « [Dieu] m’a dit de mettre fin à la tyrannie en Irak. »
Aujourd’hui,
un autre président républicain américain, Donald Trump, semble se croire lui
aussi en mission, soit celle d’attaquer un autre pays, en violation du droit
international. Cette fois-ci, la cible de ses méchantes insultes
quotidiennes est
l’Iran, un pays dirigé par des théocrates, aux prises avec de sérieux
problèmes intérieurs, tant économiques que politiques. Ce n’est pas d’hier que
Donald Trump fait des déclarations incendiaires concernant les affaires
intérieures de ce pays, dans l’espoir de provoquer une réponse et de justifier
ainsi une agression militaire.
Donald
Trump : « Nous n’aurions jamais
dû être en Irak ».
Ce qui se passe présentement est d’autant plus
étonnant et irréel que lors de la dernière campagne présidentielle américaine,
le candidat Donald Trump a ouvertement accusé George W. Bush d’avoir menti
pour envahir l’Irak, ajoutant lors d’un débat
présidentiel sur la chaine CBS, le samedi 13 février, 2016, « Nous n’aurions jamais dû être en Irak, nous
avons déstabilisé le Moyen-Orient ». Donald Trump souffre-t-il
d’amnésie ou est-il simplement incohérent dans ses pensées ?
En réalité, malgré la propagande néoconservatrice
contraire, en envahissant l’Irak, le gouvernement étasunien de George W. Bush
et de Dick Cheney a profondément déstabilisé
le Moyen-Orient, et ces deux politiciens ont causé la
mort de centaines de milliers de personnes, hommes, femmes et enfants, et ils
ont créé des millions de réfugiés, dont beaucoup d’entre eux se sont dirigés
vers l’Europe. Mais peut-être encore plus dérangeant, d’un point de vue
américain ou israélien, l’invasion militaire américaine de 2003 en Irak a
considérablement augmenté l’influence géopolitique de l’Iran chiite dans la
région, après la chute du gouvernement sunnite de Saddam Hussein (1937-2006) et
l’intronisation d’un gouvernement chiite à sa place.
C'est là une constatation que j’ai faite dans mon
livre sur la guerre en Irak, Le
Nouvel empire américain. J’y déplorais non seulement l’illégalité
d’une telle invasion militaire d’un pays souverain, en violation flagrante de
la Charte des Nations Unies, mais aussi la sagesse d’une telle décision,
puisque l’Iran allait sans doute profiter énormément de l’arrivée d’un
gouvernement chiite à Bagdad... et c’est ce qui arriva.
Ce qui surprend, c’est que les deux présidents
républicains étasuniens, George W. Bush et Donald Trump, ont reçu le même
soutien financier et politique enthousiaste des mêmes ultra riches
donateurs sionistes américains et celui des chrétiens
évangéliques américains, bien que le soutien
accordé à Bush fut plus important que celui dévolu à Trump aujourd’hui, parce
que la toile de fond en 2002-2003 était celle des attentats du 11 septembre
2001. Aujourd’hui, en effet, Donald Trump est non seulement un président
anormal; il est aussi un président
minoritaire qui n’est guère soutenu par plus d’un tiers des
Américains.
L’influence
de l’argent est de plus en plus roi dans la politique étrangère des États-Unis,
notamment en ce qui concerne le Moyen-Orient
De nos jours, l’argent parle fort dans la politique
américaine, et le gros argent parle encore plus fort. Cela est en partie du à
une décision controversée d’une Cour Suprême américaine partisane, rendue à 5
contre 4 en janvier
2010, dans laquelle elle faisait connaître son idéologie
anti-démocratique, à savoir que « l’argent
est une forme d’expression » dont il ne faut pas limiter indument
l’influence lors d’une élection.
On a eu une idée de l’influence des contributions
électorales de certains ultra
riches donateurs (nommés « mégadonateurs »), lors de la course
présidentielle du parti Républicain, en 2016. En effet, plus d’une douzaine de
candidats à l’investiture de ce parti à la présidence américaine, Donald Trump
en tête, ont promis à l’unisson de déplacer l’ambassade américaine en Israël,
de Tel-Aviv à Jérusalem, en plus de promettre, s’ils étaient élus, de
téléphoner au Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou lors
de leur première journée passée à la Maison Blanche.
En date d’aujourd’hui, Donald Trump a déjà remboursé
une partie de sa dette
politique envers ses gros donateurs lorsqu’il a annoncé, en décembre
dernier, sa volonté de déplacer l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem.
Mais même avant son investiture le 20 janvier 2017, l’entourage de Trump est
intervenu activement en faveur d’un gouvernement étranger, le gouvernement
israélien, auprès des Nations Unies.
Une telle soumission des politiciens américains aux
vœux des méga contributeurs politiques peut expliquer, en partie du moins,
pourquoi les États-Unis ont l’un des taux de participation électorale les plus
bas parmi les démocraties mondiales modernes. Lors de l’élection
présidentielle américaine de novembre 2016, par exemple, un peu moins de
56 % des citoyens ayant le droit de vote s’en sont prévalu, soit un creux
depuis 20 ans. Selon le Centre de recherche Pew, parmi les 35 pays hautement
développés de l’Organisation de coopération et de développement économiques
(OCDE), les États-Unis se classent au 28ème rang en ce qui concerne le taux de
participation à de récentes élections nationales. Par exemple, les taux de
participation électorale en Belgique (87 %), en Suède (83 %) ou au
Danemark (80 %) ont été beaucoup plus élevés.
À cause justement de l’influence exagérée de l’argent
dans la politique américaine et parce que les lobbies
pro-israéliens font partie des donateurs
politiques les plus importants, la politique américaine au Moyen-Orient
est de plus en plus biaisée en faveur du gouvernement israélien et elle tend à
refléter les désidératas des lobbies
pro-israéliens. Il semble de facto
exister une sorte d’axe américano-israélien au Moyen-Orient, auquel se joint de
plus en plus l’Arabie saoudite.
En effet, il est impossible de comprendre ce qui se
passe dans cette partie du monde depuis des décennies, avec son cortège de
guerres, de destructions, de réfugiés et de morts, sans tenir compte de
l’influence écrasante de cet axe qui dépasse les lignes partisanes à
Washington. D.C. [Dans un discours pendant la primaire démocrate en Pennsylvanie,
en avril 2008, alors qu’elle était candidate à la présidentielle, Hillary
Clinton a déclaré: « Si je suis élue présidente, nous allons attaquer
l’Iran ... Nous serons en mesure de les rayer complètement de la carte! »]
Une opération
conjointe américano-israélienne contre l’Iran semble présentement en cours
Lorsque le gouvernement américain souhaite
déstabiliser un gouvernement étranger et créer les conditions pour un
changement de régime, il faut être à l’affût d’une opération
sous fausse bannière (‘false
flag’, en anglais), laquelle a
de fortes chances d’être l’œuvre d’organisations de renseignement ou celle
d’opérations spéciales étrangères. Il existe, en effet, des organisations plus
ou moins secrètes, bien financées, et dont la mission première consiste à
déstabiliser politiquement des pays jugés hostiles, en prétendant vouloir, non
sans une certaine hypocrisie, défendre
les droits humains.
Comme l’a révélé le général étasunien
Wesley Clark (1944-) en 2007 (voir la citation ci-dessus), l’Iran est
le dernier pays visé sur une longue liste de pays que le gouvernement américain
a dans sa mire. Le fait que des médias superficiels n’osent pas informer leurs
lecteurs ou leurs auditeurs de l’existence de tels programmes, pourtant bien
connus, n’est rien de moins qu’un scandale journalistique.
Un tel programme de changement de régime
cadre bien avec le « plan
stratégique américano-israélien »
contre l’Iran qui a récemment été dévoilé. C’est, en effet, une grande
coïncidence que les troubles les plus importants observés en Iran depuis 2009
arrivent juste après la conclusion d’un tel accord entre les États-Unis et
Israël (assistés de l’Arabie saoudite), pour déstabiliser l’Iran. En effet,
dans leurs relations avec l’Iran, les États-Unis et Israël semblent agir comme
une seule entité politique.
Cela pourrait aussi expliquer pourquoi
le président Donald Trump, contre toute logique, insiste pour déclarer que le
gouvernement iranien est en violation de l’Accord
sur le nucléaire iranien, même si l’ONU et les
cinq autres pays signataires (Chine, France, Russie, Royaume-Uni et Allemagne)
sont tous d’accord pour dire que l’Iran respecte l’entente. Le 12 janvier
dernier, Trump a renouvelé ses accusations contre l’Iran Deal, sans toutefois retirer
son pays de l’accord, mais en ajoutant de nouvelles conditions
et sanctions économiques contre l’Iran, un acte qui est, en soi, une
violation de l’accord. Le seul gouvernement qui viole l’Iran Deal est le
gouvernement de Donald Trump, pas le gouvernement iranien.
En ce qui concerne l’Iran, Donald Trump
semble avoir fait sien le programme néoconservateur qui existe depuis longtemps
à l’intérieur du gouvernement étasunien, pour soumettre ce dernier pays au même
plan global de déstabilisation, lequel a été mis en œuvre avec succès contre l’Irak
en 2003, contre la Libye
en 2011 et contre la Syrie
en 2013, sans oublier bien sûr le coup d’État fomenté en Ukraine
en 2014.
Peu importe qui siège à la Maison
Blanche ou quel parti politique contrôle le Congrès américain, à un moment
donné, les mêmes forces politiques sont à l’œuvre, c’est toujours la même politique
étrangère américaine inspirée des néocons
qui domine au Moyen-Orient. Barack Obama était quelque peu hésitant à appliquer
les mêmes politiques qu’un George W. Bush ou qu’un Donald Trump. Toutefois, les
résultats sont toujours les mêmes : des gouvernements sont renversés et
des gens sont tués.
Conclusion
En matière de
politique étrangère comme dans d’autres domaines, le gouvernement de Donald
Trump va de l’avant avec des politiques douteuses et improvisées sans prendre
en considération toutes les conséquences. Les crises viendront plus tard.
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Rodrigue Tremblay est professeur émérite d’économie à l’Université de Montréal et un ancien ministre dans le gouvernement québécois.
On peut le
contacter à l’adresse suivante : rodrigue_tremblay@yahoo.com.
Il est l’auteur du nouveau livre « La régression tranquille du Québec (1980-2018 »
et des livres « Le nouvel empire américain » et « Le Code pour une éthique globale».
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Mis en ligne, le
vendredi 19 janvier 2018.
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© 2018 par Prof.
Rodrigue Tremblay