Recension du livre « La
régression tranquille du Québec, 1980-2018 », (Fides), par le professeur
André Joyal, de l’Université du Québec à Trois-Rivières, dans l'Action
Nationale, No. Mars-Avril, 2019, pages 198-206.
RODRIGUE
TREMBLAY
La régression tranquille du
Québec : 1980-2018, Fides, Montréal, 2018, 343 p.
C’est dans
mon auto, un certain 22 octobre 1976, que j’ai appris que le directeur du
département d’économie de l’Université de Montréal — dont j’utilisais dans mes
cours son livre L’Économique, — avait
décidé de faire le grand saut en
politique sous la bannière du PQ. Je m’en réjouissais d’autant plus qu’un autre
de nos économistes, parmi les plus en vue, Pierre Fortin venait tout juste de
se prononcer en faveur de la souveraineté en offrant son appui au PQ. Deux
signes avant-coureurs du triomphe d’un peuple, « peut-être pas si petit »,
trois semaines plus tard.
Détenteur
d’un doctorat obtenu à Stanford à la faveur de la fameuse bourse Woodrow
Wilson, la carrière universitaire de R. Tremblay s’est déroulée entièrement sur
les flancs du Mont-Royal de 1967 à 2002 d’où il en profitera pour publier une
vingtaine d’ouvrages pour la
majorité liée à sa spécialité : le commerce international. Le titre de
l’ouvrage annonce on ne peut mieux son contenu. Si un journaliste torontois a
vu juste en 1964 par sa suggestion de l’expression Quiet révolution, on admettra que depuis 40 ans, le Québec se situe
aux antipodes de ce qu’il a été durant les années 60-70. Une réalité que les
moins de 50 ans ne sauraient connaître pour paraphraser Aznavour. « Le Québec est en pleine régression
politique » écrit l’auteur qui plaide pour y remédier l’instauration
d’une grande coalition politique en donnant comme exemple celle mise de l’avant
par le RIN : « Les partis qui
ont fait bouger les choses au Québec ont souvent été des partis de coalition
(p. 266-67) ».
Inutile de
préciser que l’ancien député de Gouin n’a pas en tête le parti qui a
surpris tout le monde le 1er octobre
dernier…
Souvent les
ouvrages écrits par des économistes rebutent les lecteurs par les nombreux
tableaux remplis de chiffres et au recours à des formulations parfois
sophistiquées. Je m’empresse de
les rassurer. En fait, l’auteur sait oublier qu’il est économiste comme il l’a
prouvé par son Le code pour une éthique globale[1] qui se lit sans problème. C’est en
ancien homme politique qu’il offre ici cette rétrospective s’étendant sur
quatre décennies. Et, pour se faire, il utilise un style aussi clair
qu’efficace marqué de phrases courtes sans effet de manche littéraire pour
mettre de l’avant des informations appuyées sur une documentation rigoureuse.
Un sous-titre de la conclusion générale résume bien l’ensemble de
l’ouvrage : Le «gros mensonge
d’omission» de Pierre-Elliot Trudeau[2],
la naïveté de René Lévesque et la faiblesse de Robert Bourassa (p. 277). En
abordant la contribution de ces trois politiciens qui lui ont été familiers, R.
Tremblay dénonce plusieurs mythes,
dont celui qui voudrait que les Québécois aient dit NON deux fois à la
souveraineté. L’auteur montre très bien qu’ils ont été trompés en 1980 et que
les Québécois francophones ont répondu OUI en 1995 à 60%[3].
L’érudition
de l’auteur lui permet ici et là d’éviter la linéarité dans la chronologie des
faits rapportés. Ainsi, au
chapitre 4, de façon opportune, il se réfère à l’Acte de Québec de 1774 pour
ensuite se rapporter à l’Acte constitutionnel de 1791, ceci alors que le
premier chapitre débute avec Jacques Cartier suivi de Samuel de Champlain.
C’est dans ce chapitre, puisque l’on n’est pas encore en 1980, qu’il rafraîchit
la mémoire des baby-boomers en racontant ce qui fut à la base des
vicissitudes de sa carrière politique : son opposition (avec raison) à la
nationalisation de l’amiante et surtout l’incapacité de faire accepter son
projet d’une Banque d’Affaires du Québec. S’il a annoncé son entrée en
politique un vendredi, ce sera, selon ses termes, avec fracas qu’il
démissionnera le vendredi 21 septembre 79. Et on en arrive à la première décennie avec le référendum de
1980.
Tous les
chapitres ont en exergue de fort intéressantes citations de grands
personnages ou d’hommes
politiques. Oui, De Tocqueville n’est pas oublié, mais ici la vedette c’est P. E. Trudeau et son discours du 14 mai,
1980, dont certains extraits aux échos nasillards détonnent encore dans mes
oreilles : « …soyez prévenus,
vous citoyens des autres provinces : nous n’admettrons pas que vous
interpréteriez une victoire du NON comme le signe que tout va bien de nouveau
et que nous pouvons revenir au statu quo. »
L’auteur
aurait pu ajouter ce dont je me rappelle : Vous
voulez du changement, vous aurez du changement ! Les applaudissements
frénétiques suscités par ses propos - et beaucoup d’autres similaires comme le
signale l’auteur -, feront que ceux qui étaient favorables au livre beige de
Claude Ryan (prônant une radicale décentralisation des pouvoirs dans le cadre
d’un fédéralisme renouvelé) et réconfortés par une loi 101, non encore hachurée
par la Cour suprême (avec l’aide de Julius Grey), en votant NON, disaient OUI à
une certaine forme de souveraineté. Un fait qu’a dénié à quelques reprises dans
ses chroniques, l’ancienne riniste Lysianne Gagnon, avec la foi d’une nouvelle
convertie au born again federalist,
trop grande admiratrice de P. E. Trudeau pour reconnaître son hypocrisie.
Moins de
deux mois après que les Québécois eurent voté en faveur des changements que le
clan du NON leur annonçait P. E. Trudeau, ce dernier publia une lettre ouverte
affichant cette fois ses vraies couleurs ; avis était donné qu’il fallait
oublier toute velléité d’un fédéralisme renouvelé. Claude Ryan pouvait aller se rhabiller avec son livre
beige. Aux prises avec le «gros
mensonge fait aux Québécois» (p. 90)
qu’aurait-il fallu faire d’autre sinon déclencher immédiatement des
élections au prétexte que les Québécois ont été trompés. Le pire résultat
éventuel de cet appel au peuple aurait été la victoire de C. Ryan et de son
livre beige.
Or,
effectivement, qui parmi nous, aujourd’hui, ne se contenterait pas du projet de
l’ancien directeur du Devoir comme
alternative à ce que nous connaissons depuis 1982 et de ce qui s’annonce pour
les années à venir? En fait, comme le souligne R. Trembay, avec le retour au
pouvoir de P. E. Trudeau, ce fut une erreur d’aller au casse-pipe que devenait
un référendum perdu d’avance. À la place, des élections auraient eu pour enjeu
les trois options constitutionnelles représentées à l’Assemblée nationale.
Avec son
coup de force constitutionnel de 1982, P. E. Trudeau n’a fait que profiter d’un
René Lévesque fortement affaibli, les mains sans mandat, qu’il n’allait pas manquer de rouler dans la farine.
Le temps de la régression
tranquille allait battre son plein.
Inspiré par
M. Bock-Côté, le long titre chapitre 4 évoque le cauchemar de 1981-82 et la
mise en branle de la dénationalisation du Québec. Qualifié de « nouveau
Durham », P. E. Trudeau a profité de l’état de faiblesse de René Lévesque
pour berner les Québécois. En bon pédagogue qu’il fut comme professeur, R.
Tremblay connaît l’importance des répétitions, mais comme on le sait, un défaut
n’est rien d’autre qu’une qualité exagérée. Ainsi, était-ce nécessaire de
revenir (p. 127) au tristement célèbre discours du 14 mai 1980 ? La
tentation est de toute évidence, trop forte pour ne pas insister sur les
mensonges qui conduiront à « la nuit des longs couteaux » du 4-5
novembre 81. Là-dessus, l’auteur
rapporte les propos de nul autre que l’ancien responsable des discours de P. E.
Trudeau, André Brunelle qui, dans un ouvrage également publié chez Fides, avoue
être tombé de haut lorsqu’il fut invité à traduire l’entente obtenue dans le
dos de la délégation du Québec : « J’eus le sentiment d’avoir été trompé à l’instar de tous les Québécois
à qui M. Trudeau avait promis un fédéralisme renouvelé en échange d’un NON
majoritaire à la souveraineté-association que leur proposait René Lévesque[4] ».
R. Tremblay
ne manque pas de le marteler : le référendum de 1980 se trouve entaché de
mensonges, de demi-vérités et d’omissions. Pour l’auteur, la façon de faire du maître-chanteur d’Ottawa
s’apparente en tout point aux
façons de procéder d’un pays totalitaire. Oui, les Kim Jong-un et autres princes tels les Mohamed ben Salmane de ce monde
pourraient trouver chez P. E. Trudeau des sources d’inspiration.
Mais, comme
il faut faire mauvaise fortune bon cœur, R. Tremblay mentionne que face au
machiavélisme et à la manipulation du gouvernement Trudeau, les Québécois ont
réagi en reportant le PQ au
pouvoir le 13 avril 81.
Ce qui me
rappelle l’opinion d’un sage octogénaire gaspésien reproduite dans Le Devoir durant la campagne
référendaire : « Le parti qui
perdra le référendum sera élu aux élections suivantes. » On se
rappellera que le soir du 20, Ô combien C. Ryan avait été mauvais gagnant. René
Lévesque s’est donc transformé en récipiendaire d’un prix de consolation :
la responsabilité de diriger… un «bon gouvernement».
Le chapitre
5 débute avec en exergue une citation de Jean Lesage datant de 1965 où il
associe le « Maître chez nous »
à la Révolution tranquille : oui, un fer dans la plaie toujours ouverte
des gens de ma génération. Une
partie importante du chapitre porte sur le saccage de la loi 101 (amandée pas
moins de huit fois) vu ici comme le début de la fin de la Révolution
tranquille. Sa version originale ne pouvait composer avec l’idéologie unitaire
d’un Canada « One nation » de P. E. Trudeau. Encore une fois,
l’auteur ne peut s’empêcher d’accorder une part du blâme à René Lévesque pour
s’être jeté dans la gueule du loup
en donnant lieu à un référendum dépourvu de « conditions gagnantes ».
Qui aurait cru que ces dernières se présenteraient avant la fin du siècle?
Elles font l’objet des chapitres suivants : du beau risque, le Lac Meech
et le référendum presque gagné et en partie… volé.
Le 18 mars
1987, R. Bourassa fait connaître les
cinq « conditions minimales » qui conduiraient à l’acceptation
de la Loi constitutionnelle de 1982.
On connaît la suite : c’est l’échec de l’accord. À l’eau du lac ce 22 juin
1990 les cinq conditions. L’auteur ne le mentionne pas, mais nombreux se
rappelleront que deux jours plus tard, de trois à quatre cent mille
manifestants fermeront le défilé de la
Saint-Jean sur la rue Sherbrooke en revendiquant la souveraineté.
Retour sur
la perfidie de P. E. Trudeau pour qui Meech « aurait rendu le gouvernement
fédéral tout à fait impotent » (p. 186). Et, mensonge suprême aux dires de
l’auteur, l’accord issu de « la nuit aux longs couteaux » fut
décrit par son responsable comme la victoire de la population sur le pouvoir
politique.
Et voilà
qu’apparaît De Toqueville en exergue du chapitre 7 avec une très pertinente allusion à ce qui arrive à
une nation qui, fatiguée de longs débats, accepte qu’on la dupe pourvu qu’on la
repose… Cette fois c’est la faiblesse de R. Bourassa qui est mise en évidence
avec ses atermoiements qui ont succédé à sa fausse promesse de tenir un
référendum sur la souveraineté dont il ne voulait aucunement. Ce qui me
rappelle une déclaration de Pierre Bourgault : « Bourassa s’oppose à l’indépendance parce qu’il sent ne pas avoir les
capacités pour diriger un pays indépendant, et il a raison ». Pour
faire tomber la poussière soulevée par l’échec de Meech, la commission
Bélanger-Campeau fut mise en
place. Son rapport recommanda d’ouvrir de nouvelles discussions d’ordre
constitutionnel et, advenant un nouvel échec, un nouveau référendum serait tenu
sans tarder.
Il y a bien
eu un nouveau référendum, mais pas celui qui était souhaité; celui portant sur
l’entente de Charlottetown de 1992. Le NON l’a emporté au Canada comme au
Québec, mais, comme on le pense bien, pour des raisons opposées. R. Bourassa,
disposé à accepter n’importe quoi pouvant faire oublier le rapport
Bélanger–Campeau, a été fidèle à lui-même. Il n’y a pas lieu de l’idéaliser en
le comparant aux Charest et Couillard. R. Tremblay a raison d’écrire qu’il a
raté son rendez-vous avec l’histoire en choisissant de s’écraser et de faire du
surplace[5].
Il passera l’arme à gauche onze mois suivant le dernier à ce jour de nos
référendums dont R. Tremblay nous rappelle les conditions de sa tenue, encore
une fois non dépourvue de fraudes de tout genre. Le NON très peu
convaincant n’a pas retenu le gouvernement Chrétien d’en profiter « pour enfoncer un autre clou dans le cercueil
de l’autonomie du Québec » (p. 235) avec le Clarity Act.
Les deux
derniers chapitres traitent de questions très contemporaines en touchant à la
démographie et à l’immigration. Sur ce dernier point, il ne faut pas s’attendre
à ce qu’Ici Radio-Canada, La Presse et, je serais tenté d’inclure,
dans une certaine mesure, Le Devoir
avec sa nouvelle direction, endossent le point de vue ici affiché. Car R. Tremblay ne cache pas son souci
de préserver notre identité. En conséquence, alors que le gouvernement Legault
annonce limiter les nouveaux arrivants à 40 000 par année, l’auteur avance le
chiffre de 25 000, soit l’équivalent de l’accroissement annuel de la population
du Québec. Ce faisant, on éviterait ainsi les problèmes sociaux d’intégration
auxquels font face les Européens. R. Tremblay qui, tout au long du livre
soulève des questions en y apportant des tentatives de
réponses, termine sa fort lucide conclusion générale par une question sans
fournir de réponse, puisqu’il en incombe à ses compatriotes d’y répondre :
« Est-ce que les Québécois et les Québécoises
d’aujourd’hui, en tant que patriotes de toutes origines, ont la volonté de
travailler à la survie, à l’épanouissement et à la prospérité de la seule
nation francophone majoritaire en Amérique du Nord? » (p. 287).
J’ai fait (supra) allusion à l’efficacité
d’écriture de l’auteur. Mais, comme tout auteur n’est pas le seul responsable
de la qualité d’un ouvrage, l’éditeur ayant également à jouer son rôle. Ce qui
est le cas ici en offrant au lecteur une facture bien aérée garnie de sous-titres
évocateurs. Rien à dire donc sur la forme. Quant au fond, puisqu’il est question de régression jusqu’à
aujourd’hui, le lecteur s’attend que le tout dernier chapitre fasse le procès
des quelque quinze ans de pouvoir du PLQ. Nul doute que R. Tremblay en a été un
fin observateur. Peut-être s’y applique-t-il pour les fins d’un prochain
ouvrage. Je l’imagine tout décortiquer en s’inspirant de l’approche adoptée par Lucia Ferretti dans ses
pages avec sa chronique sur le démantèlement de la nation et surtout par son
bilan du gouvernement Couillard qui s’impose déjà comme une référence
incontournable[6]. Oui, je
verrais bien le point de vue de l’économiste en ajout ou en complément de celui
de l’historienne.
Si, en
vertu des couleurs fortement affichées de l’auteur, on peut concevoir
l’hésitation des professeurs de
CEGEP d’imposer ce volume comme lecture obligatoire à leurs étudiants, à tout
le moins, ils se doivent de le donner en référence. Oui, pour que la jeunesse
sache ce qui s’est vraiment passé surtout durant les vingt premières années de
cette régression qui, si « la tendance se maintient », ne pourra que
se poursuivre. Quant aux aînés, je ne vois guère mieux pour leur rafraîchir la
mémoire ou pour compléter leurs informations, et pourquoi pas? Pour ne pas
perdre espoir, malgré tout.
__________________________________________________
André Joyal, professeur associé à l’UQTR
________________________________________________________________
[1] Liber, Montréal,
2009.
[2] En fait, l’auteur
en signale une panoplie.
[3] Même s’il ne
peut éviter le scandale des Commandites et la Commission Gomery, R. Tremblay
n’insiste pas sur l’aspect « volé »
du référendum.
[5] Non sans mal, la ville de Montréal est parvenue à donner son nom à une
artère qui conduit vers…l’Université McGill.
[6] Juin-septembre 2018, Vol CVIII, no 6-7.